Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

Courrier La poste et le livre de Lamia es-Saad

Avec mon enveloppe en papier kraft sous le bras, je me dirigeai vers le bureau de LibanPost le plus proche. Je vérifie une dernière fois que l’adresse est bien clairement écrite, 168 Mercer Street, NY NY... La jeune employée derrière le comptoir pèse mon enveloppe qui contient deux livres et me tend un grand formulaire à remplir. Je commence à le faire sans trop réfléchir puis je m’arrête. Ce papier me demande mon nom ainsi que celui de mes deux parents, le numéro de mon registre, le numéro de ma carte d’identité, la date d’émission de ma carte d’identité, ma nationalité, mon adresse et mon numéro de téléphone. Pourquoi cette inquisition alors que je n’étais là que pour envoyer le livre de Lamia es-Saad, Le bonheur bleu, à mon amie Sumayyah qui habite New York ? Le formulaire continue : « Par la présente, j’autorise la direction des douanes et la direction générale de la Sûreté, département des publications et de la diffusion audiovisuelle, en la personne de leurs employés, à ouvrir et inspecter le contenu du colis ou l’enveloppe que j’envoie à l’adresse suivante... » Un département de publication et de diffusion audiovisuelle à la Sûreté générale ? Mais que publie donc ce département et quelle est la production audiovisuelle qu’il diffuse ? Je reprends mon enveloppe sous le bras. Non, je n’autorise pas la Sûreté générale à « inspecter » une enveloppe que j’envoie à Sumayyah, je l’autorise encore moins à « inspecter » le livre de Lamia es-Saad. En chemin, je ne suis pas révoltée mais triste de ne plus pouvoir échapper, même dans un geste des plus anodins, à une réalité grandissante, celle de vivre dans un État de plus en plus policier. La pluie porte conseil. Quelques pas sous une très belle pluie fine et je me reprends. Mais bien sûre que je dois autoriser la direction des douanes et la Sûreté générale à « inspecter » le livre de Lamia. Ces messieurs doivent même en inspecter chaque page, chaque phrase, chaque mot, chaque virgule et point virgule, chaque point. En fait non seulement je les autorise, mais je les incite à faire cette inspection de la manière la plus précise, la plus complète. J’incite aussi les chefs de la guerre libanaise et leurs financiers installés au pouvoir ou dans l’opposition, je les incite tous à « inspecter » le livre de Lamia. Ils y découvriront une parole pleine, une voix claire, un ton limpide, une âme sans rancune, une magnifique intégrité, une étonnante capacité à l’introspection. Ils y découvriront une petite fille que leur guerre a arrachée à l’enfance et qui a eu l’extraordinaire courage et la force de se transformer en une belle jeune fille et en un véritable écrivain. Suite à cette inspection, puissent-ils se souvenir qu’ils n’ont pas encore demandé pardon à Lamia et aux milliers d’autres enfants qu’ils ont arrachés à la vie. Nada SEHNAOUI
Avec mon enveloppe en papier kraft sous le bras, je me dirigeai vers le bureau de LibanPost le plus proche. Je vérifie une dernière fois que l’adresse est bien clairement écrite, 168 Mercer Street, NY NY... La jeune employée derrière le comptoir pèse mon enveloppe qui contient deux livres et me tend un grand formulaire à remplir. Je commence à le faire sans trop réfléchir puis je...