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Front social - Moins de trois mille personnes ont répondu à l’appel de la CGTL La grande manifestation contre le gouvernement a piétiné, place Riad el-Solh (photo)

La manœuvre, d’une grande habileté, a réussi. En annonçant leur participation à la manifestation de protestation d’hier, les députés du bloc Hariri ont poussé la plupart des groupes d’opposition à la boycotter. Puis les parlementaires eux-mêmes se sont désistés et le mouvement, auquel avait appelé la CGTL, s’est retrouvé dans la rue, un peu orphelin et plutôt pitoyable, avec sa multitude de drapeaux appartenant aux partis « du pouvoir » et son manque de manifestants réellement convaincus de son utilité. Drôle de manif que celle d’hier. Depuis que la date en a été fixée par le conseil exécutif de la centrale syndicale, ce fut un véritable cafouillage. Qui compte y participer, contre qui est-elle dirigée, quels sont ses objectifs ? Autant de questions auxquelles les réponses variaient avec les déclarations du jour. Lancée au départ pour protester contre le projet de budget présenté par le gouvernement, ses organisateurs ont dû rapidement rectifier le tir lorsque, dans le cadre de la commission parlementaire des Finances, le ministre Fouad Siniora a accepté pratiquement tous les amendements proposés, quitte à se creuser les méninges pour trouver de nouvelles recettes. Elle est donc devenue une manifestation de protestation contre le gouvernement, qualifié d’« affameur du peuple ». Tous les mécontents – et ils sont nombreux, dans les milieux politiques et sociaux – ont alors décidé d’y participer, du Mouvement du renouveau démocratique de Nassib Lahoud à la Tribune démocratique de Habib Sadek, en passant par le courant aouniste, sans oublier bien sûr la Rencontre démocratique de Walid Joumblatt, qui avait déjà participé à la précédente manifestation et qui s’était pratiquement instaurée le porte-parole des revendications sociales. Une démarche vidée de son contenu C’est alors que le bloc parlementaire du président du Conseil a décidé, dans un élan de solidarité, de participer à la manifestation, ajoutant à la confusion générale. Pour M. Rafic Hariri, l’idée directrice était d’empêcher l’organisation d’une grande manifestation dirigée contre le gouvernement, qui constituerait ainsi un véritable désaveu de sa politique et donnerait l’avantage à ceux qui prônent un changement de cabinet. Pour ceux qui voulaient protester contre la politique du gouvernement, ce fut un coup dur, alors que la manifestation prévue semblait vidée de son contenu. Plusieurs parties d’opposition ont alors déclaré forfait, qualifiant la descente dans la rue dans de telles conditions de démarche folklorique. Pendant ce temps, une délégation de la CGTL entreprenait une tournée auprès de toutes les parties politiques mais aussi religieuses, obtenant ainsi pour son initiative « la bénédiction de Dieu ». La « foire » s’annonçait donc complète et la CGTL voulait obtenir un maximum de participation, tout en préférant éviter celle des députés proches de Hariri. Des critiques virulentes ont été publiées dans la presse contre la participation de ces derniers. Mais les membres du bloc Hariri n’ont renoncé à être présents que la veille de la manif. Résultat : le mal était fait, et la démarche discréditée. Hier donc, de Barbir à la place Riad el-Solh, la marche n’a pas pris une demi-heure, et c’était sans doute la première manifestation dans le monde à prendre le départ dix minutes avant l’heure prévue, comme s’il s’agissait d’en finir au plus vite. Plus de drapeaux que d’hommes La pluie n’étant pas au rendez-vous cette fois, les parapluies qui avaient couvert la précédente manifestation de la CGTL de leur ombre protectrice ont été remplacés par les drapeaux des partis qui y ont participé, plus impressionnants que le nombre des manifestants. Ce fut l’occasion de découvrir le drapeau du Parti national de l’émir Talal Arslan, du rouge, du blanc et une carte du Liban en vert... Mais il y avait aussi les drapeaux jaunes du Hezbollah qui côtoyaient allègrement les fanions – jaunes aussi – des Ahbache, les drapeaux blanc et vert des Kataëb, ceux noir et rouge du PSNS, les verts d’Amal et ceux du PCL. Le Bloc national et les Forces libanaises de Fouad Malek, qui, en principe, participaient à la manifestation, étaient plus discrets, sans drapeaux, ni banderoles, ni même slogans virulents. Arrivés devant la place Riad el-Solh, les jeunes manifestants se sont précipités pour grimper sur la statue du premier président du Conseil de l’Indépendance, afin de mieux brandir leurs drapeaux, faisant passer au second plan la CGTL et ses revendications. D’ailleurs, le gros des manifestants, composé des travailleurs des divers secteurs professionnels (sauf les enseignants qui, eux, ont déjà obtenu une partie de leurs revendications), se sentait un peu perdu et les vieux en costume fatigué se précipitaient vers les photographes pour attirer leur attention sur leurs banderoles, rappelant les droits des fonctionnaires dans les coopératives, l’importance de la CNSS, etc. Le président de la centrale syndicale lui-même, M.Ghassan Ghosn, tout en affichant un sourire satisfait, n’a pu retenir une légère crispation lorsqu’on lui a demandé s’il considérait cette manifestation comme un succès : « Bien sûr, a-t-il dit. Mais le chemin est encore long et notre combat continue. Nous comptons appeler à d’autres manifestations et même à une grève ouverte si le gouvernement ne renonce pas à sa politique financière injuste. Que personne ne s’imagine que quelques maigres amendements par ci par là suffiront à nous faire taire. La politique financière vise la classe des travailleurs et nous appelons tout le monde à se rallier à nos revendications, pour une vie plus digne. » Malgré les haut-parleurs, la voix de M. Ghosn est couverte par des slogans brandis au hasard par des jeunes regroupés selon leurs affinités politiques. Les plus excités sont d’ailleurs un groupe d’extrême gauche, spécialisé dans les manifestations, qui hurle en cadence des chansonnettes du genre : « Ya Rafic Hariri, avec Lahoud et Berry, tu nous as mis sur la paille, tu as volé l’État et le Trésor... » Les rimes se sont installées d’elles-mêmes et la liste des méfaits attribués au pouvoir pouvait être bien longue. Mais il est près de quatre heures, et sur la place Riad el-Solh, la manif s’éparpille rapidement parce qu’il n’y a plus grand-chose à faire. Quelques déclarations particulières de MM. Najah Wakim (Mouvement du peuple), Ali Ammar (Hezbollah) et Ayoub Hmayed (Amal) aux chaînes présentes sur les lieux, al-Manar et NTV notamment, quelques caricatures savamment adaptées au goût du jour, avec des montages sur un Hariri hyper bien portant, face à un Libanais maigrichon : « Tu es responsable de ma misère », lance le Libanais, et l’autre répond : « Et toi, de ma bonne santé. » Et ce fut tout. Bref, des pointes habituelles pour une manifestation plutôt morose, qui se voulait massive et unificatrice et qui s’est retrouvée avec moins de 3 000 personnes et bien plus de drapeaux, sans oublier les forces de l’ordre mobilisées presque pour rien. Boycottée par les loyalistes et les opposants (tout en rappelant qu’au Liban, toutes ces notions sont relatives), la grande marche de protestation était à l’image de la CGTL, vieille et fatiguée, mais surtout paralysée par les politiciens qui la noyautent et qui mènent, à travers elle, leurs propres batailles. Scarlett HADDAD
La manœuvre, d’une grande habileté, a réussi. En annonçant leur participation à la manifestation de protestation d’hier, les députés du bloc Hariri ont poussé la plupart des groupes d’opposition à la boycotter. Puis les parlementaires eux-mêmes se sont désistés et le mouvement, auquel avait appelé la CGTL, s’est retrouvé dans la rue, un peu orphelin et plutôt...