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Actualités - REPORTAGES

Recherche scientifique - Des anticorps monoclonaux mis au point par deux chercheuses de l'UL Une parade libanaise au paludisme (photo)

La recherche scientifique au Liban demeure un domaine totalement ignoré du public. Certains professeurs d’université ne savaient rien parfois des travaux qui se font dans d’autres établissements d’enseignements supérieurs que le leur. Dans le cadre d’une série sur la recherche scientifique au Liban, L’Orient-Le Jour a rencontré deux immunologistes diplômées d’universités parisiennes, les Drs Souleima Chamat et Hasnaa Bouharoun-Tayoun, qui ont inauguré un laboratoire de recherches à la faculté de santé publique de l’Université libanaise, à Fanar. Leur but : lutter contre le paludisme par la mise au point d’un nouveau moyen de parer à ce fléau, à savoir les anticorps monoclonaux. Le paludisme, plus communément appelé malaria ou fièvre des marais, est la première endémie infectieuse au monde. Sa répartition géographique concerne surtout la zone intertropicale, en l’occurrence les régions où chaleur et humidité sévissent : Asie du sud-est, Afrique et Amérique méridionale. Cette maladie, conséquence de l’infection par un parasite, le plasmodium, qui colonise le sang du sujet infecté, est transmise d’un individu à l’autre par la piqûre d’un moustique (l’anophèle). Une seule des quatre espèces de plasmodium peut être mortelle : le plasmodium falciparum, responsable des accès de fièvre cérébrale. Il est en outre responsable de 2 millions de décès par an, dont plus d’un million d’enfants. Il s’ensuit que le paludisme est la maladie qui tue le plus de par le monde, bien que l’opinion générale attribue – à tort – ce triste record au virus du sida. «Un petit aperçu scientifique est nécessaire avant d’entamer la description de nos travaux, souligne le Dr Bouharoun-Tayoun. Il est actuellement connu que dans les zones endémiques, où pratiquement la totalité de la population est atteinte, l’homme, infecté de façon quasi permanente, développe à la longue une immunité non-stérilisante – c’est-à-dire qui ne lui permet pas d’éliminer le pathogène de son organisme – mais qui le protège contre les symptômes et complications de la maladie. En effet, il a été observé que les enfants touchés par l’infection subissent des accès de fièvre et sont d’autant plus sujets aux complications mortelles de la maladie qu’ils sont en bas âge. Au fur et à mesure que l’enfant grandit et résiste aux infections répétées, les accès de fièvre se font plus rares et, vers l’âge de 15 ans, quoique ayant toujours le parasite dans son sang, il n’est plus malade en ce sens qu’il ne présente plus aucune manifestation pathologique, grâce à une immunité que son corps aura développée». «À l’Institut Pasteur de Paris, poursuit le Dr Bouharoun-Tayoun, avec lequel d’ailleurs nous collaborons régulièrement, j’ai mené, de concert avec d’autres chercheurs, des travaux ayant pour but d’étudier et de comparer le profil de la réponse immunitaire chez différentes personnes (infectées et malades et chez des personnes infectées et non malades). Nous avons également réalisé le transfert d’extrait de sérum d’un individu protégé à un individu qui était sujet à un accès de paludisme. Ce dernier a pu profiter de l’immunité qu’on lui a transférée et a été guéri. Cette immunité s’exerce par le biais d’une molécule fabriquée par l’organisme humain pour se protéger contre le parasite. Cette molécule, ou anticorps, se fixe sur le parasite, ou plus spécifiquement (comme notre équipe l’a découvert par la suite) sur une protéine recouvrant le parasite, l’empêchant de commettre des dégâts. Cette découverte a été brevetée. Je suis coauteur du brevet d’invention avec le Dr Druilhe, chef de l’unité de parasitologie médicale de l’Institut Pasteur», souligne le Dr Bouharoun-Tayoun. Les anticorps monoclonaux L’immunothérapie est une innovation thérapeutique qui enregistre des succès quotidiens. Ce nouveau mode de traitement consiste à mimer la façon dont l’organisme humain se défend contre les agents pathogènes auxquels il est exposé, en reproduisant les substances qu’il synthétise dans ce but. «Quand une personne est infectée par un corps étranger, explique le Dr Chamat, elle produit dans son sang une large panoplie de molécules dites anticorps. Certains de ces anticorps sont très efficaces ou très protecteurs, d’autres le sont moins, d’autres encore moins, etc. Les anticorps monoclonaux sont des anticorps fabriqués par un seul clone de cellules, c’est-à-dire provenant d’une seule et même cellule». «Leur intérêt, ajoute le Dr Chamat, réside dans le fait qu’actuellement, ils peuvent être fabriqués en laboratoire, en quantités illimitées, sans compter qu’ils sont homogènes. Il nous suffit donc de choisir la cellule qui produit chez l’individu protégé le meilleur anticorps et d’en fabriquer des anticorps monoclonaux en quantité voulue. Nous aurons ainsi réussi à produire un médicament d’efficacité maximale contre le parasite. Mettre au point ces anticorps monoclonaux capables de protéger les individus susceptibles, ou même ayant un accès de paludisme en tant que traitement immédiat, d’urgence, tel est le but final de nos recherches». «Un autre avantage offert par ce mode de traitement, poursuit Dr Chamat, est celui d’épargner au malade la transfusion d’anticorps isolés à partir de sérum d’individus, avec tous les risques qu’elle comporte, entre autres le risque de transmission de maladies comme l’hépatite. D’autre part, sachant qu’aujourd’hui le paludisme développe une résistance à toutes les médecines, l’intérêt de l’immunothérapie s’en trouve décuplé, puisqu’il pallie ce problème thérapeutique majeur». Le Dr Souleima Chamat est coauteur d’un traité pour la fabrication des anticorps monoclonaux humains. Le paludisme au Liban ? Le Liban n’est plus considéré actuellement parmi les pays endémiques. En effet, des campagnes d’éradication menées à grande échelle au cours des années cinquante dans le bassin méditerranéen ont permis l’élimination définitive et totale de l’insecte coupable. En l’absence de cet unique vecteur de transmission, aucun cas d’atteinte n’a été reporté depuis. Tous les cas de paludisme libanais sont donc «importés» et concernent exclusivement les émigrants libanais revenus d’Afrique ou d’Amérique du Sud, ainsi que la main-d’œuvre étrangère. «On pourrait se demander pourquoi nous n’avons pas choisi un sujet de recherches qui corresponde plus profondément à l’actualité libanaise, affirme le Dr Chamat. Nous ne croyons pas que tout chercheur doit entreprendre nécessairement des travaux qui soient en relation directe avec l’actualité médicale ou scientifique locale. Pour nous, l’idée a en fait été de démarrer une activité de recherche à la faculté de santé publique. Pour que cela soit possible, une autonomie scientifique s’avérait indispendable. D’où le choix d’un projet de recherche susceptible d’être couvert complètement et sur tous les fronts par nos compétences respectives». Le Dr Hasnaa Bouharoun-Tayoun et le Dr Souleima Chamat sont toutes deux détentrices d’un doctorat en immunologie de l’Institut Pierre et Marie Curie et de l’Université Paris 7. Le Dr Bouharoun-Tayoun, après une formation de recherche à l’Institut Pasteur de Paris, rentre au Liban en 1993. Elle est actuellement professeur adjoint à la faculté de santé de l’Université libanaise. Le Dr Souleima Chamat a suivi une formation de post-doctorat en biotechnologie en Californie. Elle enseigne à la faculté de médecine de l’Université libanaise. Aide et financement : assurer une formation de haut niveau Le projet est financé par le programme franco-libanais CEDRE sur une période s’étendant sur quatre ans. Pour la première année, les efforts vont être consacrés à la mise sur pied du laboratoire de recherche à la faculté de santé publique de Fanar, dont l’équipement est aujourd’hui presque au point. Les deux chercheurs bénéficient de l’appui tant moral que matériel de l’université, en particulier du doyen de la faculté de santé publique, le Dr Bernadette Abi-Saleh. L’université s’est en effet chargée d’équiper le laboratoire en matériel lourd, nécessaire pour les recherches. Ce matériel est également destiné à la formation des étudiants en sciences. Les Drs Bouhouran-Tayoun et Chamat sont continuellement en contact avec leurs collègues de l’Institut Pasteur à Paris, en particulier avec le Dr Druilhe. «En fait, nous avons nous-mêmes initié ce projet dont nous avons proposé le partenariat à nos collègues français, et non l’inverse comme c’est le cas le plus souvent», souligne le Dr Bouharoun-Tayoun. Douanes et coupures de courant «Le problème financier qui était le principal obstacle au démarrage de nos travaux est maintenant dépassé grâce aux aides financières que nous recevons», précise le Dr Bouharoun-Tayoun. «Cependant, un autre problème majeur entrave depuis quelque temps la poursuite de nos travaux : les coupures d’électricité ! Toutes nos manipulations nécessitent l’utilisation d’appareils électriques (incubateur, etc.). Il nous est impossible de mener à bien ces expériences avec les coupures si fréquentes du courant électrique, ce qui paralyse ou du moins ralentit considérablement nos travaux». «Autre difficulté majeure : les douanes. Notre matériel est, en grande partie, importé de l’étranger, indique le Dr Bouharoun-Tayoun. «Or la catégorie “produit destiné à la recherche” n’existe pas dans les normes douanières libanaises, et notre matériel est souvent classé dans la catégorie “objet de luxe” ou “meubles” ! Des cages commandées pour loger les animaux d’expérience ont été perçues par nos douaniers comme “objets décoratifs”. Cela accroît considérablement le tarif d’importation. L’établissement de nouvelles normes d’importation plus adaptées en ce qui concerne le matériel de recherche serait souhaitable». «La recherche, soulignent les Drs Bouharoun-Tayoun et Chamat, est essentielle à l’accomplissement de notre formation et elle constitue l’objectif même de nos efforts. Il s’agit d’un domaine où l’on apprend chaque jour quelque chose de nouveau. La routine n’a donc pas de place».
La recherche scientifique au Liban demeure un domaine totalement ignoré du public. Certains professeurs d’université ne savaient rien parfois des travaux qui se font dans d’autres établissements d’enseignements supérieurs que le leur. Dans le cadre d’une série sur la recherche scientifique au Liban, L’Orient-Le Jour a rencontré deux immunologistes diplômées...