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Actualités - REPORTAGES

Reportage - Incursion éclair dans la zone occupée A deux mois du retrait, la frontière n'a pas changé ... (photo)

D’un côté la fébrilité, de l’autre l’angoisse, le Liban-Sud n’a jamais été aussi divisé qu’à deux mois du retrait israélien promis et attendu. Si les habitants de la région libre attendent avec impatience de revoir des lieux devenus zone interdite depuis plus de 20 ans, leurs compatriotes de la bande occupée se demandent avec appréhension ce que leur réservera l’avenir. Comment, pour ces si longtemps oubliés de la nation, renouer avec un pays dont ils n’ont plus qu’un souvenir et un nom ? À travers les vitres sales du bus de la Finul, les paysages sublimes côtoient les images de désolation et laissent présager des retrouvailles difficiles entre les deux parties du Liban. Le départ à Borj Kalaway est matinal et glacial. Mais lorsque les Casques bleus du bataillon indien de la Finul donnent aux journalistes des gilets pare-éclats (bleus aussi), on comprend que la situation est grave. Dans le Sud bouleversé, la moindre visite est une aventure, parfois pénible, toujours dangereuse et émouvante. Evitant les points de passage traditionnels, le bus de la Finul passe par une route complètement isolée, qui d’une colline à l’autre traverse le Wadi Slouki, surnommée la vallée des cigognes, tant elles y habitent en paix, loin des poursuites des chasseurs et des bruits de la vie humaine. Ce site merveilleux d’un vert lumineux ne sert plus, en effet, qu’au passage clandestin des résistants désireux de mener une opération contre des positions israéliennes à Taybé ou à Kantara, de l’autre côté de la vallée. Pour un profane, le lieu peut paraître idyllique, tant il est truffé de dangers. Seuls d’ailleurs les soldats de la Finul se risquent à s’y rendre, aux aguets, casques enfoncés sur le crâne. Kantara paraît presque déserte, seule une position de la Finul donne un peu de vie à cette région éprouvée. En 1978, elle avait été tenue par les soldats iraniens alors dans la Finul, puis avec la révolution de l’ayatollah Khomeiny, Téhéran a suspendu sa participation à la force internationale. C’est ensuite Taybé, qui fait constamment l’actualité, puisque ces derniers temps, les actions de la résistance s’y concentrent. Taybé, village chiite par excellence, où flottent encore les drapeaux noirs de Achoura et où l’on aperçoit enfin les premiers habitants. Les visages sont tristes et ici, la perspective de la «libération prochaine» ne fait pas naître des sourires, simplement une immense angoisse pour l’avenir. «On va nous traiter comme des traîtres alors que nous avons seulement voulu rester chez nous. Qui va nous protéger du Hezbollah ? L’Etat est-il en mesure de prendre une décision libre et juste ?» Cette question est sur toutes les lèvres, mais pour l’instant, nul ne peut y répondre. Un monument à la gloire de l’AlS Après Taybé, c’est Adayssiyé qui longe la frontière avec Israël. Une frontière devenue mythique mais qui n’est rien d’autre qu’un simple fil barbelé avec une route de chaque côté. À notre passage, nous croisons sur une voie parallèle, un véhicule militaire israélien truffé de soldats. C’est une patrouille de routine de l’autre côté de la frontière. Mais, selon les habitants de la région, cette terre appartiendrait en fait au Liban. Israël aurait annexé cette colline et y aurait édifié un kibboutz aux maisons soigneusement alignées afin d’assurer à la plaine voisine, une plus grande protection. En tout cas, à deux mois du retrait annoncé, rien n’a encore changé. Le mur électronique, qui, selon le gouvernement israélien, doit coûter 140 millions de dollars et assurer une protection en profondeur du Nord d’Israël, n’a pas encore commencé à être érigé. Au point que l’un des habitants nous confie ne pas trop croire à un retrait imminent. «C’est de la propagande pour faire monter les enjeux. Comment pourraient-ils se retirer dans deux mois alors qu’ils n’ont encore pris aucune mesure concrète ?», s’écrie-t-il. En vérité, il faut habiter dans la région pour en percevoir toutes les subtilités. D’ailleurs pour bien montrer aux habitants que l’AlS restera sur place, un gigantesque monument a été construit à sa gloire sur une colline à Kherbé. Dans le plus pur style moderne, il est plutôt hideux, mais il se dresse comme un défi…. C’est ensuite Ibel Saqui qui abrite le seul hôtel de la région (il fait d’ailleurs de bonnes affaires avec l’afflux des journalistes étrangers) puis la merveilleuse plaine de Marjeyoun, lumineuse sous le soleil. D’un côté c’est Khiam et sa prison au sommet de la colline, menaçante et terrible avec ses fils barbelés, de l’autre Marjeyoun où se trouve le QG de l’AlS. Des deux côtés de la colline, deux barrages de l’AlS surveillent les passants. Mais avec seulement deux miliciens, l’un en civil, l’autre en tenue militaire, ils ne paient pas vraiment de mine. Il est vrai qu’en général ils n’arrêtent pas les véhicules de la Finul. Kawkaba est un plateau à 800m d’altitude, particulièrement stratégique pour la région. Situé entre le mont Hermon (Jabal Cheikh) et le Golan, il permet de distinguer Nabatiyé et ses environs, ainsi que le Golan et les premières collines de Galilée. D’ailleurs, tout au fond de la vallée, à quelques kilomètres entre le Golan et la Galilée, c’est le village de Chebaa. Il comptait au départ 40 000 habitants, qui ne sont plus aujourd’hui que quelques milliers, très heureux toutefois, puisque Chebaa est le royaume de la contrebande. «Essentiellement des cigarettes en provenance d’Israël que nous envoyons en Syrie», confie un villageois qui n’éprouve aucune honte pour son action. «Il faut vivre, vous savez». À Chebaa, on a moins peur de l’avenir qu’ailleurs. C’est l’une des rares régions sunnites du Sud et les habitants de Chebaa racontent avec fierté qu’ils bénéficient de l’appui et de l’attention constante de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri et de sa sœur Mme Bahia. «Nous ne nous sommes pas enrôlés dans l’AlS, précise un chebaaïote, nous faisons simplement des affaires…». Que feront-ils le jour où la loi s’appliquera de nouveau à Chebaa ? «Avant 1978, nous faisions aussi de la contrebande. Vous croyez sérieusement qu’un jour le trafic devra cesser ?» La réponse est laissée aux autorités. Mais elle n’est pas la seule que les habitants de la zone occupée attendent avec anxiété.
D’un côté la fébrilité, de l’autre l’angoisse, le Liban-Sud n’a jamais été aussi divisé qu’à deux mois du retrait israélien promis et attendu. Si les habitants de la région libre attendent avec impatience de revoir des lieux devenus zone interdite depuis plus de 20 ans, leurs compatriotes de la bande occupée se demandent avec appréhension ce que leur réservera...