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Le flot attendu par les autorités jordaniennes se fait toujours attendre Entre préparatifs et réfugiés : les malheurs commencent (photo)

Rwaishid – Jordanie Joanne FARCHAKH Une étrange atmosphère règne à Rwaishid, village situé sur la frontière irako-jordanienne, à 300 km de Amman. C’est ici qu’ont été installés les camps des réfugiés irakiens, tant attendus depuis une semaine. Les bus sont alignés, les volontaires de la Croix et du Croissant-Rouges jordaniens sont au garde-à-vous et les dizaines de journalistes font la queue tous les matins devant le poste-frontière. Tout le monde attend ces Irakiens qui, semble-t-il, ne veulent pas quitter leur pays. En fait, dans ces camps élevés pour abriter 25 000 personnes, quelque deux cents Soudanais et leurs familles seulement ont trouvé refuge. Toutefois, les responsables jordaniens des aides humanitaires aux réfugiés irakiens collaborent activement avec les responsables du Haut-Commissariat de la Croix-Rouge pour rendre ces lieux sinistres habitables. Rwaishid ne peut être considérée comme une région particulièrement accueillante pour des personnes traumatisées par une guerre. C’est une zone hautement militaire, un coin perdu dans le désert où le vent de sable – glacial en cette période de l’année – ne cesse de souffler. Les réfugiés, bien encadrés par l’armée, sont alors coupés du reste du monde en attendant d’être rapatriés. Le choix de cet emplacement répond alors parfaitement à la politique de l’État. « La Jordanie n’a accepté d’accueillir des réfugiés irakiens que suite à un versement de 57 millions de dollars par l’Onu et à une donation japonaise de plusieurs millions », assure un employé au bureau des Nations unies à Amman, ayant requis l’anonymat. Où sont donc tous ces réfugiés irakiens qu’attendaient les pays d’accueil frontaliers. « Il m’est impossible d’expliquer ce phénomène, affirme M. Douglas Osmond, responsable au Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, mais je peux vous assurer qu’aucun mouvement de population n’a été repéré par les satellites américains placés au-dessus du sol irakien et, à notre connaissance, les frontières sont encore ouvertes. » Cela n’est pas l’avis de deux boucliers humains espagnols ayant quitté Bagdad dimanche soir. Selon ces jeunes, leur chauffeur de taxi a été obligé de rebrousser chemin à la frontière jordanienne, car les douanes irakiennes lui ont interdit la route de Amman. Les réfugiés soudanais racontent le bombardement Deux cent cinquante Soudanais vivent actuellement à Rwaishid dans le camp de la Croix et du Croissant-Rouges jordaniens. Ils sont arrivés après la première nuit de bombardements et attendent d’être rapatriés au Soudan. « On avait tout préparé pour rester en Irak durant la guerre, explique Makka, 17 ans, mais la première nuit de bombardement était terrifiante. Les sirènes n’ont pas arrêté de hurler toute la nuit. L’immeuble tremblait comme un roseau dans le vent. Et quand le missile a éclaté dans l’usine pour l’extraction de l’huile, où mon père travaillait, toutes les fenêtres de la maison sont tombées en morceaux. C’est alors qu’on a décidé de quitter Bagdad. On a juste pris quelques habits et la télévision. Elle est toute neuve encore, mon père l’a achetée le mois passé pour suivre les nouvelles », poursuit-elle tout en ajustant son hijab et en dissimulant de sa main son sourire ironique. Une télé et quelques pulls, voilà ce qui leur reste de leur vie précédente, et le cauchemar est encore à ses débuts. Ils quittent une guerre (l’Irak) pour aller se réfugier dans une autre (le Soudan). « Ma vie est à Bagdad, tous mes amis sont là-bas », explique Rami, 12 ans tout en ajustant son képi Unicef. « J’ai peur pour eux et je ne connais pas Khartoum, je ne veux pas y aller, poursuit-il. Puis vivre ici dans les tentes n’est pas très mauvais, tu crois qu’on y peut rester jusqu’à la fin de la guerre et après on retourne à la maison ? » me demande-t-il, tout en me regardant de ses yeux larmoyants où se lit toute la tristesse du monde. Sa petite sœur Soha, 8 ans, saute d’un pied à l’autre en me racontant « que sur la route, un missile a frappé une station d’essence. La terre a tremblé sous notre bus. Puis le chauffeur a fait demi-tour, car il voulait secourir les gens là-bas. Mais ils brûlaient tous », raconte-t-elle horrifiée. Il est en fait difficile de qualifier les enfants de Rwaishid « d’insouciants ». Ils pensent à tout, voient tout et oublient très souvent de jouer. Ce sont en fait les moniteurs du Croissant-Rouge jordanien qui les initient au cache-cache et leur organisent des séances de jeu. Ils ne sont cependant pas les seuls habitants de ce camp à souffrir autant. Même les adultes pleurent. Pour Samy, les malheurs viennent de commencer. Déambulant entre les tentes, il regarde le ciel et sèche ses larmes. Cet homme costaud, âgé de 43 ans, a tout perdu. Sa fiancée est restée en Irak avec ses parents. Son garage (il est mécanicien) situé au sud de Bagdad, à proximité d’un palais présidentiel est fermé et les fruits de quinze ans de travail sont restés là-bas. « Je n’ai plus rien. J’ai tout perdu. Il ne me reste plus que ma chemise et mon pantalon, dit-il en pleurant. Je ne sais pas pourquoi j’ai quitté. Je regrette l’instant même où j’avais pris ce bus. Non seulement j’ai tout perdu, mais j’ai trahi mes amis. Ils m’ont aidé, soutenu, secouru, et en entendant les sirènes et les premiers bombardements, je les ai quittés », déplore-t-il en chancelant sur la tente comme si sa culpabilité le tue. Samy retourne dans son village natal tel qu’il l’a quitté il y a quinze ans : sans un sou. Samy affirme qu’il ne pleure pas seulement son avenir mais aussi le sort de Irakiens. « Je vivais au sein d’une tribu sunnite, raconte-t-il. Certes, ils ont peur des Américains, mais ils craignent encore plus les chiites. Ils disent que les massacres de 1991 vont se répéter, et cette fois Saddam Hussein ne serait pas au pouvoir pour “remettre de l’ordre”. Ils sont tous armés, même les enfants. Ils portent leurs fusils et attendent la mort devant la porte de leurs maisons. Ce peuple n’a rien fait pour mériter un tel calvaire. L’enfer qui se déroule là-bas est injuste. »
Rwaishid – Jordanie Joanne FARCHAKH Une étrange atmosphère règne à Rwaishid, village situé sur la frontière irako-jordanienne, à 300 km de Amman. C’est ici qu’ont été installés les camps des réfugiés irakiens, tant attendus depuis une semaine. Les bus sont alignés, les volontaires de la Croix et du Croissant-Rouges jordaniens sont au garde-à-vous et les dizaines de...