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Hommage Ghassan Salamé : l’homme en costume de soie

par Alexandre NAJJAR La montagne a accouché d’une souris. Dans les calculs de nos dirigeants qui cherchaient à renforcer la cohésion interne en instillant dans le gouvernement de nouveaux ministres inféodés à la Syrie à défaut de tendre la main à l’opposition pour sceller l’union nationale, il était entendu qu’il n’y aurait pas de place pour les technocrates. Mais qu’auraient-ils perdu à garder à son poste, pour sauver les apparences, l’un des rares ministres à avoir accompli son devoir avec abnégation, efficacité et droiture, à savoir Ghassan Salamé ? On le savait brillant analyste et universitaire, on se délectait à la lecture de ses essais (dont le prophétique Appels d’empire) et à l’écoute de ses interventions où il faisait toujours preuve d’une grande perspicacité et d’une culture encyclopédique. Ce qu’on ignorait alors, c’est que, contrairement à nombre d’universitaires qui, une fois sortis de leur milieu, perdent leurs repères et se montrent incapables de s’organiser ou de diriger, Ghassan Salamé est un véritable homme d’action. Par où commencer le bilan ? Comment ne rien oublier ? Tant de réalisations accomplies, souvent dans la discrétion absolue, qu’il est impossible de tout recenser. L’homme dormait peu, ne perdait pas une seconde, comme s’il était conscient qu’une vie entière ne suffirait pas pour réaliser ses rêves et ses ambitions. Malgré les difficultés inhérentes au ministère de la Culture (budget dérisoire, paiements retardés, bureaucratie étouffante, fonctionnaires sous-qualifiés, défaut d’organigramme...), il a été, deux ans et demi durant, de tous les combats : il a réussi l’organisation du Sommet arabe de Beyrouth qui, malgré les inévitables luttes intestines, a donné naissance, pour une fois, à des propositions concrètes ; il a excellé dans l’organisation du Sommet de la francophonie et de centaines de manifestations créées en marge de cet événement historique, provoquant ainsi une « déferlante » francophone sans précédent dans le pays. Dans le domaine du livre, il a réussi à implanter en un temps record, de concert avec l’AIF, de nombreux Centres de lecture et d’animation culturelle (CLAC) aux quatre coins du Liban et a donné un véritable coup de fouet à la reconstruction de la Bibliothèque nationale, amorcée par son prédécesseur, Mohammed Youssef Beydoun. Conscient des moyens limités mis à sa disposition par un État plus soucieux de bâtir des ponts que de construire les esprits, il a su convaincre les plus grandes instances internationales, comme l’Union européenne ou la Banque mondiale, d’apporter leur soutien à des projets culturels essentiels, comme la Bibliothèque nationale ou la mise en valeur de nos sites archéologiques. D’autres bailleurs de fonds étaient prêts à financer de nouveaux projets en cours d’élaboration... Salamé a établi un organigramme ambitieux et futuriste pour le ministère, qui attend d’être enfin voté au Parlement ; il a soutenu, autant que faire se peut, la production cinématographique libanaise et le théâtre, permettant aux élèves des écoles publiques d’assister gratuitement aux pièces locales pour se familiariser avec l’art dramatique. Toujours présent lors des grands événements culturels, il profitait des jours de repos pour aller à la rencontre des Libanais dans les régions défavorisées, là où la culture n’a jamais mis les pieds, pour les réconforter et leur apporter son soutien. À Byblos, il a su dynamiser le Centre international des sciences de l’homme de l’Unesco et a permis, avec le concours des Canadiens et de la municipalité, la création d’un musée et la valorisation du site archéologique de la ville. C’est sous son « mandat », enfin, que le Liban a créé la surprise en se classant premier aux épreuves culturelles des Jeux de la francophonie, supplantant ainsi une cinquantaine de pays. Sur la scène internationale, Salamé s’est dépensé sans compter : non content de représenter dignement le Liban dans des événements majeurs à l’occasion desquels il a prononcé, dans les trois langues qu’il maîtrise parfaitement, des discours remarqués, il s’est vu dans l’obligation d’intervenir plus d’une fois, à la demande de nos dirigeants, pour rabibocher les erreurs de certains diplomates mal inspirés, et a même failli perdre la vie au Congo où il avait été appelé pour assurer la sécurité de la communauté libanaise prise pour cible par les insurgés... Il n’y a pas si longtemps, lors d’une émission télévisée, un journaliste a comparé Ghassan Salamé à « un homme en costume de soie au milieu des broussailles ». Dans un monde politique qui ne le mérite pas, l’homme en costume de soie peut être fier d’avoir rempli sa mission. Il s’en va la tête haute, les mains propres et le costume intact, emportant avec lui ses rêves encore inassouvis et « une certaine idée » du Liban, laissant derrière lui de grandes réalisations et des dizaines de chantiers. S’il n’est pas revenu, c’est sans doute parce qu’il n’a pas voulu négocier – car tout, chez nous, se négocie – son retour. Faut-il pleurer son départ ? Pleurons plutôt le pays qui l’a laissé partir.
par Alexandre NAJJAR La montagne a accouché d’une souris. Dans les calculs de nos dirigeants qui cherchaient à renforcer la cohésion interne en instillant dans le gouvernement de nouveaux ministres inféodés à la Syrie à défaut de tendre la main à l’opposition pour sceller l’union nationale, il était entendu qu’il n’y aurait pas de place pour les technocrates. Mais...