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Actualités - REPORTAGE

Communautés - L’embargo et les menaces d’une nouvelle guerre rendent l’air irrespirable Les chrétiens d’Irak vivent dans la peur et la paranoïa collective(photos)

Les chrétiens d’Irak, une minorité en voie de disparition ? Dans les années 80, leur nombre dépassait les deux millions. Aujourd’hui, ils sont environ 800 000, toutes églises confondues. Chaldéens, assyriens, arméniens, catholiques ou orthodoxes, ils sont tous aujourd’hui unis par la peur. La peur d’un lendemain incertain. La peur d’une guerre contre leur terre natale et le cauchemar de voir leur pays déchiré par la guerre civile. Dans ce dernier cas, ils craignent de voir leurs communautés prises entre deux feux : les chiites et les sunnites. Cette peur n’est pas le fruit de sentiments « paranoïaques », mais d’un quotidien de plus en plus difficile. Certes, la laïcité du parti Baas au pouvoir a assuré jusqu’à présent la liberté du culte à toutes les confessions d’Irak, et les chrétiens se sentaient privilégiés. Leur bonne éducation et le commerce leur permettaient d’accéder à différents postes au sein de l’État, mais l’animosité et la haine à l’égard de l’Europe et de l’Occident, associées implicitement à leur religion, fait leur malheur. Soudain, ils ne sont plus considérés comme de simples citoyens Irakiens et c’est leur identité religieuse qui passe au premier plan. « On ose même nous demander si nous serons loyaux envers notre pays ou si l’on soutiendra les chrétiens d’Occident », note un assyrien père de famille. Cette peur et ce refus ont été incarnés dernièrement par un meurtre. Sœur Cécile a été sauvagement assassinée dans son monastère des religieuses dominicaines chaldéennes, rue de Palestine. Ses 70 ans ne lui ont été d’aucun secours face aux « voleurs », tels que l’avait assuré l’enquête de la police irakienne. En tout cas, les trois agresseurs ont été jetés en prison… pour quelques jours. L’amnistie générale déclarée par le président Saddam Hussein, après les élections présidentielles, a par la suite permis aux trois hommes de circuler librement dans les rues de Bagdad. L’importance du clan Si la vendetta est profondément ancrée dans la société irakienne, elle exige toutefois le soutien d’un clan puissant et nombreux. Or les chrétiens n’ont pas ce privilège. L’émigration et la mort des jeunes sur les fronts de la guerre ne leur permettent pas de s’imposer en force. On raconte même que les chrétiens se sentent si menacés qu’ils cherchent à fuir les ennuis. Ainsi, en cas d’accidents ils réparent la voiture du tiers, même si leur responsabilité n’est pas établie. Vivre discrètement est devenu pour eux une sorte d’exigence sociale qui, malheureusement, ne cesse de croître. Dernièrement, une nouvelle loi a été votée interdisant les noms propres occidentaux. « Les chrétiens et arméniens d’Irak ne peuvent même pas jouir du luxe de choisir le prénom de leurs enfants », note un chaldéen âgé de quarante ans et père de trois enfants. Un répertoire de quarante prénoms est mis à leurs dispositions, ils en choisissent un et enregistrent l’enfant. Sinon, il n’est pas reconnu par l’État. Cette loi a pour objectif d’islamiser le pays par la force et non de réduire les différences entre chrétiens et musulmans, comme l’affirment les responsables. Mon aînée s’appelle Olivia, le cadet se prénomme Oliver et le benjamin Patrick. Si j’ai un quatrième enfant, ce sera Loukaï, Alaa ou Koussaï… Des prénoms sans aucun lien avec notre culture ou notre religion », déplore-t-il. Passer inaperçu Mossoul est considérée comme le fief des chrétiens d’Irak depuis des siècles. Dans ces contrées ont été édifiés les premiers monastères du pays et le plus grand nombre d’églises. Les antiques villages chrétiens continuent à être habités et les gens parlent araméen ou syriaque. Pour eux, l’arabe est la langue du commerce et des papiers officiels. Dans ces lieux, les gens se sentent protégés. Ils vivent dans leurs petites communautés, enseignent le catéchisme à leurs enfants et sont invités à la messe au son des clochers, interdits dans les autres villes d’Irak. Ceux qui ont quitté leur maison familiale pour vivre dans les villes perdent très vite cette sécurité. Telles ces nonnes qui ne se déplacent plus en habit religieux. « Même pour aller à l’université, elles vont en tenue de ville, sinon elles attendent un taxi pendant plus d’une demi-heure », se plaint un prêtre catholique. Toujours est-il que cette terrible situation s’est aggravée durant ces deux dernières années. L’embargo et les menaces d’une nouvelle guerre rendent l’air irrespirable. Au milieu de cette tension, chacun réagit à sa façon. Et la peur engendre une sorte de paranoïa collective. On cherche le coupable et le traître. Malheureusement, en ce début de siècle où tout est perçu à travers le prisme de la religion, les chrétiens sont devenus la cible d’une société fuyant une guerre qui leur est imposée par d’autres chrétiens. Joanne FARCHAKH Pour la préservation de la culture chrétienne «Est-ce que tu parles chrétien ? ». Tel est le mot de passe utilisé par les chrétiens d’Irak pour se reconnaître et s’identifier. Parler chrétien signifie en fait parler syriaque. Car les communautés assyriennes et chaldéennes ont su préserver de génération en génération leurs traditions ancestrales et leur langue. Dans leurs foyers et leurs églises, le syriaque demeure la langue de la communauté utilisée même pour les publications religieuses. Transmettre ce savoir est considéré comme un devoir. « Il s’agit de la préservation de notre culture et de notre identité », explique un assyrien, professeur à l’Université de Bagdad. « Dans cet objectif, nous envoyons nos enfants aux classes de religion affiliées aux églises. C’est là-bas qu’ils apprennent le catéchisme et la grammaire syriaque », ajoute-t-il. Il est important de souligner que depuis la nationalisation des établissements missionnaires, l’enseignement de la religion chrétienne a été interdit dans les écoles, sauf si les enfants de confession chrétienne en sont majoritaires. Pour les jeunes, apprendre le catéchisme dans les salles des églises est aussi un bon alibi pour se retrouver entre amis. Les hauts murs des monastères leur offrent le refuge nécessaire pour échanger des informations et faire de nouvelles connaissances. Cela se passe avec la bénédiction des religieux. Certains d’entre eux craignent en fait que l’insoutenable tension régnant au sein de ces communautés n’affecte les jeunes psychologiquement ; et pour les réconforter, ils leur offrent souvent leurs « propres asiles ». « Ils ont besoin de respirer et de vivre leur âge, la situation actuelle les en prive. Surtout que la campagne de la foi islamique lancée par le gouvernement irakien, depuis quelques années, rend la vie des chrétiens plus difficile à gérer. Garçons et filles ne peuvent plus se fréquenter librement dans les lieux publics ; même jouer de la musique occidentale est très mal vu…», note un religieux assyrien. Huit femmes pour un homme Certes, les statistiques officielles manquent en Irak, mais les curés des paroisses et les évêques avancent des chiffres approximatifs. « Nous sommes maintenant à huit femmes pour un homme dans notre communauté », note un curé syriaque-orthodoxe. « Les guerres et l’émigration constituent les piliers de notre malheur. Tous les jours, des jeunes hommes franchissent la frontière du nord de l’Irak à la recherche d’un avenir meilleur sous d’autres cieux, n’importe où. Pour eux, vivre en Europe dans les camps des réfugiés est plus avantageux que d’être ici », poursuit-il. Un grand nombre de ces émigrés n’a pas encore dépassé les 25 ans. Diplôme universitaire en poche, ils fuient le service militaire prenant avec eux les économies de la famille et laissant derrière eux des cœurs brisés. « Comment trouver des maris à toutes ces jeunes filles ? Comment assurer la continuité de toute cette civilisation ? », déplore un curé chaldéen. « De toute ma famille, cousins et frères rassemblés, je suis le seul à vivre encore ici. Ils se sont tous installés en Suède et m’invitent souvent à les rejoindre. Mais je ne peux pas quitter ce pays, c’est la terre de mes ancêtres. Je serai un étranger partout ailleurs. Qui partagerait avec moi ce sentiment ? Difficile à deviner. Depuis deux décennies le quotidien se rendurcit. Je ne cesse en fait de me demander quel sera le nombre des croyants dans 20 ans ? Après deux mille ans de croyance et de pratique, fermerons-nous les portes de nos églises ? Est-ce le dernier chapitre de notre histoire ? », conclut-il. Les reliques de sainte Thérèse, un message de paix en temps de guerre Il y a quelques jours, les reliques de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus ont quitté l’Irak pour retourner en France, après un séjour de quarante jours. De Bagdad à Bassorah puis à Mossoul, les grandes églises de ce pays ont pu ainsi profiter de la bénédiction de cette sainte. « Sa présence parmi nous est un message de paix, note l’archevêque de Bagdad pour l’église latine Mgr Jean Sleimane, et son séjour regorgeait d’agréables surprises. » « Nous avions organisé le voyage de Beyrouth à Bagdad par voie de terre, mais à la dernière minute un donateur nous a offert son avion personnel pour faire le voyage. À l’aéroport de Bagdad, une foule de trois cents personnes nous attendait. En larmes, elles tenaient leurs bougies et chantaient des louanges. Pour elles, pour nous, la présence de ces reliques dans ce pays était le plus beau cadeau. Car elles nous donnaient de l’espoir », ajoute-t-il. Cet espoir était profondément senti par les Irakiens. Nadia, une jeune fille de quinze ans, affirme : « J’ai prié pendant des heures. Je lui ai demandé la paix à notre peuple et que tous les gouverneurs du monde retrouvent la raison. » Son amie Myriam avoue en souriant qu’elle a surtout prié pour son père vivant depuis des années au Danemark. « Il me manque, mais on n’obtient pas des visas pour se rendre chez lui, et il lui est interdit de revenir. L’avenir semble incertain sauf, intervention divine. » Les vœux varient selon l’âge des croyants. Les tout-petits venaient aux églises réciter les chants. Les responsables des activités les avaient en fait préparés pendant des semaines. C’était surtout des chants de paix. Les reliques ont fait la tournée des grandes églises de Bagdad, toutes communautés confondues. Puis, elles ont été au Sud, à Bassorah. Le nombre des chrétiens de cette ville, à majorité chiite écrasante, ne dépasse pas les dix mille. Mais l’accueil était des plus chaleureux. « Des femmes en tchador attendaient aux portes de l’église, demandant la permission d’y entrer. Elles voulaient aussi prier, c’était très émouvant », affirme l’évêque Sleimane. En fait, dans les traditions religieuses chiites, les reliques revêtent une importance particulière. En Irak, le plus grand nombre de mosquées referme un mausolée et les reliques d’un saint homme. Puis le voyage pour le Nord a suivi. Trois véhicules seulement accompagnaient les reliques. Une discrétion voulue par les organisateurs. Les Irakiens voyaient en ces reliques une marque positive. « Le retour des experts de l’Onu et les inspections se déroulant sans obstacles en sont la preuve », assure l’évêque Sleimane, qui poursuit : « Un grain de sable peut arrêter un réacteur d’avion. Notre prière sera ce grain de sable face à tous ces soldats bardés d’armes sophistiquées. » Plaidoyer pour une étude approfondie Les monastères du nord de l’Irak sont d’une beauté indicible. Troglodytes, ils témoignent du calvaire de la naissance de cette religion au IVe siècle. Les parois des églises de Mossoul sont recouvertes d’un marbre vert orné de motifs décoratifs, géométriques et floraux. Les bas-reliefs des représentations humaines et animales cherchent les trois dimensions. Cet art qui a vu le jour au Moyen Âge s’est développé au cours des siècles, mais son évolution reste malheureusement peu connue du monde scientifique. En fait, les chercheurs spécialistes en art chrétien irakien sont une denrée très rare. Et pourtant, cet art mérite toute attention. Par ailleurs, les chrétiens d’Irak ont conservé un mode de vie millénaire. Les vieilles dames de Mossoul se couvrent toujours de l’abbaya noire rappelant le tchador iranien. Et dans les villages chaldéens, les femmes portent leurs robes fleuries et les turbans multicolores. Ces traditions vestimentaires sont actuellement très concurrencées par le jeans et la nouvelle mode mondiale. Quant aux manuscrits, tous les couvents en recèlent et attendent impatiemment qu’un chercheur vienne révéler leurs secrets. Les églises d’Irak ne disposent pas de moyens financiers ou académiques pour soutenir de grands projets de recherche, mais sont prêtes à aider toute autre institution consciente de la singularité de leur culture.
Les chrétiens d’Irak, une minorité en voie de disparition ? Dans les années 80, leur nombre dépassait les deux millions. Aujourd’hui, ils sont environ 800 000, toutes églises confondues. Chaldéens, assyriens, arméniens, catholiques ou orthodoxes, ils sont tous aujourd’hui unis par la peur. La peur d’un lendemain incertain. La peur d’une guerre contre leur terre natale...