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INTERVIEW - L’ancien ministre analyse pour « L’Orient-Le Jour » les tenants et aboutissants de la guerre en Irak Fouad Boutros : Le Liban est à mi-chemin entre un État réel et un État virtuel

S’il organisait, chaque semaine, un séminaire de travail, un enseignement de la politique, auxquels seraient tenus d’assister les neuf-dixièmes des responsables politiques, c’est la Suisse elle-même qui tendrait à devenir le Liban de l’Europe. Certes, ils sont nombreux, très nombreux, celles et ceux désignés – parfois élus – pour tenir les rênes du pays, ou celles d’autres États, qui viennent, régulièrement, le consulter. Parce que Fouad Boutros n’est pas seulement une féroce intelligence, c’est aussi, et surtout, et avec tous ses défauts, un sage, une référence, une éthique, une morale, un refus absolu des compromissions comme du charlatanisme dont abusent les politiques. Pour L’Orient-Le Jour, il a disséqué les dessous de la guerre en Irak, abordant une dizaine de thèmes : le néoconservatisme et l’unilatéralisme américains, le 11 septembre, l’après-guerre, l’Union européenne et la Ligue arabe, Israël, la masse arabe et le concept de démocratie, etc... La guerre et les néoconservateurs Savoir, d’abord, s’il s’y attendait, s’il pense qu’elle s’est déclenchée conformément à ce qu’il avait prévu, ou si elle l’a surpris, dans sa forme ou dans son fond. « Par de nombreux points, cette guerre se distingue des schémas classiques que nous avons connus. C’est pour cela que tout en étant prévisible, elle comporte certaines singularités, draine une certaine idée de changement. » Une optique nouvelle donc, de la part des États-Unis : cette guerre ne ressemble pas aux autres « parce que l’on ne voit pas exactement, en toute objectivité, quels en sont les véritables motifs. » Et pourtant, ces motifs officiels se sont multipliés, sans jamais se ressembler. « Ils ne tiennent pas la route, ils ne convainquent pas, ils ressemblent davantage à des prétextes qu’à des motifs ». Fouad Boutros, rigoureux, exigeant, objectif, classe sous un angle géopolitique ces motifs « qui ne dupent personne, même pas une partie de l’opinion publique ou de la classe politique américaine : le pétrole ; Israël et son influence sur la politique américaine actuelle ; l’avenir d’Israël dans la région ; la présence à la tête du gouvernement américain, et autour de lui, d’une camarilla, qui s’apparente plus ou moins à une secte et dont le noyau, l’essence, est constitué de néoconservateurs particulièrement déchaînés. » Il dénonce le populisme religieux sur lequel s’arc-boutent ces néoconservateurs, réunis autour de Donald Rumsfeld, Paul Wolfowitz, Richard Perle et d’autres. Il estime d’ailleurs qu’au vu de l’inclinaison des États-Unis vers ce populisme religieux, « c’est une étape de franchie vers la théocratie ». Or il est évident que théocratie et démocratie « sont totalement incompatibles », puisque la théocratie et le totalitarisme ont une racine commune énorme : « Le gouvernement ne peut pas avoir tort. » Guerre froide et 11/09/2001 L’ancien locataire du palais Bustros s’arrête sur la guerre froide. « Il y a la volonté américaine bien affirmée, notamment après la guerre froide, de se comporter comme une superpuissance dégagée de tous les garde-fous que lui impose l’Onu, dans la mesure où cette organisation peut affecter sa liberté de choix et de décision ». C’est l’unilatéralisme yankee, tout entier destiné à créer un nouvel ordre international, « conçu conformément à la volonté de l’hyperpuissance des USA. » La fin de la guerre froide a été décisive ? « Tant qu’elle existait, il est certain que cela ne pouvait pas avoir lieu. Mais une fois cette guerre terminée, et surtout après le 11 septembre », toutes les donnes ont changé. Fouad Boutros rappelle que bien avant l’implosion des tours jumelles, Wolfowitz avait déjà, en 1992, rédigé un mémorandum qui renversait la théorie de l’endiguement et de la dissuasion, « pour la remplacer par celle de la préemption ». Et parallèlement à cela, cette camarilla soutenait en ce qui concerne le problème palestinien, que l’adoption de la formule « terre contre paix » permettrait de qualifier le président américain de « munichois, parce qu’il reculait, essayant de trouver des accomodements en lâchant du lest. » En 1998, ces néoconservateurs ont saisi Bill Clinton d’un plan visant à se débarrasser « carrément » de Saddam Hussein. Le prédécesseur de George W. Bush n’y a pas donné suite. Et puis est arrivé le 11 septembre. Qui a permis au noyau ultra, aujourd’hui tête pensante de la Maison-Blanche, de trouver les arguments décisifs en faveur de l’implantation d’un projet préétabli. « Par conséquent, on ne peut pas considérer que la guerre initiée par les Américains est une réaction au 11/09/01. Ce 11 septembre a donné un push, une chance supplémentaire à l’adoption de la théorie Wolfowitz. » Sans compter la mentalité de l’actuel président US et l’état psychologique des Américains après « le traumatisme » du World Trade Center. L’unilatéralisme made in USA Et pour les Arabes ? C’est une autre conception de la guerre. « Pour les Arabes, le problème ne se pose pas de cette manière. Aux yeux des Arabes, ainsi d’ailleurs qu’à ceux de la majorité de l’opinion internationale, il y a l’alliance infernale de l’Amérique avec Israël, ainsi qu’une volonté de dominer le monde. Il y a une forme de jihad made in USA. Cela a d’ailleurs été l’objet d’un ouvrage écrit par un auteur américain. La politique américaine est mise, là, en accusation. Alors que si réellement Washington voulait tenir compte de l’opinion et des organisations internationales, ou des principes commandant la sécurité collective, il aurait dû faire en sorte que les investigations et les inspections se poursuivent en Irak. Pour, soit déboucher sur des preuves décisives qui auraient convaincu l’ensemble de la communauté internationale, soit sur un fiasco ». Surtout qu’il existe cette volonté certaine chez les Américains de tourner la page du mode de fonctionnement des relations internationales qui prévalait à l’époque de la guerre froide, et cela d’autant plus que « tant qu’il y avait celle-ci, les attaques et les guerres ne touchaient que la périphérie. En septembre 2001, le centre a été touché pour la première fois, cela a tout changé. » Fouad Boutros craint les interminables exigences des États-Unis, il rappelle que les velléités unilatéralistes américaines ne datent pas de 2001, il cite l’ancien locataire du Quai d’Orsay, Hubert Védrine, qui s’exprimait le 3 novembre 1999 : « Nous luttons pour un monde multipolaire, diversifié et multilatéral. Nous pensons que le rôle des États-Unis que garantit leur inépuisable et fantastique vitalité créatrice serait d’autant mieux admis s’ils acceptaient réellement cet objectif. À l’unilatéralisme américain actuel, nous proposons un multilatéralisme respectueux de tous les membres de la communauté internationale dont l’Onu est la gardienne ». Aux lieu et place du droit des citoyens, on revient aujourd’hui au droit, primaire, du plus fort ? « Oui. Il est certain qu’il y a une tendance à revenir en arrière, à l’époque où les États puissants dominaient sans réserve ». Cela survivra à l’Administration Bush ? « Je ne sais pas. En 1999, c’était l’Administration Clinton, et l’unilatéralisme tentait de s’imposer ». Et Fouad Boutros de citer Edmund Burke – c’était, déjà, à la fin du XVIIIe siècle, l’ère de l’omnipotence britannique : « Notre puissance m’effraie. Je crains de nous voir inspirer trop de craintes. Nous pouvons affirmer que nous n’abuserons pas de notre puissance, aussi étonnante qu’inégalée, néanmoins les autres nations ne manqueront pas de croire que nous en abuserons. Il est très possible que tôt ou tard, cet état de choses ne suscite une combinaison dirigée contre nous qui pourrait sceller notre ruine ». Tout est dit. Tout avait été vécu. L’après-guerre et la démocratie en terres arabes Au-delà des opérations militaires et de la guerre elle-même, se pose la question suivante : que va-t-il se passer après cette guerre ? « Comment les États-Unis vont-ils se comporter par rapport à l’ensemble de la planète ? Parce que, selon que l’on aime les États-Unis ou qu’on ne les aime pas, ils ont à l’heure qu’il est, et à eux seuls – économiquement, industriellement, technologiquement, militairement – un pouvoir qui dépasse celui des quatre ou cinq puissances réunies qui viennent derrière eux ». La question de l’après-guerre se pose d’une façon d’autant plus aiguë que pour Fouad Boutros, il est clairement et nettement établi que « Liberté pour l’Irak » n’est pas une réaction aux événements du 11 septembre. « Il s’agit là d’une nouvelle stratégie. Il semble que les États-Unis veulent la définir seuls, sans tenir compte des autres. Le peuvent-ils ? Et jusqu’où iront-ils ? Cette question doit figurer, à mon avis, au centre des principales préoccupations des chancelleries arabes, et celles des grandes ou moyennes puissances ». Jusqu’où peuvent aller les États-Unis ? « Il m’est difficile de répondre à cela. Mais quand les USA se prévalent de leur désir d’instaurer la démocratie en Irak, je vous avoue que cela me fait sourire. Dieu sait si le régime politique de Saddam Hussein me déplaît, et s’il est difficile de pouvoir le défendre ». Sauf que de là à imaginer qu’à la suite de l’entreprise militaire, l’Amérique puisse devenir un interlocuteur valable et transformer la mentalité du peuple irakien en le rendant accessible à la démocratie dans le sens où elle l’entend – « alors que ni dans son histoire, ni par sa tradition ou sa culture, rien ne le rapproche de la démocratie », souligne Fouad Boutros –, il y a un monde. « Et cela est vrai, dans des mesures différentes, pour la plus grande majorité, sinon la totalité, du monde arabe. Cette question est importante, et elle mérite d’être traitée très sérieusement à l’intérieur du monde arabe, par les États arabes, sans interventions ou pressions étrangères ». Est-ce que les gouvernements arabes ont intérêt à soulever ce point ? En ont-ils le courage ? La question de la démocratie est-elle compatible avec les facteurs politiques qui les ont propulsés et qui les maintiennent au pouvoir ? « Mon sentiment général – et je regrette de le dire – est qu’il y a une tendance dans le monde arabe à se méfier de la démocratie, dans la mesure où, par réaction contre la politique des États-Unis vis-à-vis d’Israël, l’état d’esprit de certains régimes arabes et l’opinion en général considèrent que l’ordre du monde moderne, donc la démocratie, est un produit de l’histoire européenne et américaine ». Ce qui inquiète Fouad Boutros, c’est qu’il n’a jamais eu l’occasion de voir un gouvernement arabe faire son autocritique, celle censée remplacer plus ou moins l’opposition démocratique. Il tient justement à rappeler à cette occasion que le nationalisme « ne saurait tenir lieu de politique, mais tout au plus servir de toile de fond à une politique qui reste à définir ». Et la vérité qu’il assène, par sa lucidité et son indivisibilité, tombe comme un couperet : « Pour être véritablement démocrate, il faut se demander des comptes à soi-même, d’abord, et aller ensuite jusqu’à oser penser contre soi, pour voir dans quelle mesure on a raison ou tort ». Il rappelle qu’il y a certes, et heureusement, des intellectuels dans les États arabes « qui croient en la démocratie et la prônent, mais la plupart du temps ils sont poursuivis, ils se terrent, ou doivent quitter le pays ». Fouad Boutros insiste surtout sur le fait que « ce sont les jeunes qu’il faut éduquer si l’on veut instituer la démocratie dans le monde arabe. Il n’y a aucune tendance, aucun effort, pour inculquer les idées démocratiques à nos enfants. Il faut une culture démocratique, ce qui implique la réforme des programmes d’enseignement. » Le cas Liban Et si le seul bienfait dont le monde arabe pourrait profiter, une fois cette guerre terminée, serait justement de (re)découvrir la démocratie ? Surtout que l’on ne peut pas remonter le temps et annuler cette guerre... « Certes. Mais si à quelque chose malheur est bon, ce bon ne peut résulter que d’une prise de conscience des gouvernants des États arabes de la nécessité pour eux de faciliter la liberté à l’intérieur de leur pays, de reconnaître la souveraineté de l’individu, sa liberté d’opinion, afin d’amener, naturellement, la démocratie. Je ne pense pas qu’une telle volonté existe vraiment. Le Liban, qui est le plus proche de la démocratie – sous une forme certes originale –, passe, à cause du climat ambiant du milieu dans lequel il évolue, par des moments où il craint que des menaces ne pèsent sur cette démocratie ». Le Liban ne peut pas jouer un rôle-phare après-guerre ? « Je le souhaiterais vivement. Mais avant que de songer à ce rôle que le Liban pourrait jouer, il faut que le Liban soit dans sa plénitude. Or, à l’heure qu’il est, le Liban est à mi-chemin entre l’État réel et l’État virtuel. Aussi, en vue d’éviter qu’un pareil sort ne soit fait à la nation, il faut s’employer à assurer au plus vite son unité, aussitôt que les circonstances régionales le permettront ». Pour cela, Fouad Boutros préconise de procéder à une définition claire des objectifs communs et de leur modalité d’exécution. « C’est-à-dire du rôle dévolu aux acteurs principaux dans le cadre des principes du droit public. C’est sur cela que doit porter le consensus, ainsi que son exécution ». Comprendre par là que l’action en vue d’une mutation en profondeur de la réalité libanaise est « une obligation qui incombe aux Libanais eux-mêmes ». D’ailleurs, l’ancien vice-président du Conseil espère vivement que « le temps viendra où nous pourrions dépasser le stade de la virtualité et conforter l’État et la nation dans tous les sens du terme. Cela implique un accord franc et profond entre les composantes libanaises, dans le cadre d’une relation équilibrée et harmonieuse avec la Syrie. » Et si l’on escomptait un effet boule de neige inverse, c’est-à-dire, pour une fois, positif, si un État arabe donnait l’exemple, d’autres ne pourraient pas suivre ? « Tous les régimes arabes s’accrochent au statu quo, sinon vous leur demandez de se faire hara-kiri. Quel est l’État arabe dont le pouvoir accepterait de courir ce risque ? » Arabes et Américains, et l’outrecuidance israélienne Le risque dans ces conditions, prévient l’ancien chef de la diplomatie, est que la guerre, quels qu’en soient les résultats, entraîne une confrontation plus exacerbée entre l’Amérique et les masses arabes, et cela sous la forme du terrorisme. Et si ces masses arabes laissaient plutôt galoper leur fascination pour les casquettes Nike, le McDonald’s, les stars hollywoodiennes, l’American way of life, aujourd’hui que les GI’s campent dans la région ? « Je n’y crois pas. Quoi qu’il en soit, il est dangereux de prévoir l’avenir, mais je crains qu’à partir du moment où la rancœur dans le monde arabe à l’encontre des États-Unis ira en augmentant, ces signes extérieurs de la puissance américaine ne finissent par être vraiment pris en grippe par la rue arabe. Il faut bien qu’ils expriment leur refus d’une façon ou d’une autre. » C’est d’ailleurs, ajoute-t-il, ce que l’ancien secrétaire d’État US, James Baker, a admis implicitement, quand il a écrit qu’ « une fois l’Irak défait, les troupes US seront considérées par les Irakiens comme une véritable troupe d’occupation. » En ce qui concerne les réactions arabes par rapport aux Américains et à leur utopie, Fouad Boutros estime que pour l’opinion, qu’elle soit arabe ou internationale, « les méfaits et les abus de Saddam Hussein ne sauraient justifier l’attaque armée, ni constituer une excuse absolutoire de celle-ci. Alors que l’existence d’une prétendue relation causale entre ces méfaits et la réaction US – et que certains veulent exhiber – est controuvée par les faits. » Le règlement du conflit israélo-palestinien serait donc la seule solution pour un assainissement de ces relations entre les USA et les masses arabes ? « Il faut d’abord régler le problème avec l’Irak, d’une manière qui ne consacre pas l’hégémonie toute puissante des États-Unis sans contrepoids. Et en même temps, il faut avoir le courage et l’honnêteté d’imposer des solutions justes et équitables pour le règlement du problème palestinien, qui ne soient pas le reflet des ambitions israéliennes ». Celles, en particulier, d’Ariel Sharon. Justement, quel regard porte le gouvernement israélien actuel sur la présence, quasiment à ses portes, de l’armada militaire US ? Est-il à 100 % satisfait de cette guerre, comme tendent à le penser bon nombre de personnes ? « Israël est enchanté par cette guerre. À telle enseigne qu’il s’est vanté, il y a deux jours, de refuser, pour mille et une raisons, la feuille de route, en demandant un amendement de quasiment tous les points. Cela vous donne une idée de l’outrecuidance israélienne, et de l’appui que ce pays escompte de la part des États-Unis ». Donc, automatiquement, les relations américano-arabes vont être les grandes perdantes ? « C’est le système des vases communicants malheureusement. Mais si les États-Unis acceptent, à un moment ou à un autre, de voir l’Onu ou l’Union européenne jouer un rôle dans cette région et après la guerre, il y a plus de chance qu’on puisse aboutir à un résultat. Parce que les États européens sont bien plus conscients des intérêts légitimes du monde arabe et du peuple palestinien. Ils ont une autre approche du problème et ils sont plus sensibilisés ». Va-t-on seulement les laisser s’exprimer ? La Ligue, ce « non-être » L’avenir de l’Europe ne semble donc pas plus brillant que celui du monde arabe... « Il me paraît difficile d’imaginer un monde où l’Amérique s’isolerait de la plupart des membres de la communauté internationale. Mais maintenant que l’Europe est à 25 membres, je me demande quel avenir elle peut avoir, quelle cohésion, et si à 25, il reste encore une communauté homogène qui s’appelle l’Europe. » Fouad Boutros ne résiste pas à l’envie de citer Romain Gary, un eurosceptique aigre-doux. « L’Europe ne renvoie à aucune réalité effective. C’est un théâtre de l’esprit, une manière de rêver indéfiniment l’humanité plutôt que la barbarie. » Ça ne mène pas loin, sourit Fouad Boutros : « J’espère vraiment que ce n’était qu’une boutade », dit-il. Fouad Boutros en profite, une fois le sujet des contrepoids éventuels lancé, pour laisser libre cours aux reproches, aux regrets, qu’il exprime en ce qui concerne la Ligue arabe et son activité tout au long des dernières décennies. « Quel est l’avenir du monde arabo-musulman, et quel rôle peut-il jouer sur la scène internationale ? Sachant qu’il représente une force démographique et économique très importante. La Ligue arabe n’a pas cessé de faillir à sa mission depuis des dizaines d’années, c’est un non-être plutôt qu’une institution. Surtout que nous savons combien la plupart des États qui la composent pratiquent la duplicité, le double jeu, la surenchère, pour, en définitive, déboucher sur un résultat nul, sinon négatif. Et si la Ligue arabe veut réellement remplir sa mission, elle aurait pu contribuer sérieusement à freiner les États-Unis dans leurs débordements dans la crise irakienne ». Si l’Union européenne et la Ligue arabe n’étaient pas aussi divisées, y aurait-il eu guerre d’Irak ? « Il est certain que l’équilibre des puissances dans le monde aurait été différent, que la sécurité collective aurait eu un autre sens. Aujourd’hui, autour des USA, il y a plus ou moins un vide, et par leur puissance à tous les niveaux, ils influent sur bon nombre de pays, qu’ils soient européens ou autres ». Y a-t-il abdication de ces pays ? « L’humanité est en train d’amorcer un virage. Et s’il faut croire Valéry, qui disait que nous entrons dans l’avenir à reculon, il nous est pratiquement impossible d’évaluer cet avenir. Les générations futures le feront, mais il est possible que la carte du monde soit à la veille d’être refaite d’une manière ou d’une autre ». Mythe et mensonge Qu’adviendra-t-il de l’Arabie saoudite ? Va-t-elle préserver ses relations privilégiées avec les États-Unis ou sera-t-elle remplacée ? « Jusqu’à aujourd’hui, les USA ont été très conciliants, très compréhensifs et indulgents à l’égard du pouvoir saoudien. Et je comprends leur attitude, étant donné la mentalité du peuple saoudien. Si on devait brutalement ébranler la dynastie actuelle en vue de créer une forme de démocratie en Arabie saoudite, il me semble que l’on s’exposerait à des risques importants. Mais il n’est pas impossible de pouvoir aménager le système saoudien d’une manière souple et progressive en donnant davantage de poids à la représentation populaire,à laquelle l’on attribuerait un pouvoir consultatif ou décisoire ». Quelles conséquences de cette guerre sur le Liban ? « Je vous prie de me dispenser de répondre à cette question. Pour éviter de digresser et de s’aventurer dans des prévisions fantaisistes... Nous ne possédons pas les éléments nécessaires pour pouvoir juger, la plupart des pays étrangers non plus. Il faut éviter de se laisser tenter par le mythe. John Kennedy aurait dit ceci : la vérité a deux ennemis, le mensonge et le mythe. Le mythe est bien plus dangereux que le mensonge parce qu’il est plus difficile de s’en débarrasser ». Les conséquences sur la Syrie alors... Même réponse ? « En gros, oui. Mais la Syrie, tant en ce qui concerne les répercussions positives que négatives, se situe sur la ligne de front, comme l’Iran d’ailleurs. Et tout ce qui affectera la Syrie, dans le contexte actuel, se répercutera probablement sur nous d’une manière ou d’une autre. Nous n’allons pas entrer dans des considérations autour des relations libano-syriennes, ou sur la présence syrienne au Liban. J’ai déjà dit que c’était un dossier très important, mais qu’il faut le mettre au réfrigérateur, en attendant que les problèmes de la région soient réglés. Il est certain que cette question doit être abordée un jour, mais dans un esprit très ouvert et dans un climat de confiance de part et d’autre, avec toutes les cartes sur la table ». Et à tous ceux – ils sont nombreux, tant au sein de la rue chrétienne que musulmane – qui espèrent que cette guerre apportera moult changements bénéfiques pour le Liban, et qui jurent leurs grands dieux que c’était la seule chance pour que cela évolue ? « Si cela était, cela prouverait deux choses : d’abord, que tout le monde en a ras-le-bol, de telle sorte que l’on n’espère que la situation va aller en s’améliorant. Je ne voudrais pas à cet égard imaginer une seconde que dans leur esprit, implicitement, ils soient persuadés que n’importe quoi vaut mieux que le statut quo. Cela serait inacceptable, et je ne souscris pas à ce point de vue ». À méditer sans modération. Ziyad MAKHOUL
S’il organisait, chaque semaine, un séminaire de travail, un enseignement de la politique, auxquels seraient tenus d’assister les neuf-dixièmes des responsables politiques, c’est la Suisse elle-même qui tendrait à devenir le Liban de l’Europe. Certes, ils sont nombreux, très nombreux, celles et ceux désignés – parfois élus – pour tenir les rênes du pays, ou celles...