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Actualités - REPORTAGES

Liban-Sud - Le village en effervescence Le Hezbollah effectue des perquisitions dans trois maisons de Rmeich (photo)

En moins de quinze jours de libération, le Sud a repris un aspect normal. Les villages ont retrouvé leur rythme paisible et nouveau signe des temps, les buvettes de Naqoura sont repeintes en vert, rouge et blanc, aux couleurs de l’armée libanaise. Les traces de 22 ans d’occupation israélienne sont en train de disparaître à la vitesse de l’éclair et il faut vraiment chercher minutieusement pour trouver les anciennes positions de l’ALS, désormais désertes puisqu’elles n’attirent même plus les enfants. Mais c’est dans les esprits que les séquelles de la guerre sont plus lentes à s’effacer. À Rmeich, hier, les perquisitions du Hezbollah ont ravivé les tensions... Le calme revenu, les langues se délient. Commençant à s’habituer à la nouvelle situation et ne craignant plus massacres et autres tragédies, les habitants des villages libérés évoquent plus facilement, et parfois avec humour, les incidents des premiers jours du grand bouleversement. À Alma Chaab, par exemple, devenu le point de passage obligé vers Dhaïra où se rencontrent les Palestiniens des deux côtés de la frontière, les épiciers se sont reconvertis en panneaux de signalisation pour indiquer la route aux multiples passants. L’un d’eux raconte ainsi qu’il n’y a pas eu beaucoup de vols dans le village, rien que des perquisitions les premiers jours après la libération. Une seule maison a été volée lors de la visite du chef de l’État à Alma Chaab alors que tous les habitants s’étaient précipités sur la place principale pour l’accueillir... Alma Chaab estime que le bilan est donc positif et son unique problème est aujourd’hui économique. « Ils sont revenus »... La situation est un peu différente à Rmeich, village collé à la frontière où les Israéliens viennent de reculer de quelques mètres, laissant derrière eux des fils barbelés et des lieux minés sur lesquels nul n’ose s’aventurer. Ce mercredi, le village est en effervescence. «Ils» sont revenus. Ils, ce sont les combattants du Hezbollah qui depuis le 24 mai sillonnent la région et sont venus les premiers jours fouiller les maisons des anciens membres de l’ALS. À Rmeich, 200 personnes et leurs familles se sont réfugiées en Israël au grand désespoir du millier d’habitants restés sur place. Bouleversé, Élias raconte qu’ils sont venus et ont demandé à perquisitionner dans les maisons de trois anciens collaborateurs qu’ils ont d’ailleurs déjà fouillées au cours des premiers jours. «Ils sont encore là, du côté de la maison de Jean Jreiss». Devant ladite maison, dont le propriétaire s’est réfugié en Israël, alors que les autres membres de sa famille sont encore là, deux voitures sont garées. Interdiction d’entrer pour l’instant. Les combattants qui se chargent de la perquisition sont extrêmement polis mais très stricts. Ils ont une mission et ils comptent l’accomplir jusqu’au bout, même si les femmes de la maison semblent plutôt terrorisées. La présence des deux témoins envoyés par le moukhtar pour vérifier qu’aucun objet personnel n’est emporté ne parvient pas à les rassurer, pas plus que celle des gendarmes restés en dehors de la maison. Alerté, le curé du village, Nabil Amil (avec celui de la famille Sahyouni originaire elle aussi du village, les deux noms ont donné lieu à certains quiproquos depuis la libération, le premier voulant dire «collabs» et le second «subniste») entreprend aussitôt des contacts pour protester contre le procédé et demander des explications. Depuis les fouilles des premiers jours, ce genre d’incident ne s’était plus produit, les autorités contactées ayant promis d’y mettre un terme. La veille, le Hezbollah avait pourtant averti le village qu’il souhaitait fouiller encore une fois certaines maisons, car il aurait reçu des informations selon lesquelles elles abriteraient encore des armes cachées. Le moukhtar décide d’envoyer deux témoins sur les lieux au moment des perquisitions et demande aux gendarmes de superviser l’opération. Mais ceux-ci se récusent affirmant qu’une telle démarche ne fait pas partie de leurs attributions. Ils acceptent d’escorter les membres du Hezbollah tout en restant devant les maisons. Assailli par une population traumatisée, le curé multiplie les coups de fils aux autorités religieuses et à ses contacts au sein de l’armée et des responsables politiques. Il cherche surtout à exprimer l’étonnement des habitants de Rmeich face à de tels procédés. D’autant que par la voix de son secrétaire général, sayed Nasrallah, le Hezbollah avait annoncé qu’il ne se chargeait plus d’aucune mission de sécurité dans la région. Un bien maigre butin Pendant ce temps, les perquisitions se poursuivent et trois maisons sont passées au peigne fin. Les combattants font pratiquement chou blanc, ne trouvant sur les lieux qu’un «overall» militaire et un gilet pare-éclats. Mais l’opération suffit à raviver les rancœurs de la population. «Ce n’est pas à eux de prendre de telles initiatives, s’indigne Wassim. Pourquoi, alors que les services de renseignements de l’armée, la police et toutes les autres institutions de l’État sont présentes sur le terrain, continuent-ils à nous traiter ainsi ?». À Rmeich, les gens se sentent un peu les mal aimés de la région. «Les habitants des autres villages nous regardent avec méfiance, comme s’ils nous reprochaient tacitement d’être avec l’ALS. Alors que nous n’avons songé qu’à sauver nos terres et nos maisons et nous avons payé le prix fort pour la cause arabe». Le père Amil raconte ainsi que les ennuis de Rmeich ont commencé dans les années 70, lorsque les Palestiniens ont commencé à mener des attaques contre Israël à partir du territoire libanais. «Les représailles étant très dures, nous avons décidé de ne pas laisser les Palestiniens opérer à partir du village. L’armée nous a alors distribué des armes avant de créer l’unité des Ansar pour que chaque village souhaitant se protéger soit doté de sa propre garde. Les gardiens avaient pour mission de surveiller le village et de donner l’alerte en cas de présence étrangère. En 1976, le lieutenant Ahmed Khatib fait dissidence et crée l’Armée du Liban arabe. Les unités de l’armée dans nos villages reçoivent l’ordre de se regrouper et c’est le major Saad Haddad qui en prend le commandement. D’ailleurs, jusqu’en 1991, les soldats de l’ALS recevaient encore leurs soldes de l’État. En 1978, Israël envahit le Sud et la Finul au lieu de se déployer sur la frontière s’installe sur la nouvelle ligne de démarcation…». Autrement dit, le village est jeté dans les bras d’Israël, même si ses habitants refusent jusqu’au bout d’apprendre l’hébreu dans leurs écoles. Une vibrante plaidoirie Deux cents personnes de Rmeich travaillaient en Israël comme agents municipaux ou dans des usines de vêtements ou de produits laitiers. Elles étaient soumises à une fouille humiliante à chaque passage à la Porte de Fatma et bien avant la création de la prison de Khiam, il y en avait une autre, dite le lieu de détention d’Affoula où étaient parqués les habitants des villages qui refusaient de coopérer avec les Israéliens. Cette plaidoirie, les habitants de Rmeich la récitent avec passion et les mots jaillissent en flots intarissables, comme s’ils n’en pouvaient plus de se taire et d’être incompris. «Vous ne pouvez imaginer ce que nous avons subi, ajoute le père Amil. Savez-vous que, lors des bombardements irakiens sur leur pays, les Israéliens nous ont obligés, moi et d’autres dignitaires religieux chiites, chrétiens et druzes, à nous rendre à Haïfa pour condamner devant la presse ces bombardements alors que dans nos villages les gens collaient les vitres avec du chatterton pour éviter qu’elles ne volent en éclats à cause du souffle des Scuds ? Ils ne nous ont même pas distribué des masques à gaz. Tout ce qu’ils voulaient, c’était nous utiliser pour leur propagande…». Les souvenirs affluent pleins d’amertume. «En 1978, l’Armée du Liban arabe a acheté la récolte de tabac de la région, sauf celle des villageois de Rmeich, car nous avions refusé de lui remettre les armes des Ansar. Les Israéliens ont acheté notre récolte à un dollar le kilo (le prix moyen était de 5 dollars), nous payant la moitié en dollars et l’autre moitié en shekels pour nous obliger à nous approvisionner en Israël…». Et aujourd’hui, alors qu’ils croyaient le cauchemar terminé, les habitants de Rmeich se retrouvent encore montrés du doigt, punis de crimes qu’ils n’ont pas commis, cibles faciles pour tous ceux qui croient ainsi régler leurs comptes avec l’occupation. Siham raconte ainsi que 500 voitures du village ont été volées sous prétexte qu’elles ne sont pas légales et qu’elles doivent donc appartenir à des agents de l’ALS. «Ma voiture, dit-elle, fait partie du lot. Je l’ai pourtant achetée et j’en paye encore les traites. Mais comme il n’y avait pas d’État ici, je ne pouvais pas l’enregistrer. D’ailleurs, les voitures neuves ne venaient que d’Israël. Qu’on nous fasse payer des amendes, mais qu’on régularise notre situation. Devions-nous rouler pendant 22 ans avec des tacots branlants juste pour ne pas acheter des voitures fabriquées à l’étranger, mais transitant par Naqoura ou Israël ?». Les habitants de Rmeich en ont assez d’être montrés du doigt et soupçonnés de la pire traîtrise à chaque rappel de la présence des Israéliens. «Vingt-deux ans, ce n’est pas un jour ou deux, mais des générations. Comment dans ce cas ne pas établir de contacts avec l’ennemi, alors que toutes les autres routes sont coupées ? Entre 1976 et 1985, tous nos enfants sont nés en Israël, parce que l’hôpital de Bint Jbeil n’avait pas encore été construit…». Rmeich clame ainsi sa révolte. «Que les coupables soient jugés mais que tous les habitants soient considérés comme des suspects, c’est inadmissible…».
En moins de quinze jours de libération, le Sud a repris un aspect normal. Les villages ont retrouvé leur rythme paisible et nouveau signe des temps, les buvettes de Naqoura sont repeintes en vert, rouge et blanc, aux couleurs de l’armée libanaise. Les traces de 22 ans d’occupation israélienne sont en train de disparaître à la vitesse de l’éclair et il faut vraiment...