Rechercher
Rechercher

Actualités - ANALYSE

GUERRE DE L’OMBRE - Tué par une charge explosive, Ramzi avait un passé de résistant Entre les Israéliens et les Nohra, l’histoire d’une longue lutte

Il y a des familles prédestinées à vivre avec le danger et à mourir pour défendre une cause. Les Nohra, d’Ibl el-Saki, en font partie. Dans ce village à grande majorité chrétienne (grecque-orthodoxe), ils ont choisi d’être baassistes, comme une affirmation de leur identité arabe, et leur engagement à lutter contre Israël. Pendant les longues années d’occupation israélienne du Liban-Sud, ils n’ont rien perdu de leurs convictions, entrant en résistance, comme d’autres entrent en religion. Et, aujourd’hui, ils sont le symbole d’un Liban uni pour une même cause: travaillant pour le Hezbollah, ils viennent de sacrifier deux des leurs, Ramzi Nohra et Élie Issa, tués par l’explosion d’une charge au passage de leur voiture... Dimanche dernier, Ibl el-Saki arborait de drôles de banderoles, jaunes et noires, aux couleur du Hezbollah, en hommage à un résistant chrétien: Ramzi Nohra. L’image d’un Liban que l’on voit de moins en moins en ces temps d’exacerbation confessionnelle, l’expression pourtant d’un engagement indéfectible au sein de la résistance. Qu’elle soit progressiste, laïque ou chiite, pour les Nohra, cela importe peu. Ils en sont et ils sont prêts à mourir pour elle. Les orateurs en cette messe de requiem, une semaine après la mort tragique de Ramzi Nohra et de son neveu Élie Issa, ne s’y sont pas trompés, insistant sur l’unité des Libanais autour de la résistance et sur la détermination israélienne à détruire cette même unité. Mais au-delà des symboles, l’histoire de Ramzi Nohra mérite d’être racontée. Engagé dans les rangs des partis hostiles à Israël, il s’est très tôt lancé dans des opérations de résistance, au milieu des années 80, lorsque le Liban ployait sous le joug des soldats israéliens. Arrêté une première fois, il a passé deux ans dans les prisons israéliennes de 1989 à 1991 et les agents d’Israël avaient cette famille à l’œil. Libéré mais étroitement surveillé, il n’a pas renoncé à ses convictions, faisant une nouvelle fois de la prison en Israël en 1992. Là, il est resté trois ans, soumis à toutes sortes de pressions pour briser sa détermination et son courage. Un enlèvement mené de main de maître En vain. À peine libéré, il a planifié, avec ses frères, Camille et Moufid, tout aussi engagés que lui, l’enlèvement d’Ahmed Hallak, le poseur de la bombe de Bir el-Abed, le 31 décembre 1994. Les services libanais avaient en effet réussi à identifier le poseur de cette bombe, qui avait fait plusieurs victimes, dont le frère de Imad Moghnié, une des personnes recherchées par les Américains et les Israéliens depuis des années. Ahmed Hallak avait donc été repéré grâce à sa compagne, qui avait tout raconté aux autorités libanaises, notamment l’enrôlement d’Ahmed par les services israéliens et sa tentative d’assassinat d’Imad Moghnié, à Bir el-Abed. Seulement, Ahmed Hallak avait eu le temps de se réfugier dans la zone alors occupée, laissant sa compagne aux mains des autorités. C’est donc dans cette zone que l’auraient cueilli les frères Nohra, procèdant à son enlèvement, le gardant quelque temps chez eux, avant de l’envoyer vers la zone libérée, dans le coffre d’une voiture. Par la suite, la justice libanaise a jugé Hallak et l’a condamné à mort pour haute trahison, alors que les autorités sont restées très discrètes sur les circonstances de son arrestation. On en comprend d’ailleurs aisément la raison. L’arrestation de Hallak avait d’ailleurs provoqué une vague d’arrestations par les Israéliens dans la zone alors occupée. Et, bien entendu, Ramzi Nohra a été une nouvelle fois arrêté. Il est resté en détention jusqu’à la fameuse opération d’échange de prisonniers entre les Israéliens et le Hezbollah en 1998. Mais les Israéliens avaient alors posé comme condition à sa libération qu’il reste loin de la zone occupée. Nohra s’est plié à cette exigence, avant d’opérer un retour triomphal dans son village en mai 2000. Lui est ses frères ont alors repris leurs activités officielles de commerçants. L’armée israélienne, une ligne rouge Ayant mis à profit ses longues années de prison en Israël pour tisser des liens avec des officiers de Tsahal, Nohra a gardé ces relations, les consolidant par le biais de trafics divers, on parle même de drogue. C’est ainsi que, selon certaines informations, il aurait réussi à enrôler, pour le compte de la résistance libanaise, des officiers israéliens de haut rang, dont le colonel Omar el-Hayb récemment arrêté et jugé en Israël. Il a dès lors signé son arrêt de mort, l’armée étant pour les Israéliens une ligne rouge intouchable, puisqu’elle est à l’origine du mythe de l’invincibilité de l’État hébreu. C’est pourquoi, le vendredi 6 décembre, une charge explosive, placée sur le bord de la route, a fait sauter la Mercedes de Ramzi Nohra, à la sortie d’Ibl el-Saki, alors qu’il se trouvait avec son neveu, Élie Issa. Pour les frères Nohra, ce n’est qu’une étape dans leur lutte contre l’ennemi israélien. «Ils ont gagné une manche, nous en remporterons d’autres, la guerre est loin d’être finie», aurait dit l’un des frères lors de la cérémonie des funérailles. Mais pour pouvoir le faire, il faudrait d’abord que les services de l’État parviennent à arrêter les agents qui ont exécuté l’assassinat de Nohra. Et, pour l’instant, aucun indice ne permet de croire qu’ils possèdent une piste. La guerre est bien loin d’être terminée. Scarlett HADDAD
Il y a des familles prédestinées à vivre avec le danger et à mourir pour défendre une cause. Les Nohra, d’Ibl el-Saki, en font partie. Dans ce village à grande majorité chrétienne (grecque-orthodoxe), ils ont choisi d’être baassistes, comme une affirmation de leur identité arabe, et leur engagement à lutter contre Israël. Pendant les longues années d’occupation...