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Malgré la guerre, les irakiens de Jordanie rentrent chez eux

Amman, de notre envoyée spéciale Joanne FARCHAKH Alors que les troupes américaines s’apprêtent à reprendre leur progression vers Bagdad, des milliers de jeunes Irakiens quittent la Jordanie en route vers l’Irak. Ils répondent à l’appel du pays, de la famille, de la tribu et de la religion. À l’ambassade d’Irak, ils s’entassent sur les quelques sièges ou s’assoient à même le sol. Ils attendent leurs passeports. Ils sont tous dans une situation illégale en Jordanie. Maintenant, ils veulent retourner au sein de leurs familles pour rester avec eux et partager leurs souffrances. Aucun d’entre eux ne mentionne le nom de Saddam Hussein. Aucun d’entre eux ne se dit prêt à mourir pour lui, mais ils assurent tous qu’ils y vont pour rester auprès des leurs. Leur ambassadeur, M. Sabah Yassin, s’adresse à eux – dans un petit discours spontané et visiblement inhabituel – c’est pour leur rappeler que cette guerre est contre leur foi. « Concitoyens, leur crie-t-il, l’Irak c’est la terre de Ali et de ses fils Hussein et Abbas. C’est la terre des imams et des grands martyrs de l’islam, allons nous l’abandonner ? Nous n’avons qu’un seul pays, si nous ne le défendons pas, qu’allons nous devenir ? Vos parents et grands-parents sont enterrés là-bas, ne les laissez pas seuls et qu’ils n’aient pas honte de vous. Retournez dans votre pays, auprès des vôtres et nous serions victorieux, si Dieu le veut », poursuit-il. Si le nom du président Saddam Hussein n’a pas été mentionné dans ce petit discours, c’est bien volontairement. « Ces hommes ne sont pas baassistes (membre du parti Baas irakien), affirme t-il. Ce sont de simples citoyens prêts à mourir pour leur pays et leur foi. Il est de mon devoir de les encourager et de faciliter leur voyage », assure t-il à L’Orient-Le Jour. Mais qu’en est-il de leur sécurité ? Le bus qui les attend de l’autre côté de la frontière pour les accompagner jusqu’à Bagdad pourrait être une cible pour les missiles américains. D’ailleurs, plus de cinq chauffeurs jordaniens ont déjà trouvé la mort sur la route reliant Bagdad à Amman. Les envoie t-on à la mort ? « Je ne leur donne aucune garantie, mais ce sont des civils qui rentrent chez eux. Ils ne sont pas armés et leur véhicule n’est pas militaire. Pourquoi les Américains vont-ils leur tirer dessus ? » se demande t-il. Ceci ne semble toutefois pas préoccuper ces jeunes irakiens. « La mort nous traque partout. Une voiture peut très bien me renverser à ma sortie de l’ambassade », m’explique Ali, 34 ans, originaire de Bagdad. « Pour nous autres musulmans, la mort est un droit, nous ne la craignons pas, Dieu seul peut décider de ma vie. Maintenant que j’ai mon passeport, je vais prendre le bus pour rentrer chez moi », poursuit-il. Le passeport en question est en fait un assemblage de photocopies sur lesquelles est marqué le nom du voyageur et collée sa photo. « Nous n’étions pas préparés à ce flux d’Irakiens sans papiers d’identité. Il fallait improviser pour répondre aux 6 000 demandes remplies à l’ambassade en dix jours », explique Yasser, un employé de l’ambassade. Pour les autorités jordaniennes ce papier estampillé est largement suffisant pour permettre à ces voyageurs de quitter le territoire. En fait, cette guerre s’est avérée être une occasion en or pour la Jordanie de se débarrasser des milliers d’ouvriers et de vendeurs ambulants irakiens vivant illégalement dans le pays depuis des années. Le ministre de l’intérieur a même facilité leur voyage en publiant un décret permettant à tout Irakien, même recherché par la police, de quitter le pays si telle est sa volonté ! Mais ironie du sort, ce même ministère ferme sa frontière devant toute autre personne. Il est en effet impossible de rentrer en Irak par la Jordanie. La famille, premier motif du voyage À deux heures de l’après-midi, l’ambassade irakienne à Amman est vide. Ils sont tous partis à la station de bus où les chauffeurs se disputent cette rare clientèle en temps de guerre. Certains n’ont même pas hésité à faire des réductions de prix pour attirer ces voyageurs à sens unique. Le billet se vend maintenant à 5 dinars jordanien (7 $, 6,36 euros) au lieu de 10. « Les bus nous mènent jusqu’aux douanes jordaniennes, après, on ira à pied jusqu’à la frontière irakienne, explique Abbas. À partir de là, si Dieu le veut, tout ira bien. » Ils savent qu’un autre bus les attend à la frontière. Ils savent qu’ils risquent d’être engagés dans les batailles. Pourtant, ils prennent avec eux leurs malles, remplies de cadeaux. Hussein, Abbas, Ali et Dakhel étaient de simples ouvriers, maintenant ils veulent retourner au sein de leurs familles à Bassora et Nassiriyah pour les secourir et alléger ce fardeau. « Mes trois frères sont enrôlés dans l’armée, mon père âgé de 75 ans s’occupe de toutes ses belles-filles et ses petits-enfants. C’est une tâche lourde pour un homme de son âge. Je veux aller les secourir et rester avec eux dans les moments difficiles », affirme Dakhel âgé de 48 ans, veuf et père de deux filles. Cette même volonté se lit sur tous les visages. Pour Badrieh, 51 ans, la situation est encore plus dramatique. Elle a quitté son fils, ses six filles et ses petits-enfants pour venir vendre des cigarettes à Amman. Ils vivent tous à la Cité de Saddam, le quartier le plus pauvre de Bagdad. Son fils est parti à la guerre. Elle ignore tout de sa destination et n’a pas réussi à joindre le reste de sa famille depuis le début de la guerre. Elle retourne au pays. « Même si je dois traverser le désert à pied, j’y vais. Aucune mère ne laisse ses enfants en temps de guerre », crie t-elle en arrangeant sa grande robe noire. Ils sont maintenant assis dans le bus. Silencieux, ils se regardent. Chacun à sa manière suit les nouvelles diffusées par la radio. Certains larmoient, d’autres prient, d’autres se serrent les poings. L’ambiance est poignante. Résignés et résilients plus que jamais, ces hommes retournent au pays pour revoir leurs familles, mais qui sait ce qui les y attend ? Ils y vont quand même, paraissant redouter, davantage que la mort, l’opprobre de leur propre clan.
Amman, de notre envoyée spéciale Joanne FARCHAKH Alors que les troupes américaines s’apprêtent à reprendre leur progression vers Bagdad, des milliers de jeunes Irakiens quittent la Jordanie en route vers l’Irak. Ils répondent à l’appel du pays, de la famille, de la tribu et de la religion. À l’ambassade d’Irak, ils s’entassent sur les quelques sièges ou...