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JUSTICE - La réforme du code pénal continue de susciter des réactions Badoui Abou Dib : « La loi est l’expression du milieu social »

Il y a quelques semaines, Hurriyat Khassa, une institution privée pour la défense des droits de l’homme, dénonçait dans la presse le projet de réforme du code pénal élaboré récemment par la commission de modernisation des lois. Qualifiant le texte de « rétrograde », Hurriyat avait lancé un appel pour que les juristes se saisissent de ce projet à temps, afin d’y apporter leurs remarques, en vue d’améliorer le texte. Parmi les premières réactions à ce projet, celle de Me Badoui Abou Dib, pénaliste, qui nous communique ses impressions sur le nouveau texte, en soulignant certains points négatifs déjà relevés par Hurriyat, mais également les « nouveautés » apportées par la nouvelle mouture, notamment dans le domaine de la technologie et de l’informatique. Les avocats de Hurriyat, quant à eux, persistent et signent : l’aspect « modernisateur » attendu du nouveau code pénal n’est pas reflété au niveau de l’esprit général du texte, mais reste confiné à l’aspect financier et commercial. Selon eux, cette réforme est « en deçà » de leurs attentes pour ce qui est des questions relatives aux droits de l’homme. Un avis que partage amplement Nada Adhami, avocate et membre du comité pour la défense des libertés publiques et des droits de l’homme au barreau de Beyrouth, qui affirme qu’un code pénal « est un instrument de réhabilitation, non de vengeance. Malheureusement, le nouveau texte est venu consacrer le principe de la soumission au lieu de mettre en avant celui de la responsabilisation ». Dans un précédent entretien accordé à L’Orient-Le Jour, les membres de Hurriyat avaient relevé les « atteintes graves à la dignité de la personne humaine ainsi qu’aux libertés publiques et privées », en s’appuyant sur certains articles reproduisant « l’idéologie hégémonique de l’État » qui, disent-ils, cherche à l’aide de son arsenal juridique à réprimer les espaces de liberté publique et privée. Comment se fait-il que la loi reste, jusqu’à ce jour, silencieuse en ce qui concerne les crimes de guerre dans un pays qui a été meurtri par un grave conflit civil, s’indignaient les avocats de Hurriyat qui avaient également critiqué les lacunes relatives à la protection de certaines catégories sociales vulnérables, tels les employés de maison ou les prostituées, « une catégorie que la loi est censée protéger ». Sur ce dernier point, Me Abou Dib répond en soulignant qu’il n’est pas attendu du code pénal « de régir les relations entre les employées de maison et leurs employeurs. Celles-ci sont clairement définies dans des contrats élaborés entre les deux parties ». Avocate et membre de Hurriyat Khassa, Mirella Abdel Sater estime, quant à elle, que les contrats sont généralement faits pour des professionnels qui sont rodés à la terminologie juridique et peuvent par conséquent négocier leurs conditions de travail, en connaissance de cause. « Cela ne s’applique pas aux employés de maison qui ignorent la plupart du temps la véritable teneur de contrats qui sont souvent injustes à leur égard », dit-elle. Pour ce qui est des crimes de guerre, note de son côté Me Abou Dib, le problème est qu’au Liban « il n’existe pas de texte qui rende ce type de crimes imprescriptible, une lacune à laquelle le législateur devrait en effet remédier », dit-il. L’avocat abonde également dans le même sens que Hurriyat pour dénoncer à son tour l’article relatif à « l’expulsion de l’étranger ou de l’apatride condamné à une peine criminelle » (art 88). Il explique sa position non seulement par des arguments humanitaires, mais surtout par le fait que cet article est « anticonstitutionnel ». Et d’ajouter : « L’expulsion est une affaire qui relève de l’administration et non de la justice. C’est un principe qui a été consacré par la jurisprudence internationale. Par conséquent, l’autorité judiciaire reste incompétente en ce domaine, selon le principe de la séparation des pouvoirs «. Commentant par ailleurs la pratique de la peine capitale également stigmatisée par Hurriyat et par un nombre de plus en plus croissant de jeunes – Me Abou Dib fait remarquer que cette question a « de tout temps divisé l’opinion publique ». « Quoi qu’il en soit, l’expérience a prouvé que ce type de sanction n’a jamais eu de pouvoir dissuasif », précise-t-il. Cependant, poursuit Me Abou Dib, « quand on parle de peine de mort, on oublie souvent la partie civile et les victimes qui ont subi des peines effroyables. L’idéal serait de trouver un juste milieu pour contrebalancer la souffrance des uns et des autres ». La vie associative menacée Les membres de Hurriyat Khassa avaient, par ailleurs, dénoncé certaines incongruités relevées dans le nouveau projet du code pénal, notamment l’article relatif à la constitution d’une association (art. 337) qui, disent-il, « réprime la liberté d’expression de manière flagrante et rétrécit l’espace public », ou encore l’article sur la diffamation et l’injure (art 387) obligeant toute personne portant des accusations contre un fonctionnaire d’en apporter des preuves qui justifient « sa bonne foi ». Les avocats de l’institution ont, en outre, dénoncé l’article 301 relatif aux atteintes à la sûreté intérieure qui « entachent la vie démocratique, en cherchant à sauvegarder tout régime indépendamment de sa légitimité ». Ce à quoi Me Abou Dib répond en disant qu’il est « normal que la loi réprime toute tentative de changement de la Constitution ou de renversement du régime en place par des moyens illégaux ». Mais si le régime politique n’est pas digne d’être protégé, pourquoi la loi doit-elle chercher à assurer sa survie ? s’interroge Hurriyat. Pour Me Abou Dib, « il est possible de remettre en question la légitimité d’un régime par des moyens démocratiques. Ce que la loi pénale réprime ici, c’est le recours à des moyens illégitimes ou à la violence. Car, ce n’est pas la révolution que l’on condamne, mais la révolution qui a échoué », dit-il. Par contre, poursuit le juriste, les membres de Hurriyat ont tout à fait raison de relever l’irrégularité qui entache l’article 387 qui contraint toute personne ayant lancé des accusations contre un fonctionnaire d’apporter « des preuves justifiant sa bonne foi ». Or, dit Me Abou Dib, « la bonne foi n’a pas à être établie. Elle se présume ». Interrogé sur les différentes « interprétations » qui peuvent être données à l’article 337 qui, d’après Hurriyat, a rétréci au maximum le champ d’action de la vie associative en conditionnant son mode de constitution, son action et ses objectifs, Me Abou Dib considère que rien, dans cet article – du moins dans la forme – ne paraît choquant d’autant que le texte « vient compléter la loi sur les associations de 1901 », dit-il. Un avis qui n’est pas partagé par Me Adhami qui estime que « tout dans cet article démontre la volonté de l’État de faire main basse sur la vie associative, une tendance qui est patente depuis la fin de la guerre », dit-elle. Évoquant par ailleurs le problème de l’homosexualité qui, toujours selon Hurriyat, est « réprimée encore plus durement dans le nouveau texte », Me Abou Dib fait remarquer que « la loi n’est finalement que l’expression du milieu social dans lequel elle prend sa source. Par conséquent, elle ne fait que refléter la culture et les mentalités ambiantes «. Or, dit-il, « les Libanais dans leur grande majorité ne sont pas encore prêts pour admettre l’homosexualité ». C’est dans cette même optique que le juriste estime d’ailleurs que l’article 522 prévoyant l’arrêt d’une poursuite judiciaire entamée à l’encontre d’un violeur – si ce dernier accepte d’épouser une femme violée – est également le fruit du milieu social libanais. «C’est une solution à l’amiable qui arrange tout le monde et régularise la situation », précise le pénaliste, en faisant remarquer que la victime, si elle le désire, garde de toute manière la possibilité de refuser le mariage et de continuer les poursuites. En définitive, estime Me Abou Dib, le nouveau projet n’est pas aussi négatif que ne le laisse croire certaines irrégularités. Nonobstant les lacunes auxquelles il faut certes remédier, le texte comporte certaines nouveautés qui méritent d’être mentionnées. Parmi celles-ci, l’avocat relève l’article 212 qui a introduit la notion de ce qu’on pourrait appeler « l’auteur intellectuel » du crime, qui est à distinguer de « celui qui a exécuté le crime » et de l’instigateur. Rappelons que l’ancien chef des FL, Samir Geagea, avait été jugé sur la base de cet argument juridique. S’abstenant de commenter la signification politique d’un tel article, Me Abou Dib se contente d’énumérer une série d’articles qu’ils considèrent « positifs ». Il cite à ce titre l’article 643 établi dans le cadre de la lutte antiterroriste, les multiples articles sanctionnant les pirates informatiques, la fraude alimentaire, mais aussi les prêts usuraires consentis à un handicapé mental, ou les détournements de fonds au sein d’une entreprise, « autant de nouveautés qui viennent répondre à des besoins concrets ». Le débat est donc ouvert. Reste à savoir si la commission de modernisation des lois retiendra ces remarques et prendra la peine de consulter au cours de ses travaux, comme le suggérait Albert Sara, les spécialistes et corps constitués tel le barreau. Jeanine JALKH
Il y a quelques semaines, Hurriyat Khassa, une institution privée pour la défense des droits de l’homme, dénonçait dans la presse le projet de réforme du code pénal élaboré récemment par la commission de modernisation des lois. Qualifiant le texte de « rétrograde », Hurriyat avait lancé un appel pour que les juristes se saisissent de ce projet à temps, afin d’y...