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Actualités - OPINION

En filigrane, le regain de tension avantage les extrémistes

Ce sont finalement les radicaux de tous bords que la crise des libertés réjouit le plus. Objectivement alliés contre le modérantisme, comme Sharon et le Jihad islamique se retrouvent pour combattre la paix, les ultras sectaires de l’Est et de l’Ouest se frottent les mains devant les difficultés que le pouvoir s’ingénie, avec un acharnement aussi remarquable que régulier, à s’inventer. Au doux spectacle d’un pouvoir qui s’invente lui-même des difficultés quand tout paraît baigner dans l’huile. Satisfaction d’autant plus marquée que parmi les modèles que proposent les différentes écoles du radicalisme, bien peu sont démocratiques et libertaires. Les uns veulent un système laïc quasi totalitaire à parti unique, les autres rêvent d’une république théocratique. Et tous vomissent le laxisme décadent qu’ils attribuent au pseudo-parlementarisme adopté dans ce pays. Mais pour le moment, l’effet psycho-politique ou idéologique des perturbations reste sous-jacent et, en apparence, secondaire. Le bras de fer engagé est encore dans sa phase la plus fébrile, la plus intense. Le tollé, la levée de boucliers contre l’arbitraire camouflé en verdict judiciaire incite à penser que le dénouement est proche. Ce n’est cependant pas l’avis des professionnels. Qui soulignent un élément capital : tant que l’on n’a pas trouvé un scénario de compromis permettant au pouvoir de sauver la face, il n’en démordra pas. Et serait même tenté d’aller plus loin dans le défi, dans l’escalade. En cassant l’élection de Gabriel Murr, pour commencer. En fermant d’autres médias ensuite. En jetant enfin en prison quelques trublions du second rang, sous le chef d’inculpation d’incitation à la subversion. En tout cas, les politiciens et les journalistes prévoient une bataille plus longue que l’an dernier en août. Entre autres raisons, parce que cette fois Hariri tient à ménager le régime. Il l’a fait savoir aux députés de son bloc, et à plusieurs alliés, en les priant de ne pas s’associer trop visiblement aux protestations. Il ne va donc pas ruer dans les brancards, comme en 2001, contre les débordements abusifs, les camouflets infligés de l’intérieur (c’est le mot) à l’autorité politique légitime qu’incarne le Conseil des ministres. Cette instance, on l’aura remarqué, n’a d’ailleurs pas réagi à l’affaire de la MTV et a même refusé d’en traiter. Berry, de son côté, évite d’endosser sa robe d’avocat parce que lui aussi, pour diverses raisons politiques ou économiques, ne veut pas indisposer Baabda. La contestation se limite dès lors à la société civile, sans gagner les arcanes du pouvoir en tant que tel. Car, s’il est vrai que des ministres font entendre leur voix (sans démissionner), il est encore plus exact que l’État c’est la troïka. Toujours est-il qu’un des députés membres de la Rencontre de Kornet Chehwane accuse les loyalistes de vouloir occulter à tout prix la nature politique, politicienne plutôt, de la sanction frappant la chaîne de télévision. Ces fidèles ou alliés du régime soutiennent en effet que le cas posé relève essentiellement du cadre judiciaire, sans arrière-plan de vindicte intéressée et encore moins de restriction aux libertés publiques. Un point de vue défendu notamment par des membres du Rassemblement parlementaire de concertation, comme Kabalan Issa el-Khoury. Tandis que Sleimane Frangié, après l’entrevue avec Hariri, estimait, de son côté, que la décision, prise en justice, pourrait avoir un background politique. Pour se hâter d’ajouter qu’on peut toujours y faire opposition devant le tribunal, que c’est là la seule façon de réagir et qu’on ne peut le faire à travers des campagnes médiatiques. L’État ne veut donc pas s’en mêler. Redisons-le, le Conseil des ministres a esquivé l’écueil. Et Pierre Hélou n’a pas réussi à obtenir un débat sur la question, blocage qu’il a sévèrement dénoncé par la suite. Tandis que quatre de ses collègues boudaient la séance, en signe d’égale protestation. La position officielle est qu’on ne doit pas interférer avec la justice et qu’il faut en ménager l’indépendance. Sic. Le pire, c’est que les loyalistes ajoutent sans sourciller que la mission du pouvoir politique est de veiller à faire respecter l’ordre public et la loi, pour assurer la stabilité du pays. En d’autres termes que les protestataires de rue seraient, de nouveau, allègrement tabassés s’ils s’avisaient de manifester au nom des libertés. Ces propos confirment, si besoin était, que le pouvoir n’a aucune intention de céder à la pression et que l’escalade reste en vue. Dans cet esprit, des conseils, comme ceux prodigués à Ghazi Aridi lui-même, ont été largement distribués à différents pôles politiques, pour qu’ils se tiennent à quia, c’est-à-dire sur la touche. On leur a dit, au téléphone ou autrement, qu’ils ne doivent pas se mouiller dans ce qui n’est qu’un bazar de surenchères creuses, ni chercher un regain de popularité ponctuel, car il pourrait leur en coûter par la suite. Électoralement s’entend, ou sur le plan des relations avec les décideurs, capitales pour nombre de taëfistes en quête d’influence ou de protection. Ironie du sort itérative : comme à l’issue de la partielle du Metn, où les membres de la Rencontre de Kornet Chehane, divisés, s’étaient rabibochés à cause des dérapages officiels de fin de course, le pouvoir réussit aujourd’hui par ses exploits à remettre dans un même camp, contre lui, l’Est, Gemayel, Joumblatt (assis à côté de Issam Naaman !) Husseini, Karamé et même Hoss, pour ne citer que ceux-là. Autre ironie du sort : l’opposition se réjouit du cadeau que le pouvoir lui offre sur un plateau d’argent, en lui donnant l’occasion de défendre une belle cause. Et en même temps, elle déplore l’irresponsabilité flagrante d’un personnel qui ne voit pas que la raison d’État, et l’intérêt du pays, commande que l’on évite les chocs intérieurs graves. Surtout à un moment où l’on parlait de dialogue, de modérantisme et de détente, pour promouvoir le redressement économique, qui est une vraie priorité. Les opposants se demandent dès lors si quelqu’un, quelque part, ne cherche pas en réalité à renforcer les vagues de fond du radicalisme, qui est un bien meilleur vecteur de divisions intérieures exacerbées que les courants modérés. Philippe ABI AKL
Ce sont finalement les radicaux de tous bords que la crise des libertés réjouit le plus. Objectivement alliés contre le modérantisme, comme Sharon et le Jihad islamique se retrouvent pour combattre la paix, les ultras sectaires de l’Est et de l’Ouest se frottent les mains devant les difficultés que le pouvoir s’ingénie, avec un acharnement aussi remarquable que régulier,...