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Actualités - REPORTAGES

Coulisses Chez André, la voix de son maître (photo)

Dans les années 60, il faisait bon aller chez André. André, une «grande gueule», grosse moustache, un personnage haut en couleurs gaies, souriantes et qui respiraient la bonne humeur. Des couleurs qui ont tourné au sepia, lorsque «avec le temps va, tout s’en va»... Reste un zinc célèbre où les gens se retrouvaient, se bousculaient – dépassant, et de loin, les 12 personnes prévues – belle promiscuité rapidement devenue intimité, à midi, pour un rapide casse-croûte, le soir pour un verre assaisonné d’histoires vécues, inventées, rapportées et animées par André, maître de cérémonie, souvent conteur, quelquefois troubadour. André, de son vrai nom André Aridjian, Arménien de France ou Français d’Arménie, eut de nombreux métiers qui n’étaient certainement pas les plus vieux du monde. L’histoire retiendra qu’il fut mécanicien en France, mais un mécanicien avec une petite touche de génie qui le mènera – secrètement – en Algérie. Plus tard, et dans les années 60, il fonde sa propre imprimerie et s’en sépare pour cause de maladie. L’histoire ne précisant pas laquelle, elle préfère se poursuivre – sans perdre du temps – en signalant le retour du héros au Liban en 1968, avec le désir – moins secret – de démarrer une nouvelle vie. « Tu viens, je te fais un prix ! » Nouvelle vie, nouvelle carrière. André sera restaurateur, mais restaurateur à sa manière, éloquente, gaie. Le choix du lieu se porte sur un magasin de chaussures, situé dans une galerie marchande cachée dans une rue déjà célèbre, la rue Hamra. Il en fera un bistrot inspiré du modèle français qu’il nommera, c’est évident, Chez André. Avec, pour tout décor imaginé par son ami – et artiste fou – Guvder, un simple comptoir, star du jour, star de la nuit, des bouteilles d’alcool, locataires à contrat renouvelable, et les photos d’André tapissant et inondant les murs de son sourire et sa personnalité. Viendront plus tard participer aux couleurs des lieux des acteurs qui y déposeront leur satisfaction et leur envie de revenir. L’endroit devient très rapidement une expérience à ne pas rater, un incontournable. «Les gens venaient surtout pour lui», raconte Sarkis Chirvanian, le beau-frère et aujourd’hui gardien des lieux et témoin amer de ces moments de belle frivolité. «André était un être gai, souriant, communicatif». Les photos encore affichées aux murs un peu plus silencieux, plus vieux, «avec le temps» racontent-elles aussi des histoires. «Allô André j’écoute !» illustrant André... au téléphone, «One Whisky, one» ou encore ce dessin de Diran, un ami également, représentant André caché derrière une bouteille, avec pour – fameuse – légende : «Tu viens, je te ferais un prix !». Ils sont donc venus, nombreux, les politiciens – Camille Chamoun, Pierre Gemayel, le Amid qui avait son coin préféré, des artistes locaux et internationaux. Là encore des coupures de presse les montrent, René Poivre, Johnny Hallyday, la belle Georgina Rizk ou encore le «cousin» Charles, Aznavour bien sûr, disant à André : «Tu vois !», et l’autre de répondre : «Non je bois!». Ils sont donc venus et revenus, tous les jours, même le dimanche, entre neuf heures et deux heures du matin, pour boire une bière pression, la première servie à Hamra après la Place des Canons, et déguster la spécialité du coin, le Panbagna, et sont restés pour un dernier refrain! Les habitués avaient un verre baptisé à leur nom, suspendu au bar, souvent rejoint par un morceau de leur cravate sacrifiée au nom de l’amitié. Avec la guerre, les gens se sont éparpillés. Les habitués ont été petit à petit remplacés par des étrangers. Les choses n’étaient plus pareilles. Des espions auraient même hanté les lieux, chuchote-t-on encore aujourd’hui. En 1984, Chez André est touché par balles. Sa blessure cicatrisera mais il ne sera plus jamais le même homme. Son maître et père partira en France, également blessé, dans l’âme. il décédera là-bas dix ans plus tard. Chez Arthur Depuis le départ du grand maître aux grandes moustaches, Chez André est géré par le neveu, Arthur. Même dynamisme, dit-on, même gaieté, mais d’autres temps et une clientèle plus jeune, différente. En 1999, l’endroit s’est agrandi. Le comptoir partage à présent l’espace – plus large – avec quatre tables amies. On n’y fait toujours pas crédit et pas de politique. Les cravates sont encore là, dans un décor presque intact, un air du passé largement retrouvé grâce aux photos d’André, à la fois trop silencieuses et trop bavardes. Le fleuriste voisin, «Le trèfle» – qui semble avoir perdu ses quatre feuilles – vend à présent des gadgets. Le Saddle Horse a fermé ses portes depuis longtemps, le cinéma al-Hamra se conjugue au passé. Reste Chez André, M. Sarkis et Arthur, gardiens d’un lieu, d’une rue, d’une époque révolue et derniers résistants contre l’oubli.
Dans les années 60, il faisait bon aller chez André. André, une «grande gueule», grosse moustache, un personnage haut en couleurs gaies, souriantes et qui respiraient la bonne humeur. Des couleurs qui ont tourné au sepia, lorsque «avec le temps va, tout s’en va»... Reste un zinc célèbre où les gens se retrouvaient, se bousculaient – dépassant, et de loin, les 12...