Rechercher
Rechercher

Actualités

RENCONTRE - À l’Environnement où il a été nommé, l’ancien ministre des AE analyse la situation internationale Farès Boueiz : Les Syriens peuvent se faire tirer l’oreille, mais ils ne se feront pas tirer dessus(photo)

Depuis l’arrivée du nouveau ministre, toute l’ambiance a changé dans les locaux de l’Environnement. Ceux qui croyaient que Farès Boueiz s’y ennuierait, continuant à suivre les développements internationaux plutôt que les dossiers écologiques, se sont lourdement trompés. Non seulement ce portefeuille, jugé de prime abord secondaire, est un défi pour lui, mais de plus il avoue un grand intérêt, et ce depuis longtemps, pour tout ce qui touche à la nature et à la protection de la planète. Des projets, il en a donc plein la tête et les tiroirs et il faudrait un article pour les exposer. Mais il n’en continue pas moins à analyser la situation internationale, discrètement, pour ménager ses collègues au Conseil des ministres, mais avec ce recul qui avait marqué son passage aux Affaires étrangères. Pour lui, les Syriens ne se feront pas tirer dessus, juste un peu l’oreille, peut-être. Il y a tant de sujets à aborder avec Farès Boueiz que l’on ne sait plus par quoi commencer. Tout d’abord sa nomination. Selon des sources qui ont suivi de près la formation du gouvernement, il fallait un maronite ayant une certaine représentativité, tout en n’étant pas membre de Kornet Chehwane ni extrémiste. Son nom a donc été cité et aucun des trois présidents n’y a opposé un veto. Le président Berry voulait Jean Obeid aux Affaires étrangères. Sinon, il exigeait que ce portefeuille revienne aux chiites, le président Hariri voulait Bahige Tabbarah à la Justice et, d’exigence en exigence, c’est l’Environnement qui lui a échu. Boueiz n’infirme ni ne confirme ces informations, mais depuis qu’il a accepté le portefeuille, il lit beaucoup dans ce domaine et son principal souci est de donner à ce ministère un pouvoir d’exécution, au lieu du pouvoir de consultation dont il jouit actuellement. Le ministère prépare des projets, mais n’a pas les moyens de veiller à leur application. Boueiz a d’ailleurs été agréablement surpris de découvrir un ministère totalement informatisé et doté des experts les plus diplômés de l’Administration libanaise. Il reste donc à lui donner plus de pouvoir effectif et à mieux sensibiliser la population aux problèmes de l’environnement, à travers la création d’une matière spéciale qui serait enseignée dans les écoles, au même titre que l’éducation civique. Trois revendications et une alternative Toutes ces questions n’empêchent pas M. Boueiz de continuer à s’intéresser de près aux affaires régionales et internationales. À la veille de la visite à Beyrouth du secrétaire d’État américain, il avait fait l’analyse suivante : M. Colin Powell se rend au Liban et en Syrie en représentant d’un pays qui vient de remporter une grande victoire militaire. Il va donc demander et non négocier. De plus, M. Powell a un complexe envers les néoconservateurs qui lui reprochent de ne pas avoir été assez dur dans le passé. Il va donc hausser le ton pour tenter de remporter un succès politique. Enfin, la victoire américaine en Irak a lancé un nouveau concept : désormais, les cartes sécuritaires doivent tomber sans condition et il n’est plus question de négocier en même temps les cartes politiques et celles de sécurité. Pour le ministre de l’Environnement, le secrétaire d’État américain ne vient donc pas écouter des théories juridiques. Il les connaît déjà et son pays vient de piétiner le Conseil de sécurité, l’Union européenne et la Ligue arabe. Il va donc présenter des demandes. Selon M. Boueiz, la position du chef de l’État devait être assez difficile, d’autant que, toujours selon lui, le président de la Chambre ne s’exprimera pas par crainte d’être accusé de vouloir enfoncer son rival, le Hezbollah. Le président du Conseil en fera de même, de peur d’être soupçonné d’être de connivence avec les Américains, et le ministre des Affaires étrangères gardera aussi le silence… Sur le fond, estime Boueiz, Powell devrait présenter trois revendications et une alternative. Les Américains souhaitent ériger en Irak le système politico-économique qui leur convient et ne veulent pas de la moindre interférence syrienne. Ils veulent aussi imposer la « feuille de route » et il est interdit à quiconque de l’entraver. Enfin, ils souhaitent que soit mis un terme au rôle du Hezbollah, à travers le déploiement de l’armée libanaise au Sud. Ces trois points, les Américains savent que c’est surtout avec la Syrie qu’il faut en parler. Mais si le dialogue avec Damas s’avère laborieux, ils évoqueront alors avec les Libanais la présence syrienne sur leur territoire. Boueiz estime que ce dernier thème est tactique, car il est convaincu que les Américains continuent à croire que le Liban ne peut régler, seul, ses problèmes de sécurité et ce, depuis 1973 (si l’on excepte la période Béchir Gemayel, lorsqu’il y a une tentative d’élaborer une autre stratégie pour le Liban). Évoquer la présence syrienne au Liban est donc une sorte d’épée de Damoclès, qui sera brandie si les Syriens rechignent à exécuter les trois premiers points. Garder momentanément la résistance du Hezbollah Selon Boueiz, face à ce tableau, le Liban ne peut que rappeler qu’une grande partie des réponses ne dépendent pas de lui. Il n’a pas d’influence en Irak et c’est aux Palestiniens de revendiquer leurs droits et de choisir la voie qu’ils souhaitent. Le Liban n’est concerné que parce qu’il a près de 300 000 réfugiés palestiniens sur son territoire. Toute solution qui ne règle pas leur sort ne peut être applaudie par lui. Quant à la question du Hezbollah, selon Boueiz, le Liban ne peut refuser la demande américaine, car, dans les circonstances actuelles, ce serait interprété comme un acte de guerre. Mais il peut essayer de lier deux choses : lorsque dans les années 70, la résistance palestinienne a commencé au sud du Liban, elle s’est faite au détriment des chiites. Il a donc fallu retirer le titre de résistance aux Palestiniens pour le donner aux chiites et le Hezbollah est après tout un parti très structuré. Il vaudrait donc mieux, pour l’instant, lui garder le titre de résistance de peur que les réfugiés palestiniens ne cherchent à le reprendre, surtout si, demain, une mauvaise solution est annoncée pour eux. Frustrés, ils pourraient faire n’importe quoi et il vaudrait donc mieux que le Hezbollah continue à être le mouvement de résistance au Liban. Surtout que Arafat peut très bien donner son accord sur la solution en Palestine, mais monter les Palestiniens installés au Liban contre elle. C’est une idée très délicate et il faut insister sur son caractère momentané. En réponse, les Américains pourraient adopter deux attitudes : soit ouvrir la voie à une solution radicale en incluant le thème des réfugiés à la « feuille de route », soit cesser les pressions sur le Liban à ce sujet. Après la visite de Powell, Boueiz a donc voulu savoir si son analyse et ses prévisions étaient justifiées. Il a mené son enquête. Apparemment, le thème de la présence syrienne au Liban n’a pas été évoqué, ce qui signifie que les Américains étaient plutôt satisfaits de la coopération de Damas. Concernant les autres points, le plafond exigé par Washington aurait été jugé acceptable par les Libanais et les Américains auraient accepté le principe d’élargir la « feuille de route » au Liban et à la Syrie. Enfin, ils n’auraient pas fixé un délai au Liban, mais ils auraient été plus clairs en Syrie, évoquant une action concrète avant l’automne prochain. Les Syriens connaissent les règles du jeu Selon Boueiz, il faudrait donc attendre les prochaines semaines. Plus on leur parlera du Golan et plus les Syriens seront coopératifs. De même, il faut s’attendre rapidement à ce que le Hezbollah adopte un profil bas (surtout après la visite éclair que sayyed Hassan Nasrallah a effectuée en Syrie, le week-end dernier, et dans la perspective de la prochaine visite du président iranien au Liban). Ce parti pourrait même remettre quelques roquettes katiouchas et autres missiles à l’armée libanaise, dans un témoignage de bonne volonté. Des permanences d’organisations palestiniennes jugées extrémistes seront fermées. Bref, autant d’indices pour concrétiser l’accord syro-américain. C’est que, selon Boueiz, le régime du président Assad connaît bien les règles du jeu. « Il peut se faire tirer l’oreille, mais évitera de se faire tirer dessus. Il sait qu’aujourd’hui, toute solution est mauvaise pour lui. Mais c’est entre la moins mauvaise et la pire qu’il va choisir. » Boueiz estime que la Syrie essaiera ainsi de gagner du temps, même si les Américains lui ont fixé des délais approximatifs. Mais elle ne jettera certainement pas toutes ses cartes en panique. Le ministre de l’Environnement ne pense pas que, comme le disent certains, les Syriens pourraient jeter du lest chez eux et durcir leur position au Liban, car les Américains les tiennent clairement pour responsables de la situation chez nous. Dans ce jeu d’équilibrisme, ils ont déjà prouvé qu’ils étaient très forts. C’est pourquoi Boueiz pense qu’il y a 80 % de chances pour que Syriens et Américains aboutissent à un accord. Le dialogue est bien engagé. Mais les impondérables restent possibles… Sur l’atmosphère au Conseil des ministres, Farès Boueiz est bien plus discret. Il ne se considère pas en rivalité avec qui que ce soit. Quant à la prochaine élection à la présidence de République, il estime que le facteur libanais n’y sera malheureusement pas déterminant. L’évolution des rapports syro-américains dessinera le profil du prochain locataire de Baabda. Scarlett HADDAD
Depuis l’arrivée du nouveau ministre, toute l’ambiance a changé dans les locaux de l’Environnement. Ceux qui croyaient que Farès Boueiz s’y ennuierait, continuant à suivre les développements internationaux plutôt que les dossiers écologiques, se sont lourdement trompés. Non seulement ce portefeuille, jugé de prime abord secondaire, est un défi pour lui, mais de plus...