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CONFÉRENCES - Les souffrances d’une communauté qui a choisi le Liban pour patrie définitive Christine Babikian Assaf raconte l’identité arménienne

Parler de l’identité arménienne dans le cas libanais, c’est traiter ce sujet du point de vue de l’identité collective, mais aussi et surtout à partir d’une expérience personnelle, d’un vécu intime. C’est, en effet, en tant que Libanaise d’origine arménienne que Christine Babikian Assaf, chef du département d’histoire à l’Université Saint-Joseph, a retracé les fondements de l’«arménité» et évoqué les structures qui ont maintenu l’identité de la communauté arménienne du Liban. Elle a par ailleurs insisté sur la double identité revendiquée par les Libanais d’origine arménienne, qui vouent un attachement indéfectible à leur patrie définitive. Une conférence qui s’inscrit dans le cadre d’une série de rencontres interactives organisées par la faculté des sciences religieuses de l’USJ sur le thème: «La présence de l’Arménie». L’histoire, la religion et la langue. Ces trois principaux fondements de l’«arménité» sont faits de permanence dans le temps. «Être arménien, dit Mme Assaf, c’est appartenir à l’histoire d’un peuple au destin mouvementé, se référant à une terre dont une petite partie seulement est aujourd’hui indépendante.» Une terre jalonnée d’invasions et d’occupations par les grands empires qui ont marqué l’histoire du Moyen-Orient et du Caucase, avec son lot d’intégration, d’attachement sans faille à la terre ancestrale, mais aussi de migrations. Ainsi, explique-t-elle, la partie orientale de l’Anatolie ainsi que la Cilicie, plus au Sud, se sont trouvées incorporées à l’Empire ottoman, dès le XVIe siècle, alors que la région caucasienne a été l’objet d’une lutte entre Perses, Ottomans et Russes à partir du XIXe siècle. Un contexte d’une hostilité telle, qu’il a contribué à renforcer l’identité arménienne dans sa lutte pour sa survie. «Être arménien, poursuit-elle, c’est appartenir à l’histoire de ce peuple, c’est avoir gravé dans sa conscience nationale les récits des premiers massacres d’Arméniens à l’époque du sultan Abdul-Hamid en 1895, puis ceux de 1909 en Cilicie, et enfin le génocide de 1915-1916, avec son cortège d’horreurs, de misères, de spoliation, de douleur.» Et Mme Assaf de rappeler que chaque année, le 24 avril, date du début des opérations de déportations et de massacres, les Arméniens du monde participent aux cérémonies qui marquent la commémoration de cette tragédie. Ce n’est que 50 années après ces événements, en 1965, que les Arméniens se mobilisent pour leur cause. «La reconnaissance du génocide par la Turquie et par la communauté internationale» est au centre de leur lutte. Une reconnaissance, qui, précise le chef du département d’histoire, «est nécessaire afin que puisse s’accomplir le travail de deuil et que s’ouvre la porte de la réconciliation et du dialogue avec les nouvelles générations turques.» Quant à l’Église arménienne, «bastion inexpugnable et pôle unificateur dans la dispersion», elle représente un fondement de taille de l’identité arménienne dont l’État a été le premier royaume chrétien de l’histoire dans les années 301-304. Dès 1441, deux catholicossats se partagent les différents diocèses, l’un en Cilicie, l’autre à Etchmiadzine mais, depuis 1930, c’est au Liban, à Antélias, qu’est établi le siège du catholicossat de Cilicie. De même la langue arménienne, à travers l’alphabet de 36 lettres, a été l’occasion d’intensifier l’enseignement religieux, de traduire les œuvres de la culture universelle et de produire, dès le milieu du Ve siècle, une littérature nationale, garante de l’identité et de la mémoire. Des structures libanaises favorables La présence d’Arméniens au Liban est signalée depuis des temps reculés dans la montagne libanaise, ainsi qu’à Tripoli, Jounieh et même Beyrouth, remarque Christine Assaf. Aussi, note-t-on, dès 1715, à Ghazir, la présence de moines arméniens catholiques, ayant fui la région de Diarbékir suite à l’intolérance religieuse de leurs compatriotes orthodoxes. Ils seront rejoints, en 1742, par le premier groupe d’Arméniens catholiques venus se réfugier au Liban. Mais, précise-t-elle, «l’essentiel des Arméniens vivant au Liban est constitué de survivants des déportations de 1915-1920.» Un second mouvement d’immigration, suite à la cession par la France, en 1939, d’Alexandrette à la Turquie, viendra renflouer ce flot. De nombreux Arméniens sont alors installés par les autorités françaises à Anjar, dans la Békaa et à Tyr. «Finalement, ajoute-t-elle, dans les années 1960, les Arméniens d’Irak, d’Égypte et de Syrie sont canalisés vers le Liban, ces pays étant en proie à des bouleversements politiques et économiques.» Ainsi, estime-t-on le nombre d’Arméniens au Liban, en 1975, à 215 000 personnes. Installés aux camps de fortune aux conditions insalubres, les réfugiés arméniens sont en proie à diverses maladies, notamment le typhus et la peste. Mais l’acharnement et la volonté de la communauté, les subventions de son Église, de ses partis politiques, ainsi que celles de grands mécènes arméniens, du Liban ou de l’étranger, l’aideront à se relever sur le plan économique. «Il est toutefois important de noter, observe Mme Assaf, que la structure confessionnelle du Liban, qui accorde à chaque communauté des prérogatives et une grande autonomie, a permis à l’Église arménienne de remplir son rôle non seulement religieux, mais également social, éducatif et juridique.» Quant aux trois partis politiques arméniens coexistant au Liban, Tachnag, Hentchag et Ramgavar, «qui ont en commun leur organisation, leur discipline et leur caractère national, remarque Mme Assaf, ils se sont tous trois activement engagés dans la défense de la cause arménienne.» Ayant pour objectif de préserver la langue, la culture et la tradition arméniennes dans la diaspora, «ils encadrent étroitement la communauté à travers un réseau d’associations culturelles, sportives, de clubs, d’institutions de bienfaisance, d’écoles et de publications.» C’est ainsi que, «grâce à l’action de son Église et de ses partis, précise-t-elle, la communauté arménienne a réussi à développer son patrimoine, faisant de Beyrouth un centre religieux, culturel, artistique et littéraire pour toute la diaspora.» Une double identité Posant finalement la délicate question de l’identité arménienne face à l’identité libanaise, Christine Assaf passe en revue certains vécus personnels en tant que Libanaise d’origine arménienne. «Être arménien au Liban, dit-elle, c’est se sentir concerné par ce qui touche la cause arménienne, c’est participer aux commémorations du 24 avril, c’est la joie lorsque vous apprenez qu’un pays de plus a reconnu le génocide... C’est aussi parler une langue, parfois très ardue, maintenir vivace l’aptitude artistique profondément ancrée chez les Arméniens, manger des plats spéciaux et écouter avec amusement les taquineries dans les familles concernant les originaires de telle ou telle région.» Mais être arménien au Liban, «c’est aussi porter en soi une souffrance, celle où l’on vous fait sentir que vous êtes différent, que vous ne faites pas partie de l’identité libanaise, déplore-t-elle, que les camarades libanais se moquent de votre nom, mais aussi que les camarades arméniens de l’école du dimanche vous considèrent autres, parce que vous n’allez pas à l’école arménienne». Une souffrance, dit-elle, «qui vous donne votre identité unique, complexe, qui vous apprend à respecter l’autre, quelles que soient ses origines et ses coutumes». Toutefois, être arménien au Liban, c’est non plus être arménien vivant au Liban mais libanais d’origine arménienne. «Car, explique Mme Assaf, les Arméniens sont arrivés au Liban en 1920, date à laquelle fut créé l’État du Grand-Liban.» Et d’expliquer la gratitude de la communauté à l’égard du Liban, terre d’accueil qui se trouvait dans une situation économique désastreuse au lendemain de la guerre. Ainsi, raconte-t-elle, comment les Arméniens, désireux dans un premier temps de sortir de leur misère, ont vite fait de participer activement à la vie économique, politique et culturelle du Liban. C’est, dit-elle, en 1924 que la nationalité libanaise fut accordée aux Arméniens du Liban, en 1934 que la communauté arménienne-orthodoxe obtint, pour la première fois, un siège au Parlement, alors que ce n’est qu’en 1960 qu’un ministre arménien fut nommé pour la première fois au sein du gouvernement. Reconnus par la Constitution de Taëf comme l’une des sept grandes communautés libanaises, «les Arméniens ont vécu et accompagné tous les soubresauts et grands moments qui ont jalonné la vie politique libanaise. Un vécu qui a ancré en eux cet attachement indéfectible pour le Liban, leur patrie définitive, dont ils se sentent citoyens à part entière…». Anne-Marie EL-HAGE
Parler de l’identité arménienne dans le cas libanais, c’est traiter ce sujet du point de vue de l’identité collective, mais aussi et surtout à partir d’une expérience personnelle, d’un vécu intime. C’est, en effet, en tant que Libanaise d’origine arménienne que Christine Babikian Assaf, chef du département d’histoire à l’Université Saint-Joseph, a retracé...