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CONFÉRENCE -Le professeur américain d’origine palestinienne enthousiasme son auditoire à l’Alumni Édouard Saïd : La guerre ne peut pas produire la démocratie(photos)

Le moment est émouvant. La foule variée qui remplit l’immense auditorium de l’Alumni Club se lève comme un seul homme pour applaudir Édouard Saïd. Jeunes, vieux, Libanais, Palestiniens ou Américains et même deux ministres, l’un discret, venu en intellectuel, Ghassan Salamé, et l’autre plus soucieux de se faire entendre, Karam Karam, tout le monde veut rendre hommage au professeur américain d’origine palestinienne, qui, dans le désert arabe, a souvent représenté la lumière du savoir et donc l’espoir d’un avenir meilleur. Intimidé, touché dans sa modestie, le Dr Saïd baisse les yeux, tripote ses notes, mais tant de chaleur ne peut le laisser indifférent, tant elle exprime une soif d’entendre autre chose. Et le Dr Saïd donnera à ses auditeurs ce qu’ils veulent, une réflexion profonde sur l’humanisme, dans un monde où seule la puissance parle et ouvre la voie à la domination. Comment rendre compte d’une conférence au contenu d’une telle profondeur qu’il se marie difficilement avec les articles de presse ? À l’heure où le bruit des bombes retentit jusqu’au fin fond de la planète, Édouard Saïd préfère parler de valeurs humanistes et du combat pour préserver l’histoire et la mémoire, afin de ne pas se laisser limiter par une seule vision du monde, comme le fait, selon lui, l’Administration Bush. Les centaines de personnes, carrément entassées les unes sur les autres, écoutent religieusement, faisant rapidement taire ceux qui ont des velléités de bavardage. Mais le zèle ne va pas jusqu’à éteindre les téléphones portables, ce serait trop demander. Le Dr Saïd commence par lancer à ses auditeurs qu’ils en savent probablement autant que lui sur la guerre contre l’Irak. C’est pourquoi, il vaudrait mieux se livrer à une réflexion sur le rôle des humanistes et les moyens de résister à la vision unique de la puissance et de la domination. Le professeur critique, au passage, la nouvelle forme militaire de l’humanisme, telle que présentée par le président américain George Bush, qui affirme vouloir donner un avenir meilleur aux Irakiens, aux Arabes et aux musulmans en général. Évidemment, selon le Dr Saïd, une guerre peut difficilement apporter la démocratie. D’autant que l’arrivée de Bush au pouvoir est une véritable atteinte à la démocratie aux États-Unis, puisque l’homme a perdu le vote populaire. « D’ailleurs, qui a dit que les élections sont l’expression de la démocratie ? Bush a dépensé des sommes astronomiques pour gagner le vote des électeurs. Saddam Hussein a aussi organisé des élections... Non, la démocratie, c’est la tolérance, le souci des autres, la compréhension et surtout le fait d’accepter que l’on vit dans un monde où plusieurs visions existent. » Édouard Saïd s’étend longuement sur le langage qui prévaut au sein de l’équipe au pouvoir aux États-Unis, depuis le 11 septembre 2001 notamment. En gros, ce serait quelque chose comme : « Notre Dieu et leur diable, nous sommes civilisés et ils sont barbares. » Mais les anciens colonisés n’ont pas encore oublié ce qu’ils ont subi, sous couvert « d’être civilisés ». Pour le Dr Saïd, l’humanisme est une valeur séculaire, qui n’a rien à voir avec « l’illumination religieuse » à la George Bush. D’ailleurs, le professeur précise que le fondamentalisme religieux de Bush est comme celui des colons en Israël. Il faut donc, selon lui, retrouver la réalité du langage qui a été volé par les nouvelles idéologies. Finalement, cinq à six sociétés dans le monde monopolisent l’image et c’est pourquoi l’humanisme, c’est aussi de rechercher ce qui est caché. La vision unique produit l’arrogance qui engendre l’intolérance. Or nous vivons dans plusieurs mondes « et le plus terrible, c’est de n’en voir qu’un ». Le rôle des humanistes serait donc de donner une autre lecture de la situation. Or, le professeur déplore le fait qu’aujourd’hui, de nombreux intellectuels sacrifient leur intégrité pour satisfaire les « think thank » du Pentagone, en leur inventant les doctrines qu’ils souhaitent entendre, pour justifier les bombes ou le budget militaire exorbitant, etc. Ce qu’il faut donc, c’est apporter une alternative, préserver la mémoire, l’histoire qui est un bien précieux, et non pas une page tournée comme le dit avec mépris le secrétaire américain à la Défense, en utilisant l’expression « c’est de l’histoire ». Selon le Dr Saïd, il ne faut pas croire que les États-Unis c’est uniquement Bush et son équipe, ainsi que les juifs d’Amérique « qui réussissent à créer un monde imaginaire qui rend Disney World plus réel ». « Il existe, dit-il, une autre Amérique, à laquelle j’appartiens, et où les citoyens éprouvent un profond sentiment de trahison. Ils souhaitent en savoir plus. Leur grand problème, c’est l’ignorance. Il faut donc les aider à trouver ce qu’ils cherchent. » Le Dr Saïd ne se fait certes pas d’illusions et il sait que les humanistes ne peuvent pas être victorieux, mais au moins, ils peuvent influer sur le cours des événements. Concernant la situation en Palestine, le professeur a réitéré ce qu’il a dit déjà à plusieurs reprises, à savoir que la solution ne peut être dans la division et la partition, mais dans la coexistence au sein d’une structure qui reste à trouver. Ce qui a choqué certains auditeurs qui se sont empressés de demander comment il peut parler de coexistence dans les circonstances actuelles. Et le Dr Saïd de préciser alors qu’il se projette dans l’avenir. « Pour l’instant, c’est sûr, il s’agit de résister et de survivre au génocide. Mais plus tard, il faudra penser à l’avenir. Il ne faut pas croire que les sionistes sont un cas isolé. Il y en a plusieurs formes dans le monde, malheureusement. Notre combat n’est pas une lutte isolée, unique. C’est celui de toute l’humanité. » Incident à signaler, un homme prend la parole, en principe pour poser une question, mais le voilà qui sort une dizaine de feuillets et qui commence à lire une déclaration aussi pompeuse qu’inutile, puisqu’il ne veut pas reconnaître Bush comme le président des États-Unis. Les organisateurs cherchent à le faire taire, lui retirent le micro, mais il continue à lire, perdu dans son univers. Édouard Saïd ne veut pas le brimer, mais c’est la salle tout entière qui le hue, avec colère, puisqu’il prend le temps précieux de l’orateur. Au-delà du comique, la situation est surtout pathétique. Rabroué, l’homme n’a trouvé que ce lieu pour se faire entendre, sans comprendre que ce qu’il a à dire n’intéresse personne. Scarlett HADDAD
Le moment est émouvant. La foule variée qui remplit l’immense auditorium de l’Alumni Club se lève comme un seul homme pour applaudir Édouard Saïd. Jeunes, vieux, Libanais, Palestiniens ou Américains et même deux ministres, l’un discret, venu en intellectuel, Ghassan Salamé, et l’autre plus soucieux de se faire entendre, Karam Karam, tout le monde veut rendre hommage au...