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Actualités - REPORTAGES

Correspondance Sans le savant fou et meurtrier, pas d'Oxfort English Dictionary

Quand, en 1857, James Murray, l’éditeur de l’Oxford English Dictionary, fit appel à des hommes de lettres pour collaborer à la rédaction de cet illustre instrument de travail, il reçut des centaines de réponses. L’une d’entre elles avait attiré son attention. Elle portait la signature du Dr William Chester Minor, qui s’est avéré des plus prolifiques car il avait envoyé, d’un petit village anglais, Crowthorne, des milliers de définitions et de citations, écrites à la main avec beaucoup de netteté. En plusieurs occasions, Murray avait proposé au Dr Minor de venir visiter Oxford, où l’on désirait rendre hommage à son travail. Mais l’invitation avait toujours été esquivée. Cependant, entre les deux hommes, s’était établie une correspondance régulière, nourrie et très amicale. Finalement, en 1896, alors que Minor avait envoyé environ 10 000 définitions, l’éditeur du dictionnaire décide d’aller le voir. Et où le trouve-t-il ? Enfermé dans un asile pour criminels lunatiques. Cette histoire, qui tient de l’incroyable mais vrai, est contée dans un ouvrage, aujourd’hui un best-seller, intitulé Le professeur et le fou : un conte de meurtre, de démence et de fabrication de l’Oxford English Dictionary. L’auteur, Simon Winchester, relate en détail et avec humour cette affaire qui tient du suspense et de la chronique historique et linguistique. La vie de Willam Minor est un roman à elle seule de même que l’élaboration du dictionnaire qui a duré 70 ans. Les quarante premières années s’étant déroulées sous les auspices de son éditeur, James Murray. C’est en fait la rencontre de deux brillants esprits qui dit le fil ténu existant entre la raison et la folie et la force communicative du verbe. De même qu’elle reflète l’obsession que l’on avait au XIXe siècle de cataloguer la langue anglaise. Médecin, linguiste, peintre et homme de lettres À l’origine, le Dr William Chester Minor est un médecin américain, natif de l’État du Connecticut, qui a pratiqué intensément dans les corps armés pendant la guerre de Sécession. Il avait eu à soigner des blessés graves, hurlant d’effroi et de douleur. Son travail consistait à amputer et à soigner des blessures très graves. Il avait ainsi vécu à l’ombre de la mort sous son jour le plus déchirant. Son drame était venu de là. Et pour couronner le tout, on lui avait un jour demandé de marquer au fer rouge un déserteur ayant comme lui des ancêtres irlandais. Brûler ainsi à vif la peau d’un front pour y graver au feu la lettre «D» avait été une sensation qui ne s’est jamais émoussée. À la fin de la guerre, il avait commencé à se plaindre de violent maux de tête et avait souvent des hallucinations. Il fut alors suspendu de ses fonctions de médecin. Ses parents l’avaient ensuite envoyé en Europe, espérant qu’un changement de cadre lui serait bénéfique. Là, dans une ruelle de Londres, il abat un soir un homme qui passait à côté de lui. Interrogé par la police, il répond qu’il avait tué des intrus ayant pénétré dans son appartement. Jugé au tribunal comme un dérangé mental, il avait été incarcéré, en 1872, à l’asile de Broadmoor pour criminels atteints de démence. Un enfermement créatif et productif Cet enfermement n’a pas été un point final pour lui mais le début d’une remarquable activité intellectuelle. Homme d’éducation et de discipline, il utilise la pension versée par l’armée pour se constituer une importante librairie comportant les meilleurs titres d’auteurs d’expression anglaise. Et c’est à partir de là donc qu’il s’attelle à la rédaction de l’Oxford English Dictionary. Il faut dire qu’il avait une nature et un background d’une grande envergure artistique et littéraire. Il a toujours aimé peindre à l’aquarelle mais il avait surtout l’amour de la littérature. À douze ans, il connaissait déjà plusieurs langues pour avoir connu à plusieurs cultures à Ceylan (actuel Sri Lanka) où ses parents avaient été missionnaires pendant un certain temps. De retour aux États-Unis, il complète une éducation classique et fait des études de médecine. Il exerce cette profession mais n’oublie jamais ses premières amours, la littérature et les langues. Une grande sensibilité et une dichotomie que les horreurs de la guerre transformeront en schizophrénie créatrice et productive grâce à un appel d’initiative linguistique : la rédaction du célèbre dictionnaire. Son partenaire et initiateur de ce projet avait dû attendre deux décennies pour connaître sa véritable identité. Une belle histoire que la sienne, marquée par une tragédie personnelle, une passion littéraire et une amitié profonde et unique qui ont tissé une œuvre monumentale, l’Oxford English Dictionary. Une œuvre qui, ironiquement, n’aurait pas pu voir le jour sans l’apport d’un homme vivant au fil du rasoir, tantôt génie du mal, tantôt génie tout court.
Quand, en 1857, James Murray, l’éditeur de l’Oxford English Dictionary, fit appel à des hommes de lettres pour collaborer à la rédaction de cet illustre instrument de travail, il reçut des centaines de réponses. L’une d’entre elles avait attiré son attention. Elle portait la signature du Dr William Chester Minor, qui s’est avéré des plus prolifiques car il avait...