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Actualités - ANALYSE

Le pôle méditerranéen ou le dilemme de l’Europe face à l’Amérique

 Centre du monde au début du XXe siècle, l’Europe, théâtre de deux grands conflits mondiaux, confirmant une tendance sans doute inexorable, va être reléguée au siècle prochain, au 3e rang des continents pour son importance démographique et économique, derrière l’Asie (60,4 pour cent de la population en 1995) et l’Amérique (13,6) contre 12,8 pour cent à l’Europe. Second grand ensemble économique du monde après l’Association nord américaine, l’Alena, l’Union européenne apparaît d’ores et déjà comme un des pivots du XXIe siècle avec un marché de 372 millions de personnes réparties sur 3,1236 millions de km2 de 15 pays dotés d’une monnaie unique l’euro, ayant vocation à devenir, après le dollar américain, la deuxième monnaie de référence de la nouvelle économie mondiale. Elle se pose désormais en un pôle géostratégique à la mesure de son poids économique, de ses ambitions politiques, du rôle qu’elle revendique dans l’histoire. Toutefois, la structuration de l’espace européen implique pour sa consolidation le prolongement du projet européen vers son hinterland méditerranéen, plus précisément vers son flanc oriental (l’Europe balkanique) et son flanc méridional (rive musulmane de la Méditerranée), c’est-à-dire son prolongement vers deux zones de turbulences dont l’Europe redoute les effets déstabilisateurs sur son continent, mais qui sont, paradoxalement, un de ses marchés majeurs, son principal réservoir humain et partant principal antidote à son vieillissement démographique. La jonction de la deuxième puissance économique mondiale (Europe) et du principal gisement pétrolifère du monde (rive Sud de la Méditerranée) par l’aménagement d’une sphère économique abritant un marché potentiel de 550 millions de personnes, s’étendant sur 46 000 km de côtes, s’impose dès lors comme un impératif. Le pôle méditerranéen découle de ce constat d’autant plus manifeste que la Méditerranée, concentré de toutes les contradictions de la planète et point de convergence des lignes de fracture de la modernité, à l’intersection de trois continents (Europe, Asie, Afrique) et des grandes voies de communication maritimes internationales, apparaît comme l’un des principaux terrains de compétition du XXIe siècle. Sa vocation de sceller un partenariat entre les riverains de ce qui a longtemps été la ligne médiane du monde (Méditerranée), la matrice de trois religions monothéistes de l’univers (Christianisme, Islam et Judaïsme), en vue de transcender l’antagonisme historique de deux rives pour refaire de la Méditerranée un des centres du monde du IIIe millénaire, confère à la dimension stratégique du projet une portée historique. La mutation démographique de la planète en accentuant les disparités Nord-Sud fera de l’Asie et de l’Afrique au XXIe siècle de grands gisements de main-d’œuvre. Ils vont amplifier les flux migratoires notamment vers les pays industrialisés et accentuer la pression sur la mobilité de la main-d’œuvre et sur la précarité de l’emploi, au moment où les gains de productivité de l’Europe ne paraissent plus en mesure de générer des emplois et que la féroce concurrence des États-Unis et du Japon réduit d’autant sa marge de manœuvre. Circonstance aggravante, l’Europe ne dispose plus de son empire colonial, exutoire naturel aux difficultés économiques et démographiques des métropoles occidentales. De là découle sa tentation de s’assurer de nouveaux marchés captifs en proposant un partenariat global avec la rive musulmane de la Méditerranée, le nouveau débouché de ses surplus commerciaux, tout en s’assurant un ravitaillement régulier en produits énergétiques et une régulation de ses flux migratoires. L’Union européenne doit importer la moitié de sa consommation énergétique et ne peut de ce fait négliger les apports du Sud méditerranéen qui devraient lui permettre de résister à la concurrence asiatique. Les entraves structurelles économiques Mais ce projet précurseur de la coopération Nord-Sud se heurte à des obstacles structurels, à des disparités socio-économiques et à des clivages politico-religieux entre les deux rives de la Méditerranée. Il se heurte aussi à la concurrence américaine et surtout à l’absence d’une volonté politique européenne. Les chiffres ne souffrent aucun commentaire : à titre comparatif, le PNB (Produit national brut) de la France est de 22 000 dollars par an, celui de l’Égypte 775 dollars par an, alors que, parallèlement, la fuite constante des cerveaux vers le monde occidental s’apparente à une hémorragie. De l’ordre de 10 000 en moyenne par an rien que pour l’ensemble maghrébin, auquel il convient d’ajouter le contingent du Moyen-Orient (Égypte, Liban, Syrie, Turquie et Palestine), la fuite des cerveaux accentue la dépendance de la rive arabo-musulmane de la Méditerranée à l’égard de la rive européenne. Ce déséquilibre se retrouve au niveau de la production intellectuelle et du développement économique, sur les 500 000 titres d’ouvrages publiés chaque année dans le monde, 25 % (125 000) proviennent des pays méditerranéens, mais 85 % du quota Méditerranée est produit par quatre pays européens : France (39 000), Espagne (35 000), Italie (19 600) et l’ancienne Yougoslavie (12 100). La Turquie arrive loin derrière avec 7 000 titres, suivie de l’Égypte. En comparaison, les cinq membres de l’UMA (Union du Maghreb arabe-Algérie, Maroc, Tunisie, Libye et Mauritanie) produisent près de 2 000 titres par an, toutes langues confondues (arabe, français, berbère, anglais et espagnol). L’Europe face à la concurrence américaine Si l’objectif déclaré du Forum de Barcelone est de promouvoir un «partenariat global» entre les riverains, son objectif sous-jacent est de compenser vers le Sud méditerranéen l’élargissement de l’Union européenne aux pays de l’Europe du Nord et du Centre (Suède, Autriche, Finlande) de tradition anglo-saxonne. Cinq siècles après la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, le 12 octobre 1492, et la chute de Grenade entraînant le déclassement du «Mare Nostrum» comme centre de gravité du monde, le pôle transméditerranéen se veut aussi un acte d’affirmation de la latinité face à l’hégémonie anglo-saxonne. Cette posture tranche singulièrement avec tout un courant de pensée de l’intelligentsia occidentale, qui dénonce l’islam, première des religions dans le monde par l’importance de ses adeptes (1,5 milliard de fidèles environ), comme l’un des deux grands périls du monde futur pour les occidentaux au cours du XXIe siècle. À l’horizon de l’an 2010, l’Union européenne devrait intégrer 13 nouveaux pays, occuper une superficie de cinq millions de km2, plus que la Russie, et regrouper 545 millions d’habitants, davantage que les États-Unis. Sous réserve de la cohérence de son bon fonctionnement, cet ensemble créerait une nouvelle donne géopolitique vis-à-vis de la Russie, de l’ancienne Yougoslavie et des pays limitrophes de la Turquie : la Syrie, l’Irak, l’Iran et les sept Républiques musulmanes de l’Asie centrale. Dans sa tentative de créer ce nouveau pôle géo-économique, l’Union européenne se heurte à la puissance américaine, en butte même à sa concurrence dans son propre hinterland stratégique au point d’en pâtir au niveau de son autonomie politique. Elle n’a jamais réellement cherché à infléchir son comportement à l’égard des États-Unis envers lesquels elle manifeste, selon l’expression du professeur Jacques Berque, une «logique de vassalité» héritée de l’époque de la guerre froide. L’Union européenne n’a en effet jamais envisagé de remettre en cause la prépondérance américaine dans le domaine des hydrocarbures, ni son leadership dans la gestion des affaires mondiales. Pour preuve, la construction européenne s’est fondée au départ sur le charbon-acier (CECA), puis sur l’atome (Euratom), et le dialogue euro-arabe, amorcé au lendemain du premier choc pétrolier en 1973, n’a jamais englobé ni la politique énergétique, ni les problèmes politiques, en raison de l’hostilité conjuguée des États-Unis et d’Israël. Au point que se pose dans toute sa brutalité la question de savoir si l’Europe a abdiqué son indépendance pour se résoudre au rôle de promontoire outre-Atlantique de l’Amérique, ou alors renouant avec sa validation ancienne de foyer de civilisation, elle développerait à nouveau sa propre autonomie face aux États-Unis pour en faire une «île au large des rives de l’Eurasie», pour reprendre l’expression du géographe Michel Foucher. Tel est l’un des enjeux majeurs du 21e siècle, tel est le dilemme de l’Europe face à l’hyperpuissance américaine : tel est le véritable enjeu du Forum méditerranéen BarceloneIV, le 4e du genre, qui se tient en l’absence significative des États-Unis, mais en présence de ses principaux partenaires stratégiques, ses leviers d’influence dans la zone, Israël certes, mais aussi les deux pays musulmans d’Europe, la Turquie et l’Albanie, de surcroît nouvelle plaque tournante régionale des activités mafieuses et un des principaux foyers de nuisance de la criminalité transcontinentale vers l’Europe occidentale.
 Centre du monde au début du XXe siècle, l’Europe, théâtre de deux grands conflits mondiaux, confirmant une tendance sans doute inexorable, va être reléguée au siècle prochain, au 3e rang des continents pour son importance démographique et économique, derrière l’Asie (60,4 pour cent de la population en 1995) et l’Amérique (13,6) contre 12,8 pour cent à l’Europe....