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Actualités - REPORTAGES

Reportage - C'est de Chebaa et Kfarchouba qu'est partie la première étincelle de la guerre Du Fatehland au Lahdland, une succession de malheurs (photos)

«Mourir pour Chebaa», cela ne vaut plus la peine. Il y a quelques jours encore, la Résistance annonçait la poursuite de la lutte jusqu’à la libération des hameaux appartenant aux villageois et occupés par Israël entre 1967 et 1974. Mais aujourd’hui, ceux-ci n’y croient plus et se sentent terriblement frustrés. L’impression générale à Chebaa est qu’après deux mois de tapage médiatique, le dossier pourrait bien être rangé dans un tiroir en attendant un règlement global... Mais les habitants continuent à revendiquer leur terre, comme ils n’ont cessé de le faire pendant des années, sans trouver d’écho. Encerclée par les montagnes, la bourgade de Chebaa est oppressante. Accrochées au flanc de la colline, les maisons, parfois cossues, s’étendent de la vallée au sommet, s’entassant les unes sur les autres presque à la verticale. Encastrée dans le Jabal al-Cheikh qui, saison chaude oblige, a perdu son turban blanc, Chebaa semble isolée du reste du monde ; pourtant, elle se situe au croisement du Golan, de la Palestine et du Liban. Ce qui en a longtemps fait un point stratégique, notamment pour la contrebande. Les cigarettes venaient ainsi d’Israël et étaient acheminées à dos de mulets par les sentiers jusqu’à la Syrie. Depuis la libération, ce trafic s’est arrêté ; les douanes contrôlent désormais la frontière avec Israël et les habitants s’apprêtent à se serrer la ceinture. Charif Madi raconte ainsi qu’ à Chebaa, la plupart des habitants vivaient soit de l’agriculture, dans les hameaux s’étendant sur une surface de 25 km2, soit de la contrebande. Et maintenant, comme ils n’ont plus ni l’une ni l’autre, ils se demandent comment ils vont survivre. «Aucun des fils du village ne s’est impliqué avec l’ALS, nous n’avons aucune crainte de règlements de comptes, mais nos appréhensions sont économiques», déclare un habitant de la localité. Au cœur du Fatehland Chebaa, c’est en fait le cœur du Arkoub, la seule région sunnite du Sud généralement chiite et chrétien. Avec Kfarchouba, Kfarhamam, Hebbariya, Halta et Marj Zouhour (qui n’a pas été occupée), elle fait partie du tristement célèbre Fatehland qui, de 1967 à 1978, a constitué le théâtre des opérations militaires palestiniennes. D’ailleurs, toute l’histoire de cette bourgade est une histoire d’abandon. «L’État libanais ne s’est jamais beaucoup soucié de nous, déclare le vieux Yahya. En 1949, le président syrien Husni Zaïm avait adressé un ultimatum à l’État libanais afin qu’il lui livre 9 personnes réfugiées dans les hameaux de Chebaa et recherchées par la justice syrienne. Le Liban n’ayant pas réagi, les Syriens sont entrés dans les hameaux et y ont installé un poste de gendarmerie permanent. Nous avons relancé à plusieurs reprises l’État à ce sujet en vain. Il n’a jamais voulu entendre parler de ces hameaux. Plus tard, en signant les accords du Caire (1969), le Liban a officiellement cédé cette région aux Palestiniens afin qu’ils y lancent des opérations contre Israël». En 1978, les habitants ont réussi à chasser les Palestiniens hors de leur bourgade, grâce au déploiement de la Finul sur les lieux, mais cela n’a pas empêché les Israéliens de l’envahir en 1982. Ils en sont repartis la semaine dernière et les habitants attendent avec impatience le retour de l’État libanais. Charif Madi rappelle ainsi que le Conseil du Sud (rattaché alors au ministère du Plan) a été créé en 1970 pour Chebaa et Kfarchouba, cibles des représailles israéliennes, mais «nous n’en avons jamais obtenu un sou». Au moins, l’État a essayé... C’est entre Kfarchouba et Chebaa, près de «berket Nakkar» qu’a eu lieu en 1967 la première opération de la Résistance palestinienne. Les Israéliens ont aussitôt riposté en bombardant les villages du Arkoub. Et pendant 15 ans, le même scénario s’est répété, poussant à bout une population qui n’a jamais eu son mot à dire et que l’État n’a jamais considérée comme réellement libanaise. À l’époque où les Palestiniens régnaient en maîtres sur la région, la plupart des habitants de Chebaa s’étaient enfuis. «À un moment donné, il n’y en avait plus que 20, se souvient Yahya. Les autres ne sont revenus qu’avec le déploiement des Casques bleus norvégiens en 1978, dans le cadre de la Finul». Aujourd’hui, ce sont les Indiens qui sont en poste à Chebaa, mais la bourgade attend l’aide de l’État. Lorsque ce dernier les a invités à présenter les documents attestant leur propriété des hameaux, ils ont cru qu’enfin il s’intéressait réellement à leur sort. Ils se sont mis à rêver et à dépoussiérer les vieux souvenirs, du temps où ils vivaient heureux, cultivant les vergers et nourrissant leur bétail dans les pâturages des hameaux. «Ces hameaux, c’est un peu comme Ehden pour les Zghortiotes, précise Charif Madi. Un lieu de villégiature, mais aussi des ressources inépuisables. Je crois qu’il va falloir les oublier de nouveau, en attendant un règlement global». Tous les habitants sont déçus, même si les plus crâneurs affirment ne pas avoir cru à une restitution rapide des hameaux. Les plus indulgents lancent : «Au moins, l’État a essayé», mais tous refusent de se lancer dans des interprétations politiques. La jalousie des habitants de Kfarchouba Le tapage fait autour des hameaux de Chebaa a fait des jaloux, à Kfarchouba notamment, un village haut perché à dix kilomètres de la frontière avec Israël. C’est le premier village bombardé par Israël en 1970 et c’est un peu de ce village qu’est partie la première étincelle du long feuilleton sanglant qui a bouleversé le Liban. C’est à Jabal Rouss, à trois kilomètres à l’est du village, qu’a eu lieu le premier accrochage entre la Résistance palestinienne et les Israéliens, en 1968. Ceux-ci sont alors entrés sur le territoire libanais et ont occupé les hameaux de Kfarchouba, à trois kilomètres de Jabal Rouss. Ils ont même édifié une importante position au sommet de ce Jabal qu’ils occupent encore, bien qu’il soit à l’intérieur des frontières libanaises. Les Israéliens possèdent une deuxième position au-delà du fil barbelé qui sépare les deux frontières à Sammaka à six kilomètres de Jabal Rouss. «Nous avons montré ces positions au président du Conseil Sélim Hoss lorsqu’il est venu ici, il semblait très intéressé et même étonné». Le Dr Kassem Kadri, de Kfarchouba, se demande d’ailleurs comment se peut-il que l’État libanais connaisse si peu son territoire. «Les responsables ne savaient pas que le Liban possède des hameaux près de Kfarchouba qui s’étendent sur une surface de six kilomètres à l’intérieur des frontières libanaises. Ces hameaux-là ne font pas partie de la surface occupée en 1967 et couverte par la résolution 242, car ils n’ont jamais été sous souveraineté apparente même provisoire syrienne». Mais il y a beaucoup d’autres choses que le Liban ignore de Kfarchouba ou en tout cas oublie. Notamment que le village a été détruit à trois reprises par les Israéliens : en 1970, lorsqu’ils y ont effectué un raid avant de s’en retirer, en 1972, ils l’ont à moitié détruit et en 1975, ils l’ont bombardé avec l’aviation, le réduisant en cendres. En 1978, dans le cadre de l’opération Litani, les Israéliens ont envahi Kfarchouba et y ont installé l’ALS. D’ailleurs, ce village compte 50 anciens miliciens dont six se sont réfugiés en Israël avec leurs familles. Aujourd’hui, le siège de l’administration civile du village est devenu un dispensaire que les ONG islamiques se disputent. Mais les mille habitants vivant sur place (au total Kfarchouba compte 8 000 âmes) ne sauraient s’en plaindre, tout heureux de susciter l’intérêt d’autres Libanais, après des années d’oubli. C’est avec bonheur que les habitants laissent flotter sur leurs maisons le drapeau du Hezbollah. «Ces gens-là sont si discrets, déclare le Dr Kadri. On ne les voit jamais. Ils sont sans doute dans les collines avoisinantes, et peut-être même au village, mais ils ne cherchent jamais à se faire connaître ou à se mettre en valeur. Contrairement aux Palestiniens qui faisaient plutôt une résistance de parade. Nous avons beaucoup souffert à cause d’eux...» Et s’ils décidaient de revenir ? «Personne ne voudra d’eux, réplique catégoriquement le Dr Kadri. Cela suffit comme cela. Les habitants de Kfarchouba ont appris la leçon». Reste à savoir si le reste du Liban en a fait de même.
«Mourir pour Chebaa», cela ne vaut plus la peine. Il y a quelques jours encore, la Résistance annonçait la poursuite de la lutte jusqu’à la libération des hameaux appartenant aux villageois et occupés par Israël entre 1967 et 1974. Mais aujourd’hui, ceux-ci n’y croient plus et se sentent terriblement frustrés. L’impression générale à Chebaa est qu’après deux mois...