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Un riche florilège d’œuvres classiques mais aussi du tango du meilleur cru Trio Fratres, ou les nouvelles lettres de noblesse de l’accordéon

Un monde sonore original et amusant. L’accordéon sous les feux de la scène comme pour retrouver ses nouvelles lettres de noblesse ou une plus forte insertion dans le paysage musical. Non dans son bagout populaire, folklorique avec flonflons de bal musette, mais à travers des partitions périlleuses de grands compositeurs classiques alors que l’accordéon n’était pas encore né. Joli paradoxe relevé avec infiniment de talent et de sérieux par trois « frères » à la complicité de scène totale et au talent au-dessus de tout éloge. Sous la flaque de lumière d’une scène éclairant trois chaises et trois pupitres, et en association avec le festival d’Helsinki, le Trio Fratres, composé de Toni Hämäläinen, Heikki Jokiaho et Raimo Vertainen, a offert aux mélomanes du Bustan (très peu nombreux ce soir-là) un riche florilège d’œuvres classiques (transcrites pour l’accordéon) mais aussi du tango du meilleur cru, chaloupé et alangui. Se sont succédé donc des pages de Stravinsky, Rechberger, Mozart, Pärt, Tchaïkovsky, Tiensuu, Piazzolla, Sting, Chostakovitch et Khatchadourian. L’accordéon dépassant de loin ses propres ressources et dans un étincelant métissage de diverses cultures musicales à travers un incroyable voyage dans le temps, les lieux et les époques. Ouverture inattendue et captivante avec un air de carnaval russe à travers la somptueuse et mystérieuse partition de Petrouchka d’Igor Stravinsky. Fête foraine où une marionnette, clown pathétique, est follement éprise d’une poupée ballerine tout aussi en chiffon et bois peint… Images d’une recherche sentimentale improbable à travers le brouhaha d’un monde grouillant et que les trois accordéons servent à grandes bouffées de vent et pression d’une forêt de boutons nacrés... Plus orientale et élégiaque est cette œuvre de Hermann Rechberger, justement intitulée Assahra. Chant brûlant du sable du désert ou simple joie d’une soirée (à vous de décider pour la prononciation et avoir la clef du mystère) ou peut-être les deux à la fois, voilà une belle mélopée oscillant entre lyrisme nu et gaieté folklorique tunisienne. Changement d’atmosphère et de monde avec deux sonates de Mozart qui transposent le raffinement et l’élégance des salons de Vienne aux flonflons des claviers et « mentionnières » de trois accordéons qui rendent pourtant toute la beauté et la spontanéité des deux œuvres du génie de Salzbourg. Habit séduisant, tout aussi étincelant mais inattendu pour le divin Mozart qui n’avait certainement pas pensé à ces instruments (cousin germain de l’orgue de barbarie à l’époque?) quand il composait encore pour le clavecin ou la flûte... Pour le côté insaisissable et éthéré d’une musique viennoise toute en vivacité et légèreté, voilà la voix gouailleuse d’un instrument bien populaire. Mais cela se marie fort bien et comme pour les êtres vivants l’alchimie reste absolument secrète! Pour terminer la première partie du programme, un collage sur B.A.C.H. d’Arno Part. Sur un air de structure sérielle tout en dissonance harmonique qui va en s’enflant graduellement, voilà, surprise, que les trois accordéons terminent pour La toccata sur un ronflement d’orgue tel un accord à la Charles-Marie Widor! Après l’entracte, place au plus cosmopolite des musiciens russes. De Tchaïkovsky, on écoute ce tendre et enveloppant Andante cantabile op 11 qui fit pleurer, paraît-il, le colosse Tolstoï lorsqu’il l’entendit pour la première fois en 1876. Passion ardente que Tchaïkovsky connaît pertinemment pour l’avoir éprouvée dans la souffrance, la frustration et l’humiliation. Complainte et tristesse rendues plus proches grâce à ces accordéons qui savent ce qu’est la douleur d’aimer... De Jukka Tiensuu, le Fra tango, transcription inspirée d’un célèbre fandango. Et il est tout à fait naturel que suit la voix de celui qui utilisa à si bon escient le bandonéon et nous nommons bien sûr Astor Piazzolla dans un Ballet tango. Volutes lascives et volupté de rêver à travers la chaleur et la fièvre des nuits argentines pour une narration syncopée contant avec une verve mélancolique le blues des solitaires et des amours défuntes. Ballet des sentiments errants et des personnages qui ont le vague à l’âme. De Buenos Aires, on passe au tube de Sting Un anglais à New York. De mégalopole en mégalopole, voilà les êtres en découverte de soi, des autres et de la vie. Rythme et murmure d’une musique qui a touché plus d’un cœur et a été fredonnée par toutes les lèvres. Sting en chantre des villes tentaculaires… Plus sage dans sa fraîcheur sautillante et ses audaces post-romantiques est cette Polka, plébiscitée par tous les publics du monde et qui fait toujours la joie des auditeurs. Ici on l’écoute dans une version inédite mais avec un plaisir différent. Celui des accordéons qui font des tours de magie… Pour conclure, tiré du ballet Gayaneh d’Aram Khatchadourian, la fameuse Danse de sabre. Morceau de bravoure par excellence, flamboyant avec ses couleurs grenat d’une Arménie aux cavaliers intrépides et bondissants, ce passage d’une virtuosité absolue dans son rythme accéléré et sa mélodie prenante a été acclamé universellement. Applaudissement soutenu du petit cercle d’auditeurs (dont quelques jeunes accordéonistes chevronnés dans la salle) et un rappel. En «encore» un tango finnois intitulé Quand le soir tombe dans la pure tradition de cette danse aux postures aguichantes, aux mouvements lents, chargée d’une étrange et tonique aura érotique. Comme pour restituer aux accordéons leur vertu première et leur initial pouvoir de séduction. Edgar DAVIDIAN
Un monde sonore original et amusant. L’accordéon sous les feux de la scène comme pour retrouver ses nouvelles lettres de noblesse ou une plus forte insertion dans le paysage musical. Non dans son bagout populaire, folklorique avec flonflons de bal musette, mais à travers des partitions périlleuses de grands compositeurs classiques alors que l’accordéon n’était pas encore...