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Actualités - INTERVIEWS

Interview - L’ambassadeur du Gabon répond aux questions de « L’Orient-Le Jour » Simon N’Toutoume-Emane : Le partenariat, un élément important dans la stratégie globale de développement des pays du Sud(photo)

La francophonie se caractérise par sa diversité qui fonde son universalité. Elle ne peut satisfaire son idéal universel que si elle reste un creuset dans lequel viendrait se fondre la polysémie des cultures de tous ses membres en vue de l’émergence d’une civilisation universelle. Le français a été un puissant appoint à notre patrimoine culturel. Ces propos sont ceux de l’ambassadeur du Gabon au Liban, M. Simon N’Toutoume-Emane, qui s’est prêté à notre questionnaire. Q – Le Gabon est le seul pays de l’Afrique subsaharienne francophone à avoir au Liban un représentant diplomatique ayant rang d’ambassadeur. Quels sont les intérêts qui ont dicté une telle décision ? R – Pratiquant une politique de large ouverture, le Gabon entretient des relations tant bilatérales que multilatérales avec des partenaires variés. Une telle option est l’expression de sa vision du monde. Notre pays est disposé à coopérer avec les États qui le souhaitent, dès lors que son indépendance et sa souveraineté sont respectées. Les liens qu’il a, de longue date, avec le Liban illustrent parfaitement cette disponibilité. Ils sont exemplaires, fondés sur une solide amitié, s’exprimant dans une coopération multiforme féconde. Ils sont aussi et surtout marqués du sceau d’un destin linguistique commun (nous avons le français en partage). L’engagement du Gabon comme du Liban envers la francophonie internationale, le désir sans cesse renouvelé de nos hommes d’État respectifs d’entreprendre, au-delà des rapports de coopération fondés sur l’usage en commun d’une langue, d’insuffler à la coopération multilatérale la grande ambition d’une coresponsabilité, d’un codéveloppement véritable, le rôle important joué par nos deux pays dans la recherche du règlement des conflits qui surgissent dans la vie internationale participent au resserrement de ces relations. Il faut souligner qu’une grande colonie libanaise vit au Gabon depuis plusieurs décennies, elle compte près de huit mille membres. Nous avons toujours vécu avec eux dans la fraternité. Q – La francophonie peut-elle satisfaire son idéal universel ? R – La francophonie a pour fondement, comme tout le monde le sait, la langue française ou plus exactement ce que d’aucuns ont appelé avec Senghor la « francité », c’est-à-dire la culture et l’esprit français. Reposant sur l’usage en commun de la langue française, la francophonie se caractérise par une diversité qui fonde son universalité. Sa vérité ne réside ni dans la défense conservatrice et rétrograde d’une langue et d’une culture, encore moins dans un repli narcissique sur soi. Au contraire, à nos yeux, elle représente, comme l’a si bien dit une personnalité, « le pari d’une grande aventure qui épouse les inquiétudes et les espérances confuses de notre temps ». Si la francophonie apparaît d’abord comme une modalité spécifique de pensée et d’action, la modalité française, elle, est loin d’être une manifestation de l’irréductibilité du fait linguistique. Aussi ne sera-t-elle fidèle à la finalité que lui ont prescrite ses pères fondateurs que si elle parvient à intégrer les valeurs que lui apportent tous les francophones. Elle ne sera réellement viable que si elle favorise l’aménagement d’un espace de créativité et de liberté où seraient assurés le salut et l’essence des identités et des cultures qui en sont le garant et l’expression. En un mot, la francophonie ne pourra satisfaire son idéal universel que si elle reste un creuset dans lequel viendrait se fondre la polysémie des cultures de tous ses membres en vue de l’émergence d’une civilisation universelle. C’est cette merveilleuse idée qu’exprimait M. Jean Marc Leger, l’ancien secrétaire général de l’ACCT : « Réussir la francophonie, c’est donner une chance de plus à l’universel, favoriser l’affirmation d’un nouvel humanisme. » Notre langue commune tire son universalité, ainsi que l’ont remarqué certains spécialistes, de sa morphologie et de son abondant vocabulaire. Elle présente, certes, les vertus de précision, de rigueur et de logique indéniable, mais sa principale force ne lui vient-elle pas aujourd’hui de l’enrichissement qu’elle tire de ses locuteurs éparpillés sur les cinq continents, témoignant de toutes les aires culturelles, de toutes les civilisations, et illustrant des démarches historiques les plus diverses, tout comme les degrés de développement les plus variés ? La langue française n’est plus aujourd’hui l’affaire des seuls Français de l’Hexagone. Elle est aussi l’affaire des Canadiens, des Belges, des Suisses, des Seychellois, des Libanais, des Africains, etc. Tous ces peuples participent à la promotion de la langue française. Ils sont solidaires de son destin. Q – Le développement d’une francophonie économique est-il possible ? R – La francophonie, c’est d’abord plusieurs centaines de millions d’êtres humains aussi divers qu’il est possible, qu’une même langue rapproche et rassemble. Ce qui représente donc un marché important, une force économique, avec ce que cela représente de matières premières, de produits manufacturés, etc. Mais la francophonie économique, c’est un grand défi, disait le professeur canadien Michel Tetu. Car, il faut le reconnaître, la majorité des pays francophones sont des pays en voie de développement qui ont besoin d’aide. Leur appel lancinant se répète de réunion en réunion. La solidarité au sein de la francophonie ne doit pas être un vain mot. Pour qu’il y ait de véritables échanges économiques au sein de la Francophonie, il faudrait au préalable « muscler » les économies des pays du Sud. Ces pays ont besoin d’un apport financier plus élevé, d’une coopération économique plus adaptée. Devant les maires francophones réunis à Brazzaville en juillet 1987, le Premier ministre français et maire de Paris (l’actuel président français, M. Jacques Chirac) réaffirmait les missions du français qui doit être la langue de la culture, de l’économie, du social et du technique : « Le développement des techniques, disait-il, lance un défi aux francophones. » Je crois que pour relever ces défis, il importe que les pays francophones les plus favorisés ne restent pas sourds aux difficultés qui assaillent les plus faibles économiquement. Concrètement, je fais allusion au fardeau de l’endettement, à la mobilisation de l’aide, à la lutte contre le sida et le paludisme. Bref, il est impérieux que les pays francophones les plus riches soutiennent les efforts des pays les plus déshérités dans les réformes économiques nécessaires à une croissance soutenue, seuls à même d’éradiquer la pauvreté. Q – Dans quelle mesure peut-on développer les échanges entre les pays francophones du Nord et ceux du Sud ? R – La condition sine qua non est l’ouverture des marchés des pays francophones du Nord. À quoi servirait, en effet, une aide accrue envers les pays les plus fragiles économiquement, à quoi servirait de faire œuvre d’imagination pour trouver une solution aux problèmes de la dette, si les pays bénéficiaires ne peuvent écouler leurs produits sur les marchés des pays développés de l’espace francophone, et à des conditions raisonnables. Je suis persuadé que l’assurance d’un débouché effectif est, en effet, fondamentale pour nos pays du Sud qui ont des marchés de dimension économique très réduite ne leur permettant pas d’accéder à la production de grandes séries. Nos pays ont un besoin impératif de débouchés internationaux. Ils ne peuvent plus se complaire dans les modèles de relative autonomie, dite autocentrée, qui ont largement échoué. Le partenariat au sein de la francophonie apparaît comme un élément important dans la stratégie globale de développement de nos pays. Le grand marché francophone « débouché » ne doit donc pas être limité par les moyens directs ou indirects qui réintroduisent dans la gestion d’accords de coopération des limitations, diminuant par exemple l’accès des produits libanais sur le marché canadien, ou africains sur le marché français. Apportons à l’échelle des continents, comme disait le président François Mitterrand, la preuve que rien ne peut se faire sans que les cultures se croisent et se nourrissent l’une l’autre, sans que s’inventent, hors des ambitions de pouvoir ou de fortunes, les nouvelles formes de l’universel. Q – L’utilisation du français est-elle un frein au développement des langues nationales ? Comment cela se passe-t-il au Gabon ? R – L’utilisation du français n’a jamais été pour nous, Gabonais, ou de façon générale, Africains francophones, un obstacle à l’utilisation et à la promotion de nos langues nationales. L’adoption du français comme langue officielle ne nous empêche pas d’être nous-mêmes, c’est-à-dire de demeurer fidèles aux vertus de l’humanisme négro-africain. Aussi légitime que puisse être notre aspiration à la modernité, elle ne saurait nous empêcher de nous enraciner dans nos valeurs traditionnelles, dit souvent le président El Hadj Omar Bongo. Nous pensons même que la langue française a été, pour nous, un puissant appoint à notre patrimoine culturel. Dotée d’une grande capacité d’abstraction, c’est-à-dire de raisonnement, tout en pouvant se plier à toutes les fantaisies des sentiments et des passions, la langue française nous aide à transmettre au reste du monde l’originalité de notre être, nous permettant ainsi de participer à la civilisation de l’universel. Propos recueillis par Liliane MOKBEL
La francophonie se caractérise par sa diversité qui fonde son universalité. Elle ne peut satisfaire son idéal universel que si elle reste un creuset dans lequel viendrait se fondre la polysémie des cultures de tous ses membres en vue de l’émergence d’une civilisation universelle. Le français a été un puissant appoint à notre patrimoine culturel. Ces propos sont ceux de...