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Actualités - ANALYSE

LIBAN-SYRIE - Des centaines de personnes ont afflué à Moukhtara pour appuyer le leader druze Joumblatt calme les ardeurs de ses partisans et appelle au dialogue

Depuis que le seigneur des lieux fait l’objet de menaces non déguisées, le cœur du Liban semble battre à Moukhtara. Les Libanais de tous bords et de toutes confessions jugent inadmissible la méthode d’intimidation utilisée contre Walid Joumblatt et tous souhaitent lui témoigner leur solidarité. Si certaines manifestations ne sont pas innocentes, d’autres expriment sincèrement la révolte contre ce mépris total d’un leadership pourtant reconnu. Les trois salons et les deux cours internes du palais regorgent de monde et le leader druze salue tous ses visiteurs, essayant de répondre à leurs doléances, mais surtout cherchant à calmer leur ardeur. À ceux qui veulent lui donner leur sang ou ressortir les armes, il déclare : «Nous ne voulons pas de guerre. Nous sommes pour le dialogue». Cela n’empêche pas le «président de la rencontre démocratique» de se sentir aujourd’hui incompris et un peu amer. Entouré de fidèles et d’autres qui le sont moins, chrétiens et druzes pour la première fois depuis longtemps en nombre égal dans ce lieu, Walid bey se sent malgré tout un peu seul. Il lève fréquemment les yeux au ciel comme pour le prendre à témoin ou pour éviter de dire clairement sa pensée. D’ailleurs, il ne donne pas d’interview, mais petit à petit, une conversation à bâtons rompus s’engage et, une fois n’est pas coutume, le chef du PSP fait preuve de patience, désireux de comprendre ce qui a pu provoquer une telle tempête. «Je n’ai rien dit de plus que Nassib Lahoud ou que d’autres. Pourquoi c’est à moi que l’on s’en prend, je l’ignore». Joumblatt insiste : «Je n’ai pas dépassé le plafond de Taëf et lorsque j’ai évoqué un redéploiement syrien vers les positions stratégiques, je n’ai pas défini celles-ci, considérant que c’est aux autorités syriennes de le faire. Elles peuvent ainsi décider que Beyrouth est un point stratégique et je ne trouverai rien à y redire. Ma position est claire : je suis contre le retrait des Syriens et l’application de la résolution 520 et malgré le respect que je porte au patriarche maronite, je ne partage pas ses idées». Alors, pourquoi est-il devenu persona non grata à Damas ? «Je l’ignore. Apparemment, il est interdit d’évoquer certains sujets. Je suis aujourd’hui condamné à mort». Mais les menaces viennent de M. Assem Kanso. Doivent-elles être prises au sérieux ? «Que vous faut-il de plus ?» Kanso s’était pourtant réfugié chez lui lorsqu’il avait fait l’objet d’une disgrace syrienne. «En politique, il n’y a pas d’amis». Joumblatt a-t-il peur ? «J’ai dépassé ce stade. Mais j’ai beau préciser ma pensée, on continue à me menacer. D’abord au Parlement, puis hier (samedi) à travers une interview télévisée» . Des circonstances différentes Ce que le chef du PSP ne précise pas mais que certains anciens confient, c’est que les premières menaces physiques adressées à son père Kamal Joumblatt étaient aussi venues de M. Assem Kanso, au début de l’année 1976. Aujourd’hui, l’ère des liquidations politiques semble révolue et Walid bey est le premier à reconnaître que les circonstances présentes sont très différentes de celles de 1976, mais l’atmosphère demeure très tendue. Se sent-il aujourd’hui plus proche de son père que par le passé ? «J’espère que là où il est, il est satisfait de moi». Le chef du PSP évoque ensuite le livre (qu’il signera aujourd’hui à Expo-Beyrouth) sur son père écrit par un journaliste russe. «J’ai beaucoup appris sur mon père à travers cet ouvrage». Serait-ce cet ouvrage – qui parle, entre autres, de la thèse de Kamal Joumblatt appelant à la séparation du Liban et de la Syrie – qui lui vaut la colère des autorités de Damas ? «Pourquoi? Cela fait partie de notre histoire. On ne peut pas effacer certaines tranches du passé parce qu’elles nous dérangent». Joumblatt nie ensuite une volonté de solliciter des médiations avec Damas. «Comment voulez-vous que je le fasse puisque hier encore, on a réitéré les menaces à mon encontre ?» Qu’est devenue sa maison en Syrie ? «En vérité, je n’en suis pas propriétaire. Elle a été mise à ma disposition par les autorités syriennes et jusqu’à présent, on ne m’a pas demandé de rendre les clés». Joumblatt parle ensuite de la gravité de la situation au Sud et en Palestine, demandant aux Arabes plus de fermeté dans ce dossier. Mais il se rebelle contre l’idée que son appel à un rééquilibrage des relations libano-syriennes ferait aujourd’hui le jeu des Israéliens et affaiblirait les rangs internes. «Alors, au nom de la cause arabe, il serait interdit d’évoquer les problèmes internes ? Surtout qu’à part les hameaux de Chebaa, et bien sûr le problème des réfugiés palestiniens, le Liban en a fini avec cette question. Il serait peut-être temps de se pencher sur la situation interne». Joumblatt rappelle qu’il a voté la confiance au gouvernement, sur base de la déclaration ministérielle, mais cela ne l’empêche pas d’avoir des remarques sur le dossier des relations libano-syriennes, sur l’intervention des services de sécurité et sur la crise économique. Le président du Conseil a d’ailleurs abondé dans son sens concernant la seconde revendication. Cherche-t-il à intervenir en sa faveur auprès des autorités syriennes ? «Il est à Qatar pour l’instant», répond laconiquement Walid bey. « We got the message » Il utilise ensuite l’anglais pour lancer «We got the message». Pense-t-il qu’il est sérieusement question d’activer l’affaire d’Abou Haytham, un ancien responsable de sa milice, accusé d’avoir été l’agent de Arafat et de bien d’autres pendant la guerre et actuellement emprisonné en Syrie, comme l’ont laissé entendre certaines rumeurs ? «De grâce, qu’on ne me parle plus de cette affaire. Il ne faut pas oublier que c’est moi qui ai livré Abou Haytham aux autorités syriennes». Joumblatt se lève ensuite, désireux de disperser la foule et surtout souhaitant faire taire ceux qui veulent lire des poèmes de dévotion à son égard. Il est même un peu gêné par toute cette sollicitude. De retour sur sa chaise en osier, toute simple, il explique sa fierté de voir que le peuple libanais est finalement très soudé. «Il fait preuve d’authenticité, montrant qu’il reste uni dans sa diversité et le respect de ses particularismes. Il a surmonté les barrages confessionnels, politiques et autres pour venir exprimer son refus des procédés non démocratiques». Joumblatt se veut aujourd’hui un virulent défenseur de la démocratie qui sous-entend la liberté d’expression et le respect des divergences. Il milite donc pour une loi électorale qui respecterait le droit des minorités. «Après la fin de la guerre, on a parlé de fusion nationale qu’on voulait imposer comme on frappait le kebbé. Cela ne pouvait pas fonctionner de cette façon...» Joumblatt refuse pourtant de tenir un langage confessionnel. «Les libertés et la démocratie, ce sont des questions nationales». Il nie toute implication dans les incidents de Soueyda (dans le jebel druze syrien) qui ont fait plusieurs morts entre les habitants et les nomades et réaffirme son attachement à des relations privilégiées avec la Syrie, mais bâties sur le respect. Et entre deux réponses, il écoute les doléances des solliciteurs, réclame une nouvelle tournée de café et répond aux témoignages de sympathie. «To be with you or not to be», lui lance un partisan. Joumblatt hoche la tête, embarrassé. À ses yeux, les visiteurs ont beaucoup de mérite, l’armée ayant multiplié les barrages dans le Chouf. Joumblatt avait d’ailleurs demandé à ses partisans de ne pas se rendre à Moukhtara dimanche, mais c’était réclamer l’impossible, jeunes et vieux estimant de leur devoir d’être auprès du chef menacé. Il se contente d’appeler au dialogue, en espérant être entendu. Dans son fief, entouré des siens, Joumblatt a soudain l’air las. «Que devais-je faire ? demande-t-il. Si on reste otage du passé, on ne peut pas avancer ni entamer un dialogue». «Qu’Allah vous protège», lui lance une vieille femme, et sa prière résonne longuement sous les voûtes du palais chargé d’histoire. Scarlett HADDAD
Depuis que le seigneur des lieux fait l’objet de menaces non déguisées, le cœur du Liban semble battre à Moukhtara. Les Libanais de tous bords et de toutes confessions jugent inadmissible la méthode d’intimidation utilisée contre Walid Joumblatt et tous souhaitent lui témoigner leur solidarité. Si certaines manifestations ne sont pas innocentes, d’autres expriment...