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Actualités - CHRONOLOGIE

Colloque - « Cultures, religions et conflits » : le ministère de la Culture frappe un grand coup à Faraya Salamé : Le dialogue n’est pas une alternative au combat. Mais une véritable forme de combat(photo)

«Très souvent nous répondons à ces enjeux liés à la culture, aux religions ou à la conflictualité par des appels au dialogue. Nous le ferons nous-mêmes lors du sommet de la francophonie qui se tiendra dans un mois. Nous l’avons fait à plusieurs reprises. Sauf que je ne pense nullement que les civilisations soient actrices de quelque dialogue que ce soit, ou qu’elles s’entrechoquent. Ceux qui dialoguent ou se font la guerre, ce sont des hommes, des collectivités, des États, des nations. Les civilisations et les cultures sont des viviers, pas des acteurs. Un certain Samuel P. pense le contraire, je ne partage pas ses idées. Le dialogue comme la guerre se font entre les hommes, parfois au nom des cultures, des civilisations. C’est pourquoi le dialogue est entre soi et soi et entre l’un et les autres. Et d’abord, qui l’a chargé de parler au nom de l’islam ou de l’Occident ou du christianisme ? Le dialogue n’est pas une alternative au combat : c’est une véritable forme de combat. Mais si dans le combat, nous bataillons contre l’autre, il me semble que le dialogue est un combat avec soi-même. Puisqu’il faut amener soi-même à accepter l’autre. À accepter la légitimité de l’altérité de l’autre. Que cette différence n’est pas un signe de minorisation, mais quelque chose de tout à fait légitime. Et enfin, et c’est cela le plus dur, c’est qu’un véritable dialogue est une entreprise dans laquelle on accepte d’emblée d’engager une interaction avec l’autre en prenant le risque suprême d’être transformé par l’autre. C’est-à-dire de sortir de ce dialogue en ayant changé ses idées, ses valeurs, ses goûts : en ayant changé soi-même. Et tout dialogue qui ne comporte pas cette acceptation du risque d’être transformé par l’autre à l’issue du dialogue n’est pas un dialogue. Mais une supercherie pure et simple. Une forme d’hégémonie qu’on veut exercer sur l’autre au nom du dialogue. Le dialogue est donc une aventure. » Voilà l’aventure à laquelle Ghassan Salamé a convié hier, entre autres, plus de soixante intellectuels, professeurs, ministres et leaders religieux, venus de vingt-cinq pays différents. Dont l’écrivain français Régis Debray, le mufti de Bosnie cheikh Mustafa Ceric, la ministre québécoise des Relations extérieures Louise Beaudouin, le ministre syrien du Tourisme, Saadallah Agha el-Kalaa. Plus de soixante penseurs enfermés depuis hier et jusqu’à samedi à Faraya, dans les terres kfardébiannaises du ministre de la Culture, pour participer à un séminaire-colloque autour d’un thème certes archivisité depuis des mois - « cultures, religions et conflits » -, mais qui, sous l’éclairage des différents intervenants, pourrait probablement prendre une dimension bien inédite. Exclusion et inclusion Ghassan Salamé, dans son intervention inaugurale, a donné le la. Décortiqué les trois composantes d’un titre générique par trop fourre-tout. Laissé présager d’heureuses et nourricières polémiques. Plaçant « culture » et « religions » sous le double signe de l’exclusion et de l’inclusion. Parlé d’abord des phénomènes d’exclusion plus qu’évidents, « particulièrement inquiétants » : les phénomènes de purification. Ethnique, confessionnelle (« nous l’avons gaiement pratiquée dans notre pays pendant des années »), linguistique, tribale, etc. Aux côtés de ces projets d’exclusion, il en juxtapose, superpose d’autres, qui paraissent, aux yeux des intéressés du moins, beaucoup moins offensifs, mais qui suscitent les mêmes peurs chez les parties les plus faibles : « Ce sont des projets d’exclusion se drapant dans des projets d’inclusion. En réalité, l’économie de marché, la volonté de participer à la mondialisation peuvent être des projets relativement innocents. Mais cela n’enlève rien à la peur des minorités d’être éteintes de manière soft ». Du coup, si la pureté est une valeur devenue douteuse, les parties qui se sentent menacées ont peur, elles, non pas tant de la pureté, mais du métissage, d’une inclusion qui aboutit à l’extinction, « de projets qui aboutissent à les amener, au nom d’une certaine convivialité, à accepter la langue, la confession du plus fort, par des moyens soft ». Et pour Ghassan Salamé, « on oublie peut-être parfois » que l’identité est d’abord un construit évolutif et directionnel, et pas du tout une donnée intangible. Et c’est pourquoi les identités ont souvent peur, parce qu’elles sont précisément friables, précaires, reconstituables et reconstructibles à l’extrême. Voilà pourquoi le XXIe siècle peut être un cimetière de langues et de cultures menacées. « Si cet environnement ambiant est marqué par un phénomène d’hégémonie, cette négociation est pipée dès le départ : elle aboutit à une lente et difficile et douloureuse disparition des identités les plus faibles. C’est pour cela que si la purification est une entreprise dangereuse, la construction identitaire se fait et se perd très souvent dans la douleur », dit-il. Il s’attaque ensuite au deuxième mot-clé : la religion. Qu’il décline également sur le double mode de l’exclusion et de l’inclusion. « Les religions universelles, au départ, sont un appel à l’inclusion, mais très vite, pour toutes les religions, loin de continuer dans ce prosélytisme universaliste du départ, elles peuvent aussi devenir de redoutables machines d’exclusion – à travers l’anathème, l’excommunication, la purification religieuse », précise le ministre de la Culture. Qui n’a pas peur d’aller bousculer certaines idées un tant soit peu confortables. « Je suis persuadé qu’il y a une histoire de la pensée dans chacune des religions. Qu’il y a une histoire des chrétiens, des musulmans, mais pas une histoire de l’islam, du christianisme. L’historique ne touche pas fondamentalement le texte, mais la production humaine qui en découle. Nous vivons dans beaucoup de cas – comme nous l’avons vécu ici – une forme de sectarisme. Et qu’est-ce que le sectarisme, sinon une religion sans Dieu ? Ainsi, en ces temps où nous vivons une transformation majeure de l’histoire internationale marquée par un certain recul des États-nations et la faiblesse des idéologies temporelles, ne pas souscrire à une acception ouverte et dynamique du fait religieux revient à transformer ce dernier en marqueur principal sinon unique de l’identité. Et à charger celle-ci de fortes potentialités meurtrières et belligènes. » Ça a le mérite d’être clair, et sans ambages. Le culturel porteur de plus-value Enfin, les conflits. Et là, Ghassan Salamé reprend encore, après « les civilisations qui ne sont pas actrices mais viviers », une de ses antiennes préférées, à travers laquelle il se plaît à rappeler, encore, et par un sous-texte qui ne cherche même plus à se cacher entre les lignes, tout le danger de la théorie huntigtonienne. « Nous parlons de conflits parce que nous vivons une période de l’histoire où le culturel est entré dans les affaires du monde comme par effraction. La part du secteur culturel – technologie, information, loisirs – dans le PNB local ne cesse d’augmenter depuis ces dix dernières années. Après l’âge de la plus-value liée à l’agriculture, puis à l’industrie, puis à l’économie des services, nous entrons dans un siècle où le culturel est porteur de la plus grande plus-value. Mais le culturel est également entré par effraction dans la politique locale, dans la détermination du social. Il est sans doute à l’origine des débats les plus forts au sein de beaucoup de sociétés. Car il se trouve que l’État jacobin et intégrateur de la modernité s’est cassé le nez. Pour notre bonheur ou pour notre malheur. La politique internationale est loin aussi d’être immune à cette entrée du culturel par effraction. Voir les thèses sur les forteresses culturelles à créer, sur le choc des civilisations, etc. La politique internationale est infestée par le culturel. Le 11 septembre n’a rien arrangé, puisqu’il me semble très souvent que certaines leçons tirées par ce 11/9 sont encore plus graves que cet événement gravissime lui-même. Si jamais on en tire une forme de xénophobie qui peut aboutir à un apartheid local, voire international. » En présentant auparavant le Liban aux invités du colloque, Ghassan Salamé n’a pas non plus hésité à mettre le couteau dans la plaie, à toucher à cette vraie-fausse valeur sacro-sainte : la « spécificité libanaise ». Il dit : « Notre pays a payé cher son incapacité, à plusieurs reprises, à gérer sa diversité, à la mettre sur les bons rails d’une citoyenneté saine. C’est-à-dire à la rendre bien plus productive. Notre volonté de dépasser la guerre et ses conséquences est solide comme un roc ». Mais comment faire pour la mettre en pratique ? Utopiste ou visionnaire, Ghassan Salamé n’en a pas moins sa solution. « En ayant le courage de ne pas se suffire de reconstruire les ponts, les maisons, les routes. La guerre a également détruit les mentalités, les cœurs, les ressentis. Le courage, c’est de reconstituer le puzzle de l’identité nationale, rebâtir celle-ci, en ne se contentant pas de reconstruire uniquement les infrastructures, mais en s’attaquant aussi aux superstructures. Le courage, c’est aussi de ne pas penser que nous pouvons faire tout cela sans ceux qui nous entourent, nos frères, ou sans le monde entier. Le plus grand danger d’après-guerre, c’est le repli sur soi », l’autarcie. Le plus grand danger c’est de considérer que ce qui est arrivé à notre pays, personne, aucun peuple, aucune entité au monde ne l’a connu. « Ainsi, sous le confortable couvert (souvent par trop amplifié, exagéré) de notre spécificité, cessons de nous renfermer sur soi, et de continuer à se convaincre qu’aucun peuple n’a connu ce que l’on a vécu. Au contraire, que l’on partage avec les autres ce que l’on a expérimenté, comment s’entêter à sortir de la guerre et du combat fratricide, mais que l’on apprenne surtout des autres. Il est de notre devoir d’être en interactivité avec le monde, pour qu’on traite ensemble ces dossiers épineux que l’on a tous en commun. Et cela se fait par le dialogue ». Mais on sait désormais de quel dialogue, de quel combat, selon Ghassan Salamé, il s’agit. La difficulté, l’aridité, l’exigence de ce combat n’en rendent d’ailleurs la victoire que l’on arrache que bien plus goûteuse. Et méritée. Ziyad MAKHOUL
«Très souvent nous répondons à ces enjeux liés à la culture, aux religions ou à la conflictualité par des appels au dialogue. Nous le ferons nous-mêmes lors du sommet de la francophonie qui se tiendra dans un mois. Nous l’avons fait à plusieurs reprises. Sauf que je ne pense nullement que les civilisations soient actrices de quelque dialogue que ce soit, ou qu’elles...