PLACE DE L’ÉTOILE

 J’aime la place de l’Étoile le dimanche. Onze heures, café, jus d’orange, vélo, trottinette, presse non syndiquée, soleil oblique mais persistant pour la saison. Le marchand de ballons est à son poste. Les gendarmes aussi, devant le portail noir et clos du Parlement. Autour de l’horloge, on refait le monde. Les jours de trêve, c’est dehors qu’a lieu le débat : «Qu’est-ce qu’on déjeune, que reste-t-il à mettre dans le ragoût, et les chèvres, elles ne sont pas folles ? Les chèvres mangent les pommes qui ne vont plus en Libye. Il reste à manger les chèvres». Peu importe. Il y a dans l’air une légère odeur d’eaux usées mêlée à celle du gazon fraîchement coupé. On les sent parce que la place de l’Étoile est encore l’un des derniers endroits de Beyrouth où l’on s’oriente au pif : les rues sont piétonnes. Où sommes-nous ? «Bien sûr qu’elles ont des noms, les rues, dit le gendarme. Mais on ne les connaît pas bien. Il y a sûrement Maarad et Barghout. Les autres…» C’est pas son boulot, le gendarme. Lui, le dimanche, il donne des graines aux pigeons, devant le portail noir. Il bavarde avec les enfants. Les enfants roulent autour de la place. L’horloge sonne midi. Ils apprennent à lire l’heure en chiffres romains. Le marchand de ballons a offert des épées de baudruche et des casques à tête de canard. Les enfants prennent d’assaut les marches où s’agglutineront les journalistes demain. La messe est finie. Requiem ? Les grands déboulent pour l’apéro. Ils ont des costumes sombres. Ça sent l’after - shave comme sur une place de village. Circulez, il n’y a rien à voir. Rien à voir pour les esprits chagrins qui le verraient d’un mauvais œil. Une journée paisible. Un ciel bleu turquoise contre le mauvais œil. J’aime les dimanches, place de l’Étoile. Fifi ABOUDIB