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Crise irakienne - Série d’entretiens de l’ancien chef de l’État à Washington, Bagdad et Paris Gemayel à « L’Orient-Le Jour » : Pour les USA, la guerre servira de catalyseur à une évolution des mentalités dans la région

Quel rôle le président Amine Gemayel pourrait-il jouer dans le contexte du branle-bas international actuel lié à la crise irakienne ? Quel est l’objet réel de la série de réunions qu’il a tenues depuis le début de l’année, d’abord avec le président Saddam Hussein et ses principaux collaborateurs, puis avec les hauts responsables américains et français, sans compter les concertations entreprises fin janvier avec le Saint-Siège ? Le président Gemayel se montre peu loquace sur ces questions. Mais la discussion à bâtons rompus que nous avons eue avec lui apporte quelques éclaircissements sur ce plan et fournit surtout des indications sur l’état d’esprit dans lequel lui sont apparus les interlocuteurs américains et irakiens qu’il a rencontrés ces dernières semaines. C’est à la faveur des relations qu’il maintient à Washington et des liens étroits qu’il entretient avec l’Administration Bush, plus particulièrement avec le secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld, que le président Gemayel a perçu dès l’année dernière les indices précurseurs de la guerre qui se préparait contre l’Irak. Il avait rencontré M. Rumsfeld en juin 2002. Le secrétaire à la Défense avait même donné un dîner en sa résidence en son honneur. L’ancien chef de l’État avait tenu, dans le sillage de cette visite, une réunion avec les proches collaborateurs du chef du Pentagone. « J’avais pu alors constater que l’équipe du président Bush est déterminée à faire bouger les choses au Proche-Orient, l’affaire irakienne devant servir de détonateur ou de catalyseur à un tel changement », souligne-t- il. L’ancien chef de l’État relève que l’objectif des États-Unis est de « tenter de faire évoluer les mentalités des régimes et des peuples de la région vers une culture de la démocratie et de la tolérance qui devrait remplacer la culture de la violence ». « Les responsables américains, précise le président Gemayel, considèrent qu’il existe globalement deux foyers de terrorisme : le foyer idéologique, qui s’est sensiblement affaibli avec la chute de l’Union soviétique, et le foyer fondamentaliste qui génère de plus en plus, selon eux, le terrorisme. C’est donc à ce second foyer qu’ils s’attaquent à présent. Ils ont noté dans ce cadre que le phénomène de Ben Laden est le pur produit d’une culture de la violence. Ils veulent, par voie de conséquence, initier des changements et faire évoluer les mentalités pour engager les peuples de la région sur la voie de la tolérance et des pratiques démocratiques. » De timides initiatives symboliques sont apparues récemment à cet égard dans certains pays du Golfe, notamment à Bahreïn. Même en Arabie saoudite, des langues ont commencé à se délier. Le « groupe des 104 » (qui comprend des intellectuels saoudiens opposants, non fondamentalistes) a ainsi publié un manifeste contestataire (une première dans ce pays...) réclamant l’instauration d’une monarchie constitutionnelle. Cette volonté de stimuler un changement et une évolution des mentalités dans la région a d’ailleurs été évoquée à plus d’une reprise par les membres de l’équipe Bush, notamment par le secrétaire d’État, Colin Powell, qui a explicitement mis l’accent sur la nécessité de « remodeler » la région. Des démarches intensives Après sa rencontre avec M. Rumsfeld, le président Gemayel a ouvertement mis en garde, dès son retour à Beyrouth, contre les développements et les bouleversements stratégiques qui pointaient à l’horizon. En septembre 2002, il souligne explicitement, lors d’une interview à la LBC, que l’Administration Bush envisage de mobiliser près de 300 000 hommes pour évincer le régime en place à Bagdad. Ces effectifs viennent d’être atteints aux frontières de l’Irak. Au début de l’année, des représentants irakiens entrent en contact avec le président Gemayel pour l’informer que Saddam Hussein souhaiterait le recevoir. L’ancien chef de l’État se rend alors le 28 janvier au Vatican pour des concertations à ce sujet avec les responsables du Saint-Siège. Ces derniers l’encouragent à donner une suite favorable à la démarche irakienne, soulignant qu’ils avaient été, eux aussi, contacté par les autorités de Bagdad. Le président Gemayel reçoit l’invitation officielle quelques jours plus tard, et c’est le 16 février qu’il est reçu par Saddam Hussein. Il effectuera une visite de trois jours à Bagdad et tiendra à cette occasion une série de réunions avec les proches collaborateurs du président irakien. Le 24 février, il se rend à Paris pour informer les hauts responsables français de la teneur de ses entretiens. Le 25 février, il prend l’avion pour Houston (ville natale du président Bush) et jusqu’au 2 mars, il tiendra une série de réunions, entre Houston et Washington, avec les proches collaborateurs et conseillers du chef de la Maison-Blanche et des membres de l’équipe Bush. Le 7 mars, il se rend une seconde fois à Bagdad pour une nouvelle série d’entretiens avec les dirigeants irakiens. L’ancien chef de l’État se montre particulièrement discret concernant l’objet réel de ces démarches intensives. Les rares précisions qu’il donne à ce sujet n’apportent que de vagues éclaircissements. Il souligne d’abord que les contacts avec ses différents interlocuteurs se poursuivent et pourraient même être maintenus après le début des opérations militaires. « On ne sait jamais comment les choses peuvent évoluer, souligne-t-il. Il peut s’avérer utile de garder des canaux ouverts. Je n’ai aucune qualité officielle et à ce titre, mes démarches pourraient être plus faciles, dans la mesure où je suis un interlocuteur qui n’embarrasse personne. » Le président Gemayel tient à souligner qu’il n’a jamais été question, lors de ses réunions à Bagdad, d’un désistement ou d’un exil de Saddam Hussein. « Les Américains ont clairement fait savoir qu’ils y étaient favorables, précise-t-il. Mais cette question n’était pas à l’ordre du jour de mes rencontres à Bagdad. Au contraire, j’a pu constater que les dirigeants irakiens sont très combatifs et sont prêts à la résistance. » Sur la teneur de ses entretiens à Washington, le président Gemayel se montre plus explicite. « Nous avons discuté des problèmes du pétrole, de la sécurité des installations pétrolières, du désarmement, de l’impact de la guerre sur les pays voisins, du changement du régime, indique-t-il. En ce qui concerne le désarmement, les Américains affirment que, selon leurs informations, les quantités d’armes chimiques et bactériologiques que possède l’Irak sont supérieures aux quantités reconnues par Bagdad lors des premières inspections (il y a douze ans). Il existe donc, d’après les Américains, des quantités d’armes chimiques qui n’apparaissent pas dans le décompte et qui ont été, par conséquent, soigneusement dissimulées ou cachées en dehors du pays. Quant à la question du régime en place, Washington n’est pas convaincu qu’un changement au sein du parti Baas suffirait. » Unité interne et rapports avec la Syrie Face à cette étape cruciale et historique que traverse la région, le président Gemayel souligne la nécessité de resserrer, plus que jamais, les rangs internes. Il formule l’espoir, notamment, que la politique de la main tendue pratiquée depuis peu par le pouvoir ne restera pas au stade des vœux pieux afin que le pays puisse véritablement faire face à la tempête qui pourrait frapper le Proche-Orient. Dans ce contexte régional aux lendemains incertains, l’ancien chef de l’État prône également l’ouverture d’un « dialogue constructif avec Damas ». « Nous devons prospecter la possibilité de parvenir à un compromis historique avec la Syrie, de façon à sauvegarder la souveraineté du Liban et les spécificités de son système politique, d’une part, et les intérêts de la Syrie, d’autre part », souligne-t-il. Mais il s’agit là, à l’évidence, d’une tout autre affaire. Pour l’heure, l’essentiel est de suivre de près l’évolution du conflit irakien. Car il s’agit de déterminer sur quelle voie pourrait s’engager le Proche-Orient après de pénibles années d’immobilisme. Michel TOUMAQuel rôle le président Amine Gemayel pourrait-il jouer dans le contexte du branle-bas international actuel lié à la crise irakienne ? Quel est l’objet réel de la série de réunions qu’il a tenues depuis le début de l’année, d’abord avec le président Saddam Hussein et ses principaux collaborateurs, puis avec les hauts responsables américains et français, sans compter les concertations entreprises fin janvier avec le Saint-Siège ? Le président Gemayel se montre peu loquace sur ces questions. Mais la discussion à bâtons rompus que nous avons eue avec lui apporte quelques éclaircissements sur ce plan et fournit surtout des indications sur l’état d’esprit dans lequel lui sont apparus les interlocuteurs américains et irakiens qu’il a rencontrés ces dernières semaines. C’est à la faveur des relations qu’il maintient à Washington et des liens étroits qu’il entretient avec l’Administration Bush, plus particulièrement avec le secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld, que le président Gemayel a perçu dès l’année dernière les indices précurseurs de la guerre qui se préparait contre l’Irak. Il avait rencontré M. Rumsfeld en juin 2002. Le secrétaire à la Défense avait même donné un dîner en sa résidence en son honneur. L’ancien chef de l’État avait tenu, dans le sillage de cette visite, une réunion avec les proches collaborateurs du chef du Pentagone. « J’avais pu alors constater que l’équipe du président Bush est déterminée à faire bouger les choses au Proche-Orient, l’affaire irakienne devant servir de détonateur ou de catalyseur à un tel changement », souligne-t- il. L’ancien chef de l’État relève que l’objectif des États-Unis est de « tenter de faire évoluer les mentalités des régimes et des peuples de la région vers une culture de la démocratie et de la tolérance qui devrait remplacer la culture de la violence ». « Les responsables américains, précise le président Gemayel, considèrent qu’il existe globalement deux foyers de terrorisme : le foyer idéologique, qui s’est sensiblement affaibli avec la chute de l’Union soviétique, et le foyer fondamentaliste qui génère de plus en plus, selon eux, le terrorisme. C’est donc à ce second foyer qu’ils s’attaquent à présent. Ils ont noté dans ce cadre que le phénomène de Ben Laden est le pur produit d’une culture de la violence. Ils veulent, par voie de conséquence, initier des changements et faire évoluer les mentalités pour engager les peuples de la région sur la voie de la tolérance et des pratiques démocratiques. » De timides initiatives symboliques sont apparues récemment à cet égard dans certains pays du Golfe, notamment à Bahreïn. Même en Arabie saoudite, des langues ont commencé à se délier. Le « groupe des 104 » (qui comprend des intellectuels saoudiens opposants, non fondamentalistes) a ainsi publié un manifeste contestataire (une première dans ce pays...) réclamant l’instauration d’une monarchie constitutionnelle. Cette volonté de stimuler un changement et une évolution des mentalités dans la région a d’ailleurs été évoquée à plus d’une reprise par les membres de l’équipe Bush, notamment par le secrétaire d’État, Colin Powell, qui a explicitement mis l’accent sur la nécessité de « remodeler » la région. Des démarches intensives Après sa rencontre avec M. Rumsfeld, le président Gemayel a ouvertement mis en garde, dès son retour à Beyrouth, contre les développements et les bouleversements stratégiques qui pointaient à l’horizon. En septembre 2002, il souligne explicitement, lors d’une interview à la LBC, que l’Administration Bush envisage de mobiliser près de 300 000 hommes pour évincer le régime en place à Bagdad. Ces effectifs viennent d’être atteints aux frontières de l’Irak. Au début de l’année, des représentants irakiens entrent en contact avec le président Gemayel pour l’informer que Saddam Hussein souhaiterait le recevoir. L’ancien chef de l’État se rend alors le 28 janvier au Vatican pour des concertations à ce sujet avec les responsables du Saint-Siège. Ces derniers l’encouragent à donner une suite favorable à la démarche irakienne, soulignant qu’ils avaient été, eux aussi, contacté par les autorités de Bagdad. Le président Gemayel reçoit l’invitation officielle quelques jours plus tard, et c’est le 16 février qu’il est reçu par Saddam Hussein. Il effectuera une visite de trois jours à Bagdad et tiendra à cette occasion une série de réunions avec les proches collaborateurs du président irakien. Le 24 février, il se rend à Paris pour informer les hauts responsables français de la teneur de ses entretiens. Le 25 février, il prend l’avion pour Houston (ville natale du président Bush) et jusqu’au 2 mars, il tiendra une série de réunions, entre Houston et Washington, avec les proches collaborateurs et conseillers du chef de la Maison-Blanche et des membres de l’équipe Bush. Le 7 mars, il se rend une seconde fois à Bagdad pour une nouvelle série d’entretiens avec les dirigeants irakiens. L’ancien chef de l’État se montre particulièrement discret concernant l’objet réel de ces démarches intensives. Les rares précisions qu’il donne à ce sujet n’apportent que de vagues éclaircissements. Il souligne d’abord que les contacts avec ses différents interlocuteurs se poursuivent et pourraient même être maintenus après le début des opérations militaires. « On ne sait jamais comment les choses peuvent évoluer, souligne-t-il. Il peut s’avérer utile de garder des canaux ouverts. Je n’ai aucune qualité officielle et à ce titre, mes démarches pourraient être plus faciles, dans la mesure où je suis un interlocuteur qui n’embarrasse personne. » Le président Gemayel tient à souligner qu’il n’a jamais été question, lors de ses réunions à Bagdad, d’un désistement ou d’un exil de Saddam Hussein. « Les Américains ont clairement fait savoir qu’ils y étaient favorables, précise-t-il. Mais cette question n’était pas à l’ordre du jour de mes rencontres à Bagdad. Au contraire, j’a pu constater que les dirigeants irakiens sont très combatifs et sont prêts à la résistance. » Sur la teneur de ses entretiens à Washington, le président Gemayel se montre plus explicite. « Nous avons discuté des problèmes du pétrole, de la sécurité des installations pétrolières, du désarmement, de l’impact de la guerre sur les pays voisins, du changement du régime, indique-t-il. En ce qui concerne le désarmement, les Américains affirment que, selon leurs informations, les quantités d’armes chimiques et bactériologiques que possède l’Irak sont supérieures aux quantités reconnues par Bagdad lors des premières inspections (il y a douze ans). Il existe donc, d’après les Américains, des quantités d’armes chimiques qui n’apparaissent pas dans le décompte et qui ont été, par conséquent, soigneusement dissimulées ou cachées en dehors du pays. Quant à la question du régime en place, Washington n’est pas convaincu qu’un changement au sein du parti Baas suffirait. » Unité interne et rapports avec la Syrie Face à cette étape cruciale et historique que traverse la région, le président Gemayel souligne la nécessité de resserrer, plus que jamais, les rangs internes. Il formule l’espoir, notamment, que la politique de la main tendue pratiquée depuis peu par le pouvoir ne restera pas au stade des vœux pieux afin que le pays puisse véritablement faire face à la tempête qui pourrait frapper le Proche-Orient. Dans ce contexte régional aux lendemains incertains, l’ancien chef de l’État prône également l’ouverture d’un « dialogue constructif avec Damas ». « Nous devons prospecter la possibilité de parvenir à un compromis historique avec la Syrie, de façon à sauvegarder la souveraineté du Liban et les spécificités de son système politique, d’une part, et les intérêts de la Syrie, d’autre part », souligne-t-il. Mais il s’agit là, à l’évidence, d’une tout autre affaire. Pour l’heure, l’essentiel est de suivre de près l’évolution du conflit irakien. Car il s’agit de déterminer sur quelle voie pourrait s’engager le Proche-Orient après de pénibles années d’immobilisme. Michel TOUMA
Quel rôle le président Amine Gemayel pourrait-il jouer dans le contexte du branle-bas international actuel lié à la crise irakienne ? Quel est l’objet réel de la série de réunions qu’il a tenues depuis le début de l’année, d’abord avec le président Saddam Hussein et ses principaux collaborateurs, puis avec les hauts responsables américains et français, sans compter...