Courrier Drôle de pays...

 Drôle de pays pour vivre sa vie. Drôle d’endroit pour élever ses enfants, élever son âme et grandir. Drôle d’histoire, de géographie, de géopolitique. Drôles de paysages. Drôle d’urbanisme. Drôle de civisme. Drôle d’esprit civique. Drôle de pays où les feux de signalisation sont plus indicatifs qu’impératifs. Drôle de pays où les sens interdits concernent davantage les sens que la circulation. Drôle de pays où la population est au service des hommes politiques plutôt que les hommes politiques au service du citoyen. Drôle de pays où l’on perd sa voix quand on vote. Drôle de pays où les vainqueurs aux élections ne sont pas sûrs de gouverner. Drôle de pays où l’automne est jaloux de l’été, où la moiteur arrose davantage que les averses. Drôle de pays où la rumeur est la meilleure alliée d’Israël, où il suffit que les chaînes satellitaires diffusent les menaces et les ultimatums de Barak pour qu’une population se terre et se taise. Drôle de pays où les réponses des dirigeants à ces menaces ne réconfortent pas, n’apaisent pas, ne font pas taire nos peurs. Drôle de pays où TV5, CNN ou MTV réussissent à faire réémerger nos peurs devenues ataviques. Drôle de pays où la seule assurance qu’on a c’est qu’on s’y fera manger : par les voisins en temps de guerre, par les puissants en temps de paix. Drôle de pays où le souvenir des abris, l’odeur de la poudre et des centrales électriques qui crament ressurgissent à la première alerte. Drôle de pays où libération rime avec angoisse et occupation avec statu quo. Drôle de pays où l’identité de l’un menace l’identité de l’autre. Drôle de pays où quand tu revendiques ton statut d’opprimé, tu déranges l’oppresseur. Drôle de pays où pas plus les parents que l’État n’arrivent à assumer les scolarités ou les soins médicaux des enfants... Drôle de pays où la meilleure réponse aux problèmes est : «on verra demain». Drôle de pays où les citoyens ne protestent pas dans la rue. Drôle de citoyens qui s’accrochent viscéralement à ce drôle de pays. Carla YARED