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Actualités

Courrier « Pax Americana »

À mesure que les bruits de bottes se font de plus en plus insistants dans le Golfe, l’ensemble des médias nous ressert à l’envi l’idée que l’offensive américaine a pour but d’établir dans toute la région une « Pax Americana ». Or, ce terme de conception récente, et que l’on trouve partout, ne reflète en rien la réalité de la situation géostratégique actuelle. Est-il raisonnable, en effet, de parler de « Pax Americana » dans les zones où les États-Unis ont imposé leur « ordre » ? Peut-on parler de paix en Afghanistan, alors que les chefs de guerre traditionnels, désormais libérés de toute contrainte par l’armée d’occupation, rançonnent de plus belle des populations locales sans aucun recours, tandis que cette armée maintient, dans la capitale, un calme factice ? Peut-on parler de paix en Somalie, où l’on continue à se battre en sourdine, tandis que la faim et la maladie font des ravages ? Peut-on parler de paix dans les territoires occupés, où l’Oncle Sam, empêchant le plus petit changement, chaque jour amène auprès de populations privées d’espoir son lot de violences et de misère ? La paix existe-t-elle plus dans les monarchies pétrolières du Golfe, maintenues en place par Washington, et où la moindre velléité de liberté individuelle est aussitôt réprimée ? Et peut-on appeler paix un système économique où les plus pauvres meurent par millions, faute de médicaments efficaces dont les brevets sont jalousement gardés par des multinationales pharmaceutiques et où, en Asie, des enfants travaillent jusqu’à quatorze heures par jour pour que d’autres enfants, obèses de s’être gavés jusqu’à la maladie, portent des tenues à la dernière mode ? On a plutôt l’impression d’une gigantesque marmite – car, à la mondialisation de l’économie répond la mondialisation des idées –, où bouilliraient, pêle-mêle et dans l’anarchie la plus absolue, frustrations religieuses, aspirations nationalistes, et surtout un désespoir matériel sans précédent créant, aux portes de l’Occident, une formidable pression démographique. La domination américaine, loin d’apporter la paix, fait donc plutôt penser à un lourd couvercle posé sur une cocotte-minute dont la dernière soupape est, hélas, la radicalisation de la pensée. Point n’est besoin d’être Denis Papin pour savoir que, couvrir hermétiquement une soupe en ébullition ne fait qu’en augmenter la pression jusqu’à l’explosion finale. Or, il est plus que douteux que l’Amérique puisse en assumer les conséquences. Cependant, les seuls à ne pas sembler mesurer le danger qui menace la structure mondiale sont, précisément, les plus concernés, car cela tient au type même de leur domination. En effet, si le terme de « Pax Americana » établit un parallèle évident avec la « Pax Romana », l’ordre établi par les Romains autour du bassin méditerranéen au fur et à mesure de l’expansion de l’empire, les bases et la structure de ces deux hégémonies n’en sont pas moins radicalement différentes, pour ne pas dire totalement opposées. Car l’empire romain s’est construit par assimilation progressive des populations dominées, ce qui se reflète dans l’évolution de l’art – lequel s’est enrichi progressivement d’apports étrangers, grecs, d’apports orientaux, ensuite – et des cultes, les courants orientaux s’étant fait une place de plus en plus grande dans la vie spirituelle, jusqu’à la conversion finale de Constantin. La vie politique, elle, a suivi de près ce courant d’assimilation, le Sénat et l’ordre équestre s’ouvrant de plus en plus largement aux « provinciaux ». C’est la raison même pour laquelle l’ordre romain – quoique, lui aussi, imposé par la force – s’est ancré si profondément que le monde entier fonctionne, pour ses échanges, avec le calendrier romain, l’alphabet romain et des langages dérivés du latin, alors que bon nombre de pays légifèrent dans un esprit directement hérité du droit romain. La domination américaine, au contraire, loin de rallier les consciences, suscite, dans toute la planète, un rejet qui va jusqu’à la haine. Car, contrairement à Rome, les États-Unis ignorent superbement les spécificités locales, tentant d’imposer par la force un modèle socioéconomique en complet décalage avec les aspirations des populations. La physique en a démontré les raisons depuis longtemps : la réaction est à la mesure de la contrainte exercée : extrême. La « Pax Americana » n’est donc, au plus, qu’un fragile équilibre, maintenu par la force, économique et militaire, au prix d’un mécontentement sans cesse croissant. Que Dieu ait pitié de nous lorsque même la puissance de l’Amérique ne pourra plus empêcher l’explosion de cette bombe à retardement ! Mustapha ADIB Mustapha Professeur à l’École militaire et à l’Université libanaise
À mesure que les bruits de bottes se font de plus en plus insistants dans le Golfe, l’ensemble des médias nous ressert à l’envi l’idée que l’offensive américaine a pour but d’établir dans toute la région une « Pax Americana ». Or, ce terme de conception récente, et que l’on trouve partout, ne reflète en rien la réalité de la situation géostratégique actuelle....