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Bushdozer

La raison du plus fort est toujours la meilleure, il en a toujours ou presque été ainsi et c’est encore plus vrai aujourd’hui où ne reste plus en lice qu’une seule et unique superpuissance : même si elle ne le proclame pas en toutes lettres, c’est là le credo d’une Administration américaine convaincue qu’elle est investie d’une mission proprement planétaire. Le triomphe des « valeurs » sur « les forces du mal » : bardée de motivations prétendument morales et même évangéliques (encore qu’à tous ces flots d’encens se mêlent de puissants relents de pétrole), l’Amérique, qui a jeté aux orties ses vieilles frayeurs isolationnistes, s’emploie aujourd’hui à faire voler en éclats le mythe d’un ordre fondé sur la légalité internationale auquel elle prétend substituer, par l’intimidation ou par la force, sa propre et souveraine loi. À cette fin, Washington, poussant jusqu’à l’absurde la notion de légitime défense, entend instituer l’effarant concept de la guerre préventive visant tout État, tout régime qui représenterait pour ses voisins une menace potentielle, quand bien même elle ne serait ni claire ni immédiate et pressante. Étant entendu qu’à ce jeu-là, le colosse US est le mieux armé pour intervenir aux quatre coins de la planète en se passant, s’il le faut vraiment, de l’assentiment de quiconque y compris des Nations unies. Voilà pourquoi, bien davantage que cet affreux tyran de Saddam Hussein, c’est le cow-boy justicier George Bush, repenti de la bouteille, devenu insupportablement bondieusard, qui donne au monde des sueurs froides. Que le Proche-Orient soit le laboratoire de prédilection de cette pax americana musclée à outrance n’est guère l’effet du hasard. Regorgeant de pétrole – dont le contrôle durable devrait mettre fin aux diktats de l’Opep en matière de prix du brut –, ce pays se trouve au centre d’une région stratégique entre toutes, et où les États-Unis entendent diversifier à l’extrême leurs têtes de pont. De toute manière et soit dit en passant, le dictateur passablement édenté de Bagdad, au potentiel épuisé par l’offensive internationale de 1990 puis par l’embargo frappant l’Irak, est considérablement plus facile à liquider que son alter ego nord-coréen qui lance pourtant défi sur défi à l’Amérique mais qui possède, lui, l’arme nucléaire. Diabolisé, chargé de tous les maux de la planète, Saddam Hussein est le parfait homme à abattre surtout quand l’amalgame est fait, comme s’y emploie Washington, avec Oussama Ben Laden. Après le fracas du canon, la symphonie des violons : de tous les objectifs, déclarés ou cachés, de cette entreprise, c’est cependant l’idée d’un remodelage en profondeur du Proche-Orient, commençant par le désarmement et la démocratisation de l’Irak et ouvrant une ère de paix, de stabilité, de progrès et de développement qui est la plus hasardeuse, la plus lourde de dangers. Et par certains de ses aspects, la plus immorale aussi. Immorale oui, quand on se souvient que les États-Unis sont eux-mêmes les premiers détenteurs d’armements chimiques, bactériologiques, climatologiques et autres moyens d’annihilation « sales » dont l’existence même demeure insoupçonnée. Qu’après leurs succès démocratiques en Allemagne et au Japon, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, les États-Unis n’ont cessé, au nom de la lutte contre le communisme, de mettre en place ou de soutenir, aux quatre coins de la planète, des dictatures militaires ou des régimes autocratiques bien peu soucieux des libertés. Et que les mêmes États-Unis, sans aucun état d’âme, ont flirté avec le terrorisme, notamment islamiste, aussi longtemps que cela faisait leur jeu. N’est-ce pas d’ailleurs la CIA qui dans les années 80 a fabriqué Ben Laden, n’est-ce pas Washington qui a encouragé les Saoudiens à se montrer généreux avec les « combattants de la liberté » s’en allant guerroyer contre les Soviétiques dans les gorges d’Afghanistan ? Or, il est faux de croire que le renversement de Saddam Hussein portera un coup fatal à l’organisation el-Qaëda qui a survécu à l’expédition afghane, qui entretient des réseaux couvrant le monde entier et dont l’insaisissable chef continue de narguer les Américains. Il est présomptueux de croire que les forces vives d’Irak accepteront de collaborer avec un gouverneur militaire américain, une sorte de bienveillant gauleiter présidant angéliquement à l’instauration d’un système capable de préserver l’unité et l’intégrité de l’Irak tout en donnant satisfaction aux composantes sunnites, chiites et kurdes de ce pays. Il est imprudent de penser que la contagion démocratique – souhaitable certes, dans le cadre d’une évolution tenant compte des données de base régionales – gagnera sereinement les royaumes pétroliers du Golfe, dont certains des plus influents, telle l’Arabie saoudite, ont été accusés, au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, de financer le terrorisme. Ne faudrait-il pas redouter plutôt, surtout si la guerre se solde par un grand nombre de victimes civiles irakiennes, un raz de marée intégriste dans la Péninsule et dans les pays arabes où l’intégrisme, même quand il est réduit à la clandestinité, représente la forme d’opposition la plus puissante et la mieux structurée ? Quelles tourmentes, quelles acrobatiques contorsions attendent là l’Égypte déjà en butte aux menées fondamentalistes, la Syrie qui va se retrouver avec des GI’s à l’une de ses frontières et les Israéliens à l’autre, la Jordanie promise de longue date au sort de Palestine de rechange ? Bush, ses va-t-en-guerre et ses stratèges de salon sont aux commandes de la planète, alors que tout près de chez nous – et c’est là le pire – sévit en toute impunité le bulldozer Ariel Sharon. Par une funeste conjonction des astres – et même des désastres – s’est constituée ainsi la paire la plus dangereuse, la plus aventuriste que l’on pouvait jamais concevoir. Duo parfait en somme, que celui unissant la droite américaine et le sionisme ultra. Jamais violons n’auront été mieux accordés. Mais avec les bombes sur l’Irak, vont sans doute pleuvoir fausses notes et très authentiques retours de bâton. Issa GORAIEB
La raison du plus fort est toujours la meilleure, il en a toujours ou presque été ainsi et c’est encore plus vrai aujourd’hui où ne reste plus en lice qu’une seule et unique superpuissance : même si elle ne le proclame pas en toutes lettres, c’est là le credo d’une Administration américaine convaincue qu’elle est investie d’une mission proprement planétaire. Le...