Rechercher
Rechercher

Actualités

DIPLOMATIE - Quarante minutes d’entretien entre Colin Powell et les dirigeants libanais avant-hier samedi Le Liban plus que jamais ouvert au dialogue, mais reste arc-bouté sur ses constantes

Ce qu’il y a de plus frappant, au lendemain des quarante toutes petites minutes d’entretien du secrétaire d’État US, Colin Powell, à Beyrouth, c’est la dichotomie de plus en plus impressionnante entre le discours libanais officiel d’une part, et les ébauches de décisions que pourraient prendre, bon gré mal gré et en coulisses, les dirigeants libanais. C’est le fossé entre leurs niets martelés énergiquement depuis des années, leurs convictions, leurs revendications (qui peut désormais revendiquer face à Washington ?) et leur acceptation, depuis la chute du régime de Saddam Hussein, leur résignation même, face au rouleau compresseur de l’histoire, dont Tommy Franks a été, pour reprendre Ghassan Salamé, « le bras armé ». Ce qu’il y a de plus frappant donc, ce sont ces abysses qui séparent les communiqués-béton distribués tous azimuts par les bureaux de presse officiels ou les informations savamment distillées par ces derniers, de ce que Beyrouth – et Damas, comme de bien entendu – compte, ou doit faire, dans les jours ou les semaines à venir. Tout cela sachant que le Liban veut prendre le temps de digérer, même s’il les connaissait d’avance, les exigences « non négociables » de Washington, (im)posées très diplomatiquement, avant-hier samedi, par Colin Powell dans les capitales libanaise et syrienne ; Beyrouth veut poursuivre et optimiser sa « coordination » avec Damas, et Beyrouth veut tenter de mettre le maximum d’atouts dans sa manche avant que tout ne devienne inéluctable, maintenant, surtout, que la « feuille de route » du quartette russo-européano-américano-onusien pour le règlement du conflit israélo-palestinien est en (bonne) marche. Ainsi, entre ce que les officiels donnent à lire ou à entendre et ce qui risque fort d’être en train de se préparer, il y a eu, le week-end dernier, un monde. Ainsi, de sources officielles, on assure que la façon dont les discussions entre Américains et Libanais se sont déroulées a contredit toutes les rumeurs qui les ont précédées. On assure qu’il n’y a pas eu de pressions, qu’il n’y a pas eu de conditions, qu’il n’y a pas eu de délais imposés par Colin Powell. Que c’était en fait « un dialogue positif, au cours duquel chaque partie a expliqué ses points de vue – des explications dûment flanquées de preuves et de justifications concrètes ». Cela n’a pas empêché des milieux proches de la délégation américaine d’affirmer, citant le secrétaire d’État, que le message adressé quelques heures plus tôt à la Syrie a été « très ferme », et de rapporter des exigences de « time table », de calendrier, en ce qui concerne notamment le démantèlement de la branche militaire du Hezbollah, et, corollairement, le déploiement de l’armée au Liban-Sud. Sauf que Powell a assuré que c’est à la coordination libano-syrienne de fixer un agenda, qu’il attend « de voir sur le terrain », et qu’il leur donne au maximum jusqu’au mois de septembre, dit-on. Au sujet de la « feuille de route », et en se souvenant que le Liban comme la Syrie ont affirmé qu’ils accepteraient « tout ce que les Palestiniens accepteraient », le chef de l’État, Émile Lahoud, a réitéré, face à son invité de marque et selon les sources en question, la nécessaire instauration d’une paix juste dans la région, dont la base devrait être l’application des résolutions onusiennes. En rappelant l’initiative de paix Abdallah, adoptée à l’unanimité lors du Sommet arabe de Beyrouth en mars 2002. Tout cela sachant pertinemment la qualité du soutien apporté par Washington à Tel-Aviv, ainsi que la volonté affichée du président US, George W. Bush, d’hyperactiver les négociations israélo-palestiniennes dans le cadre de la « feuille de route », afin d’arriver, avant la bataille électorale qui pourrait lui rapporter un second mandat, à instaurer une paix. Quitte à ce qu’elle soit plus ou moins juste, plus ou moins globale, plus ou moins durable. Malgré cela, le président Lahoud a relevé, en se demandant si Israël était « effectivement d’accord avec son contenu », que ladite « feuille de route » n’inclut pas des points chauds particulièrement chers aux yeux de Damas et de Beyrouth. À savoir : le rôle essentiel de ces deux capitales dans la région, ainsi que le droit au retour des réfugiés palestiniens. Et lorsque l’on sait, et que l’on partage, le sacro-saint refus libanais de tout embryon d’implantation... Seconde exigence US : assurer la sécurité sur le territoire libanais. Ce à quoi le locataire de Baabda a répondu en affirmant que le Liban, « avec l’aide de Damas », avait mis fin à des opérations terroristes, comme à Denniyé en 2000, ou comme ce réseau terroriste accusé d’attentats contre des établissements commerciaux libanais à enseigne américaine, et qui a été démantelé tout récemment. Le président Lahoud en a profité pour rappeler une de ses antiennes préférées – sachant que les États-Unis soutiennent, du moins aujourd’hui et pour l’instant, « un Liban indépendant et prospère, débarrassé de toutes – toutes – les forces étrangères ». Celle qui assure que le Liban doit la situation sécuritaire « stable » qui prévaut sur son territoire à une coopération et une coordination sans cesse bonifiées avec la Syrie. Le n° 1 de l’État ne s’est pas arrêté en si bon chemin et a rendu un hommage vibrant, devant Colin Powell, au « pays frère » dont le Liban est devenu aujourd’hui le bien malheureux satellite. Troisième point, et de loin l’un des plus importants : le Hezbollah. Émile Lahoud a redit avant-hier samedi à Colin Powell que le parti intégriste est un « parti politique, bien présent sur la scène libanaise, qui a contribué à la libération de la plus grande partie du territoire libanais de l’occupation israélienne », et qu’il n’a donc « aucune » visée régionale ou internationale. Le tout, sachant à quel point Washington est déterminé – il suffit d’entendre l’omnipotente Condoleezza Rice – à voir le Hezbollah démilitarisé, « démantelé », a-t-elle dit à plusieurs reprises. Quatrième exigence – ou diktat, c’est selon – US : le déploiement de l’armée au Liban-Sud. Nécessaire, pour une quasi-majorité de Libanais. Le président Lahoud a « expliqué » à Colin Powell que l’armée est « bel et bien déployée à une dizaine de kilomètres des frontières ». Il aurait même tutoyé l’ancien chef d’état major de l’armée américaine lors de la première guerre du Golfe, en lui assurant qu’il n’est pas sans ignorer, « puisque vous êtes vous-mêmes un militaire » que lorsqu’une armée est à une dizaine de kilomètres d’une frontière, « c’est comme si elle y était ». Ainsi, à lire et relire ces positions martelées à Colin Powell par Émile Lahoud, l’on serait à même de croire que le Liban est en mesure d’imposer ses volontés, en s’arc-boutant sur ses revendications et sur ses « constantes ». Malheureusement, cela est loin d’être le cas. Surtout lorsque l’on voit Damas en train de répondre plus que positivement aux desiderata américains. Dernière initiative syrienne en date : la fermeture de bureaux anti-israéliens en Syrie. Qui n’a pas jugé bon de préciser lesquels, mais tout semble indiquer qu’il s’agirait de ceux du Hamas et du Jihad islamique. Que va faire le Liban ? Continuer à réclamer, fort de sa volonté de dialogue toute affichée, la simultanéité du règlement du dossier des réfugiés palestiniens avec le démantèlement du Hezbollah ? Programmer, dans la douceur, le déploiement de l’armée le long de la ligne bleue en prévision d’une démilitarisation obligée du Hezbollah, avec la pérennisation de sa représentativité politique à la clé, à l’image de l’IRA et du Sinn Féin irlandais ? Est-ce que Beyrouth est capable, seul, de régler le problème Hezbollah ? La question semble tout aussi valable, aujourd’hui, pour Damas. Faut-il aller voir du côté de Téhéran ce qui se passe, et attendre la visite du président Khatami le 12 mai ? Faut-il croire de hauts responsables du parti intégriste lorsqu’ils clament que « nul ne peut proposer de désarmer la Résistance » ou que le Hezbollah est « prêt à faire face à toute agression » ? Beyrouth se verra-t-il obliger de confirmer un changement radical de sa stratégie, en se voyant contraint de ne plus faire primer le règlement du dossier politique sur celui du volet sécuritaire ? L’option de l’atermoiement, du dialogue, en attendant d’abord une réaction de la Maison-Blanche ou du Pentagone aux escales syrienne et libanaise de Colin Powell, puis l’inéluctabilité d’une coopération, semble être la plus plausible. Ne reste aux Libanais qu’un double espoir : qu’Israël ne soit pas le seul gagnant de ce poker visiblement pas menteur, et que l’appel de Dominique de Villepin à Damas visant à l’application de la résolution 520 ne reste pas orphelin. Ziyad MAKHOUL
Ce qu’il y a de plus frappant, au lendemain des quarante toutes petites minutes d’entretien du secrétaire d’État US, Colin Powell, à Beyrouth, c’est la dichotomie de plus en plus impressionnante entre le discours libanais officiel d’une part, et les ébauches de décisions que pourraient prendre, bon gré mal gré et en coulisses, les dirigeants libanais. C’est le fossé...