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Actualités - REPORTAGES

Reportage - Le calme est revenu à Kfar Kila La Finul dans l'attente d'un nouveau scénario (photos)

Au huitième jour, le calme est revenu à la porte de Fatima. La route est désormais bloquée pour les voitures sur trois cents mètres de long et les visiteurs ne viennent plus que par petits groupes se poster devant le grillage, dans l’espoir d’apercevoir des soldats israéliens. «Venez, lâches que vous êtes, nous voulons vous parler, discuter…», lancent des femmes, des enfants et des jeunes qui veulent se donner des airs de résistants mais tremblent de devoir essuyer des balles israéliennes. Pour se donner du courage, ils crient «Hezbollah, Hezbollah» et soudain, l’excitation monte. La magie opère encore, même si on est bien loin de l’ivresse des premiers jours. Le spectacle est hallucinant. Maintenant que la foule est plus clairsemée, l’autre côté de la frontière est mieux visible. Sur le fil barbelé, des haillons pendent tristement, une valise éventrée laisse apparaître de dérisoires effets personnels, rangés en catastrophe par une famille prise de panique et soucieuse de s’enfuir au plus vite, des débris de verre traînent sur le sol, provenant des projecteurs israéliens brisés, des milliers de pierres jonchent la cour devant la position israélienne…Tout ici raconte la colère d’une population frustrée pendant des années. Le visiteur est malgré lui pris à la gorge par cette atmosphère alourdie d’émotions diverses et face à ce déchaînement aujourd’hui calmé, l’ampleur du drame vécu par les Sudistes monte aux yeux. Mais il faut tourner la page. Quelques pierres pour 22 ans d’occupation ! La Finul a répondu aux revendications israéliennes en enjoignant aux autorités libanaises de prendre des mesures pour arrêter «les provocations le long de la frontière car cela pourrait mal finir». Et les tirs de balles d’alarme puis de vraies balles, dimanche dernier, qui avaient fait plusieurs blessés civils, ainsi que la violation de l’espace aérien libanais par les avions israéliens n’étaient qu’un avertissement en la matière. Selon certaines confidences, ce message transmis par les Israéliens à la Finul aurait fait l’objet d’une vive discussion. «Ils vous lancent des pierres mais vous les avez bombardés pendant des années, auraient déclaré les Casques bleus. Comment empêcher les milliers de Libanais de venir voir leur terre ? Qu’est-ce que quelques pierres devant des années de frustration ? Il ne faut pas oublier qu’il y a eu une guerre ici et, en somme, tout est relatif. De plus, ce ne sont pas ceux qui ont résisté qui lancent des pierres et des insultes, mais les curieux, les humiliés, bref tous ceux qui ont besoin de se sentir victorieux». Les Casques bleus auraient donc refusé d’éloigner la population, estimant qu’ils ne sont pas des gardes-frontières et qu’ils ne peuvent empêcher des citoyens de visiter leur pays. «La fatalité veut que dans ce secteur, les deux frontières sont très proches. Si les deux pays veulent en modifier le tracé, c’est leur responsabilité pas la nôtre, lance un officier de la Finul. Sinon, il faut accepter que les Libanais viennent se promener de ce côté». C’est donc le Hezbollah qui, soucieux d’éviter tout dérapage qui remettrait en cause sa crédibilité, a bloqué la route pour les voitures en utilisant les fameuses barrières israéliennes arrachées le premier jour dans l’ivresse de la libération, laissant toutefois un étroit passage pour les piétons. De son côté, l’armée libanaise a demandé aux personnes non originaires du Sud de ne pas se rendre sur place pour l’instant afin d’éviter la cohue et le désordre… Résultat, les gens viennent quand même, mais par petits groupes, se poster devant la porte de Fatima qui continue à être le symbole de la fin de l’occupation. Elle est même devenue un tel lieu de pèlerinage que les miliciens de l’ALS désireux de se livrer à la Justice libanaise n’osent plus l’emprunter, préférant les passages plus discrets de Naqoura ou de Majidiyé. Les miliciens de l’ALS attendent d’être payés pour revenir Selon le porte-parole de la Finul Timor Goksel, ils seraient quelque 700, avec leurs familles, à attendre à Nahariya de pouvoir rentrer au Liban. Pourquoi tardent-ils ? Selon lui, les Israéliens leur avaient promis des dédommagements (10 000 dollars par personne, dit-on) et ils ne veulent pas partir avant d’être payés. Ne risquent-ils pas de perdre ces sommes au cours du passage vers le Liban ? «Non, affirme M. Goksel, car les autorités libanaises ont tout arrangé afin que les miliciens ne soient pas inquiétés». Y a-t-il un risque de vengeance contre les familles des miliciens ? «Je ne le crois pas, déclare le porte-parole de la Finul. Mon expérience au Liban m’a convaincu que les gens finissent toujours par s’entendre, surtout dans les villages». Au village de Naqoura justement, Roula Youssef confie sans peur que son mari Ismaïl, ancien milicien de l’ALS, s’est livré à l’armée tout de suite après le retrait des Israéliens. Enceinte de huit mois de son premier enfant, elle souhaiterait qu’il puisse voir son bébé. «Mais jusqu’à présent, dit-elle, je suis sans nouvelles de lui. Lorsque je relance l’armée, on me dit qu’il faut attendre la fin des interrogatoires préliminaires». Son beau-père, le père d’Ismaïl, enchaîne : «Voyez comme le village est vide, on dirait presque que tout le monde est en prison». Son second fils Hassan le tance vertement. «Tu oublies que c’est nous qui lui avons conseillé de se rendre. Avec notre mère, je l’ai accompagné moi-même au barrage de l’armée à Mansouri. Mon cousin, lui, est encore en Israël. Je pense qu’il attend de voir ce qui va arriver à Ismaïl pour prendre sa décision». Hassan explique qu’au début, certains habitants du village ont cherché à l’intimider, en lui jetant à la face le fait que deux membres de sa famille se sont enrôlés dans l’ALS. «Mais je ne me suis pas tu, dit-il. Je leur ai rappelé que si nous, les habitants, n’étions pas restés dans nos villages, il n’y aurait pas eu de résistance. Nous sommes propriétaires d’une boutique. L’ALS a commencé par nous imposer une taxe de 400 dollars par mois, dont nous pouvions être dispensés si l’un de nous s’enrôlait dans ses rangs. Nous avons payé pendant quatre ans, puis ils ne nous ont plus donné le choix. Mon frère, plus jeune que moi et plus tête en l’air, a cédé et voilà». Les maisons des miliciens sont fouillées Selon Hassan, quarante miliciens de Naqoura se sont livrés à la justice et cent autres se sont réfugiés en Israël. Mais toutes les familles vivent harmonieusement, car le village est solidaire. «Le Hezbollah a été très ouvert, précise-t-il, affirmant qu’il empêcherait toutes les tentatives de représailles contre les familles car seule la justice châtie les coupables». Dans tous les villages de la bande frontalière, les maisons des miliciens de l’ALS ont été fouillées par le Hezbollah ou Amal à la recherche d’armes. À Alma ach-Chaab, les habitants précisent qu’après le désordre du premier jour, les maisons ont été fouillées en présence du maire, avant d’être soigneusement refermées. Ici non plus, les habitants n’ont pas peur d’éventuelles représailles. Dans ce village chrétien, 30 maisons sur 230 sont vides, leurs résidents s’étant réfugiés en Israël. Non, ici ce que la population craint, c’est de ne pas avoir les moyens de survivre économiquement. L’eau venait d’Israël puis un jour, elle a été coupée et le président Berry a donné l’ordre de construire un puits artésien. «Par contre, les téléphones et l’électricité laissent à désirer. Si en plus, il va falloir payer les factures !» s’écrie Saada qui espère que la Finul restera dans le secteur afin d’aider économiquement la population. Au quartier général des Casques bleus, personne ne semble au courant du rôle réservé à la Finul. Harcelé en permanence par les journalistes, le porte-parole Timor Goksel est sur ses gardes. Selon lui, il faut attendre le rapport final de l’émissaire du secrétaire général des Nations unies pour que soit décidé le sort de la Finul. Prévoir un nouveau scénario «Il faut prévoir un nouveau scénario, dit-il. Avant, M. Kofi Annan avait souhaité augmenter les effectifs car il pensait qu’il fallait éviter les incidents. Or, le retrait a eu lieu plus tôt que prévu et tout s’est déroulé sans incident. A-t-on encore besoin de 7 800 hommes ? (Il y en a actuellement 4 500) et quels pays choisir afin de répondre aux besoins de la région, notamment les déminages, puisque des milliers de mines ont été plantées le long de la frontière et autour de certaines positions ?» De nombreuses questions demeurent ainsi en suspens et il faut, pour y répondre, coopérer avec le gouvernement libanais. Goksel affirme que la Finul ne doit pas oublier qu’elle est l’hôte du Liban et qu’elle est là pour l’aider, non pour lui créer des ennuis. Selon lui, il n’y a aucun risque de friction avec le Hezbollah et Amal, car après les premiers jours d’euphorie, ceux-ci ne circulent pas en armes et n’ont pas installé des positions militaires dans la région évacuée par Israël et ses alliés. Quelle sera, selon lui, la mission de la Finul ? «D’abord vérifier la totalité du retrait israélien, rétablir ensuite la sécurité dans la région puis aider les forces légales à contrôler les lieux. Nous en sommes encore à la première étape». Le porte-parole de la Finul est convaincu que si l’État veut réellement contrôler la région, il doit y envoyer l’armée qui jouit ici d’une grande crédibilité et a la confiance de la population. M. Goksel ne veut pas commenter la mission de M. Roed-Larsen. «Je ne comprends rien à leur technologie», dit-il, précisant avoir été averti de la visite de l’émissaire de M. Annan à Naqoura 20 minutes avant son arrivée. D’ailleurs tout le quartier général a été pris de court par cet atterrissage inopiné, le cuisinier irlandais racontant sa panique lorsqu’on lui a dit qu’il fallait préparer un déjeuner pour 20 personnes en un quart d’heure. «J’ai sorti toutes mes salades, des blancs de poulet et une bouteille de vin», lance-t-il. Finalement, M. Roed-Larsen et ses compagnons ont dû apprécier le repas puisque le déjeuner s’est éternisé alors que les journalistes attendaient impatiemment sous le soleil la tournée de l’émissaire de l’Onu sur certains points litigieux le long de la frontière prévue en début d’après-midi. Ils seraient une quinzaine et M. Roed-Larsen, escorté par son équipe de cartographes, en a inspecté quelques uns, dans la discrétion la plus totale. Il ne dira rien avant d’achever son rapport, mais les habitants du Sud, eux, sont convaincus que la cause du Liban ne peut qu’être reconnue. Ils ont attendu bien trop longtemps pour cela…
Au huitième jour, le calme est revenu à la porte de Fatima. La route est désormais bloquée pour les voitures sur trois cents mètres de long et les visiteurs ne viennent plus que par petits groupes se poster devant le grillage, dans l’espoir d’apercevoir des soldats israéliens. «Venez, lâches que vous êtes, nous voulons vous parler, discuter…», lancent des femmes, des...