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DOSSIER - Entre archéologie et offensive américaine attendue L’Irak résolu à préserver ses vestiges(photos)

Bagdad, de Joanne FARCHAKH Le spectre de la guerre plane plus que jamais sur l’Irak. Pendant que les ultimes démarches diplomatiques s’intensifient, les archéologues, eux, préparent la contre-attaque en imaginant les scénarios les plus cauchemardesques, à savoir que les sept musées du pays, situés tous au centre des milieux urbains et à proximité des ministères, pourraient être touchés par les bombardements tandis que les milliers de sites archéologiques, éparpillés aux quatre coins du pays, risquent d’être victimes d’un pillage intensif et organisé. Pour faire face à un tel scénario catastrophe, les archéologues ont établi des plans de sauvetage et d’action. Afin d’éliminer tout risque de bombardement des musées, les autorités irakiennes ont peint en caractères gigantesques les sigles de l’Unesco sur les toits. « Cette mesure devrait rappeler aux pilotes de la coalition alliée qu’il s’agit d’édifices culturels, protégés, en cas de conflits armés, par la convention de La Haye », note M. Dony Georges, directeur des publications scientifiques à l’Organisation nationale des antiquités en Irak. Parallèlement à la protection du bâtiment, les archéologues irakiens ont étudié des plans pour le sauvetage des objets. Mme Nawala Mettwali, directrice des musées d’Irak, explique que « le personnel opérant au musée de Bagdad a suivi des sessions de formation pour évacuer les trente-deux salles du musée en un jour ». « Les objets seront par la suite emballés et mis à l’abri dans des lieux secrets », précise-t-elle. Ces objets seront-ils toutefois à l’abri d’une montée des eaux souterraines, de manière à éviter la fâcheuse expérience des années 90 ? À cette époque, les responsables de la direction irakienne des antiquités avaient caché les petits objets des musées dans des coffres en fer et avaient déposé le tout dans les caves. Ils ne s’attendaient pas à ce que la guerre et l’embargo qui a suivi durent dix ans et ils n’avaient pas prévu la montée des eaux souterraines. Les caisses ont été submergées par l’eau et les objets rongés par l’humidité. « En ce qui concerne les nouvelles cachettes que nous envisageons, je ne peux rien garantir, tout dépend de la durée de la dissimulation, souligne Mme Mettwali. La première fois, nous avons dû dissimuler les objets pendant dix ans. On ne peut pas prévoir la dégradation d’un objet dans un milieu non adapté. Évidemment, nous courons toujours ce risque, mais on n’y peut rien. L’Irak en entier est menacé. » Le problème des grandes sculptures Certes, il est possible d’évacuer les petits objets du musée, mais comment protéger les grandes sculptures ? Les bas-reliefs assyriens des palais de Nimroud et de Khorsabad, qui sont la fierté du musée de Bagdad, pèsent chacun plusieurs tonnes. La salle des antiquités assyriennes où ils sont exposés est située face au ministère des Communications (seule une autoroute les sépare) et à une centaine de mètres de la station de télévision et de radio. Or ces bâtiments – l’expérience l’a déjà prouvé – sont les premières cibles de l’aviation. Ils ont d’ailleurs été détruits en 1991 et en 1998. Comment protéger, par conséquent, ces chefs-d’œuvre d’éventuelles grandes secousses pouvant les faire tomber de leurs piédestaux ? « Nous n’avons pas les moyens de les protéger de cette chute, affirme Mme Mettwalli, mais nous allons amortir le choc en sablant le sol du musée et en entourant ces chefs- d’œuvre de sacs de sable. » La « mission » des archéologues irakiens en cas de guerre ne se limite pas à la protection des objets, mais elle implique aussi un séjour prolongé au musée. « J’ai déjà préparé mon lit au musée de Bagdad, a affirmé M. Georges. Ma femme et mes enfants savent qu’en cas de guerre, je ne serais pas avec eux. Je serais au musée ou sur les sites. Je serais là où il faut être pour protéger l’histoire et la civilisation », souligne-t-il. Mme Hana Abdel Khalek, directrice des fouilles archéologiques, abonde dans le même sens. « Nous sommes menacés d’une guerre qui est dirigée contre un pays, son peuple et son histoire, affirme-t-elle. Mon travail est de protéger le passé. Je ne serais pas chez moi à la maison, en cas de guerre, mais dans mon bureau. » Cette stratégie de protection des richesses archéologiques est aussi un acte politique, d’autant que ces archéologues sont, en définitive, des civils présents dans des bureaux administratifs relevant de l’État. Seront-ils, dans ce cadre, utilisés comme boucliers humains ? Ils affirment que non et qu’ils viendront de plein gré. C’est en quelque sorte leur façon de défendre leur pays. Prévention d’un pillage massif des tells Depuis douze ans, les Irakiens vivent à l’ombre de l’embargo international. Ils croyaient que ces années d’épreuves n’allaient pas durer trop longtemps. C’était une illusion et c’était sans compter la politique internationale. Cet embargo a plongé, à l’évidence, la population dans un état de pauvreté extrême, de sorte que certains Irakiens ont vu dans les sites archéologiques une source importante de revenus. Ces dernières années, les tells ont ainsi été la cible d’un pillage systématique et organisé. « En cas d’offensive américaine, le pillage des sites sera infiniment plus important qu’en 1991 et le pire reste à craindre, relève M. Dony Georges. Les pilleurs des sites ont eu le temps d’organiser leur trafic et de se créer une clientèle internationale. Ils sont puissants et armés. La guerre est pour eux le moment propice pour reprendre le pillage à grande échelle. » M. Jaber Khalil, directeur général de l’Organisation nationale des antiquités en Irak, déclare sur ce plan : « Cette fois-ci, nous nous sommes préparés. Nos gardiens, les chefs des tribus et les leaders du parti Baas dans tous les mouhafazats ont reçu des ordres pour combattre le pillage. En 1991, nous avons été pris de court. Aujourd’hui, la situation est différente. Nos gardiens sur tous les grands sites sont armés, motorisés et coopèrent avec tous les cheikhs des clans pour la protection de ces sites. Cette question touche la sécurité nationale, comme l’a affirmé le président Saddam Hussein lui- même. » Certes, ces préparatifs sont nécessaires et ils peuvent même porter leurs fruits. Du moins dans une certaine mesure. Force est de rappeler en effet que l’Irak est la Mésopotamie d’antan. C’est un pays où ont été recensé dix mille sites archéologiques. Les protéger tous est une mission quasi impossible. Les sites sont trop vastes (la superficie moyenne de ces tells est de l’ordre de dix kilomètres carrés) et trop éloignés les uns des autres. C’est en fait le pari des pilleurs qui, en attendant la guerre, vendent la peau de l’ours aux galeries, collectionneurs, voire… aux musées eux-mêmes. Alors que les menaces de guerre se précisent, des appréhensions d’un genre nouveau se font sentir à Bagdad. « Les Américains veulent non seulement notre pétrole, mais aussi notre histoire, affirme à ce propos un haut responsable irakien. Pour refaire leurs musées, ils ont besoin de nouveaux chefs- d’œuvre. Leurs universités ont toujours porté un intérêt particulier aux civilisations de la Mésopotamie », souligne-t-il. Certes, ce discours peut paraître insensé, mais la publication en novembre 2002 de l’article « Iraq’s history is our history too » (L’histoire de l’Irak est la nôtre aussi), dans l’hebdomadaire The Art Newspaper, met la puce à l’oreille. Dans cet article, l’auteur évoque l’avenir du patrimoine irakien suite à l’invasion terrestre des forces armées américaines ! L’article souligne que l’association américaine American Council for Cultural Policy – fondée par l’ancien avocat du New York Metropolitan Museum, Ashton Hawkins – se propose de jouer le rôle de « sauveur » des antiquités irakiennes ! L’association en question se dit être prête à collaborer avec la direction irakienne des antiquités pour la restauration des sites culturels et offre son assistance à la formation des archéologues irakiens, coupés de toutes les nouvelles technologies depuis plus d’une décennie. Les Irakiens perçoivent la guerre qui semble poindre à l’horizon comme une étape dans leur histoire millénaire. Un haut responsable du régime en place à Bagdad tient sur ce plan des propos qui en disent long sur l’état d’esprit qui règne dans les cercles officiels irakiens : « Ils ne peuvent pas piller tous les sites ni tuer tous les Irakiens ni détruire une civilisation millénaire en quelques jours. Les Sumériens, Babyloniens et Assyriens sont nos ancêtres. Ils ont combattu, gagné des batailles et perdu d’autres. Notre histoire est écrite dans le sang. Ce ne sont pas ces quelques gouttes de sang à verser qui vont la changer. Georges Bush, père et fils, l’embargo et la guerre ne représentent que des dates dans notre histoire. Ces années de malheur et de vaches maigres ne dureront pas une éternité. L’histoire ne s’arrête pas. Elle s’écrit tous les jours et le temps détruit tout… même l’hégémonie américaine. » Douze ans de combat pour la restitution de quelques objets Entre 1994 et 1999, le pillage des sites archéologiques du nord et du sud de l’Irak était intensif. « Les fouilleurs clandestins possédaient des cartes archéologiques du pays avec les noms des sites indiqués en anglais, affirme M. Dony Georges, directeur des publications scientifiques à l’Organisation nationale des antiquités en Irak. Ils venaient parfois à la recherche d’objets relatifs à une période précise. Ainsi, nous avons été mis au courant de l’existence de fouilleurs au nord de l’Irak cherchant des sites de l’Assyrien Moyen. Ils détruisaient les niveaux supérieurs et fouillaient méticuleusement les couches relatives à cette période », déplore t-il. En fait, le pillage était si bien organisé, que les collectionneurs pouvaient même s’offrir le luxe de « commander » les objets avant même les fouilles ! Ce trafic était stimulé par le fait que les objets étaient achetés à des prix prohibitifs. « Une tablette cunéiforme ne présentant aucun intérêt particulier ou un sceau cylindre ordinaire étaient vendus à des milliers de dollars », souligne M. Georges. Cette hausse des prix a non seulement accentué le pillage, mais elle a aussi encouragé les fouilleurs à s’attaquer à des vestiges connus mondialement. C’est ainsi que les bas-reliefs du palais de Sennachérib, à Ninive, ont été morcelés et vendus entre Londres et Helsinki. L’archéologue américain John Russel avait identifié ces bas-reliefs et décidé d’agir pour la protection du patrimoine irakien. Dans son livre, The Final Sack of Nineveh, the discovery documentation and destruction of king Sennacherib’s throne room , il montre ces objets à leur emplacement d’origine et met en garde les douanes internationales contre le trafic illicite de ces chefs-d’œuvre assyriens. Heureusement, cette action a porté ses fruits. Les douanes anglaises avaient en fait identifié un morceau de bas-relief acheminé vers Israël, et acquis par un collectionneur privé. Après des années de négociations, les Irakiens ont obtenu gain de cause. L’objet est actuellement au musée de Bagdad. Cet incident n’est pas unique et cet archéologue n’est pas le seul à avoir sauvé une antiquité irakienne. En fait, en 1999, un bas-relief représentant une femme Hatranienne a été découpé du mur d’enceinte de la ville de Hatra et acheminé vers… Londres. C’est dans cette capitale que l’archéologue italienne, chargée des fouilles à Hatra, a retrouvé l’objet. La tête était exposée dans la vitrine d’une galerie d’antiquités. Photos et documents à l’appui, l’archéologue a mis à contribution le Scotland Yard pour la restitution du bas-relief à l’Irak. « Malheureusement, tous les objets volés ne retournent pas à nos dépôts, note Mme Nawala Mettwali, directrice des musées d’Irak. Ce ne sont que des exceptions à la règle qui nous donnent toutefois espoir. Car le pillage continue. L’année dernière, les douanes jordaniennes nous ont rendu plus de trois cents objets.» «Chaque semaine, la police irakienne confisque aux frontières des antiquités volées. Le plus triste, c’est que parfois on utilise des voitures diplomatiques pour les acheminer en dehors du pays. Ce sont parfois des fonctionnaires d’ambassades ou des employés des forces des Nations unies qui s’en chargent. Nous possédons trois sacs avec le sigle de l’Onu saisis à la frontière et contenant des tablettes cunéiformes », affirme Mme Mettwali.
Bagdad, de Joanne FARCHAKH Le spectre de la guerre plane plus que jamais sur l’Irak. Pendant que les ultimes démarches diplomatiques s’intensifient, les archéologues, eux, préparent la contre-attaque en imaginant les scénarios les plus cauchemardesques, à savoir que les sept musées du pays, situés tous au centre des milieux urbains et à proximité des ministères,...