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Actualités - CHRONOLOGIE

DÉBAT BUDGÉTAIRE - Cinq députés ont pris la parole en séance nocturne, et journée-marathon prévue lundi Rien ni personne n’a échappé aux boulets rouges du tandem Harb-Moawad

Du muscle, du muscle, du muscle. Et aucun tabou. Comme si Nayla Moawad, puis Boutros Harb ont voulu, hier soir, au quatrième jour du débat budgétaire 2002, sortir l’hémicycle de sa torpeur. Les débats de leur routine. Et ils y sont arrivés, non seulement en rappelant les chiffres qui font mal, mais aussi, et surtout, en dénonçant la gangrène qui n’en finit plus, selon eux, de pervertir, de miner la vie politique locale. En tirant à boulets rouges contre l’ensemble des dirigeants libanais – sans exception aucune : Émile Lahoud, Nabih Berry, Rafic Hariri, les trente ministres ou Jamil el-Sayyed. Et la justice. Une soirée beaucoup plus connotée politique. Avec, comme toile de fond, ce changement gouvernemental dont tout le monde parle – du moins, en coulisses. Première à prendre la parole : la députée de Zghorta. Devant un hémicycle et un banc ministériel quasi vides, Nayla Moawad s’attaque d’abord au chiffre-clé, selon elle, de ce budget cuvée 2002 : les 40 % d’augmentation (par rapport à l’an dernier) des taxes et autres impôts. «C’est le plus important, le plus dangereux et le plus grave bond fiscal dans l’histoire du Liban», accuse-t-elle, rappelant au gouvernement que ceux qui paieront sont les pauvres, les chômeurs, et que tout cela ne mènera qu’à la famine. Et rappelant également au Premier ministre ses mots d’il y a quelque temps : «Plus de taxes équivaut à plus de récession économique». Si seulement, ajoute-t-elle, ces taxes faisaient partie d’un plan bien précis, sinon «que sont vos promesses sinon un slogan électoral pour récupérer le pouvoir ?» demande-t-elle à un Rafic Hariri qui n’est pas encore arrivé place de l’Étoile. «40 % d’augmentation des taxes ? Pourquoi ? Pour que le citoyen finance le service de la dette publique qui a atteint les 48 % ? Pour financer le gaspillage, la corruption, l’augmentation de la fortune des symboles de ce pouvoir, des sbires ? Pour financer les scandales que vous-mêmes dévoilez, au sujet des parts de gâteau que vous vous partagez ? Pour financer des nominations que ne gèrent – avec un culot monstre – qu’une seule règle : le clientélisme ? Ou pour financer des Services de sécurité qu’il est impossible de contrôler ou de sanctionner ?» Louis XIV, Louis XV, Louis XVI… Et Nayla Moawad de se retourner vers Nabih Berry, elle lui demande s’il a retiré «ses grands mots» au sujet de Rafic Hariri après qu’ils se furent mis d’accord sur les nominations. Berry : «Quels grands mots ?» Moawad : «Qu’il est Louis XIV». Berry : «Oui, aujourd’hui il est Louis XV». Moawad : «Dans tous les cas, l’important, c’est que vous ne soyez pas en train de lui préparer le sort de Louis XVI. Quoi qu’il en soit, nous aimerions savoir pourquoi la justice ne s’est-elle pas manifestée, et pourquoi n’a-t-elle pas considéré les mots du président Berry comme une note d’information ? Ou est-ce que les parquets n’ont pas reçu le feu vert des Services ? Il semblerait que leur heure ne soit pas encore arrivée», a-t-elle ironisé. S’arrêtant sur les étudiants, «que l’on continue de menacer au téléphone», et se demandant comment le Liban comptait attirer les investisseurs étrangers lorsque des événements comme la descente au Virgin se produisent, ou lorsqu’«un officier – c’est vrai, très très très important» se permet de s’en prendre à un député. En l’occurence, Boutros Harb. Et la dame du Nord s’adresse ensuite à Rafic Hariri – toujours absent. L’accuse de s’être injustement attaqué au gouvernement Hoss, et à l’ancien Premier ministre lui-même. Et de faire exactement ce qu’il reprochait au précédent cabinet. «Où en êtes-vous par rapport aux prérogatives du président du Conseil ? N’avez-vous pas dit vous-mêmes, ici, que vous approuvez des décisions sans en être convaincu, et que votre place n’est à envier par personne ? Que le pouvoir n’est pas au sein du Conseil des ministres ?» Et affirme que la principale tare est de créer et de couvrir des gouvernements qui se targuent d’obéir aux préceptes de Taëf en pratiquant la logique du vainqueur et du vaincu, celle du clientélisme milicien, celle des binômes confessionnels. «Ces binômes confessionnels, sectaires mêmes, se sont employés, les uns après les autres, à isoler la troisième communauté dans le but d’étendre leur hégémonie. Le premier de ces binômes a fait des chrétiens des traîtres en les accusant de collaboration avec Israël. Le second a accusé les sunnites de gaspillage, de corruption et de confiscation du pouvoir. Quant au troisième, il a fait assumer aux chiites la responsabilité de l’effondrement sous prétexte de s’être approprié les biens de l’État ou d’avoir défendu la Résistance. Aujourd’hui, l’heure est aux embuscades politiques. Le Premier ministre veut faire porter le chapeau de l’effondrement au chef de l’État, pour son soutien inconditionnel à la Résistance. Ainsi qu’au président de la Chambre accusé d’empêcher toute réforme. Quant aux Services, ils travaillent à accuser le Premier ministre de l’effondrement du pays, en préparation à la militarisation du régime». Mais pour Nayla Moawad, il est encore possible de sauver le pays. Et il est temps que «le pouvoir décide de primer l’intérêt national supérieur», que «ce gouvernement annonce sa faillite, s’en aille et laisse la place à un gouvernement de réelle entente nationale. Qui réétudierait les relations libano-syriennes pour arriver à des relations privilégiées, sincères, équilibrées. Et si on ne s’y emploie pas, les deux pays paieraient le prix d’un véritable effondrement. Qu’on mette en place un partenariat effectif, loin de la logique de tutelle ou d’hégémonie», assène-t-elle. Appelant à une nouvelle loi électorale juste et moderne, comme à la modernisation et au respect des institutions. Harb déchaîné, les ministres tétanisés Applaudie par un hémicycle qui s’est considérablement garni depuis l’ouverture, à 18 heures, de la séance nocturne, la députée de Zghorta laisse la place à son (bouillant, et encore plus déchaîné) collègue de Batroun, Boutros Harb. Qui va méduser le banc des ministres – ils sont, vers 18h45, plus que 20 – en assénant aux trente leurs quatre vérités, en se faisant, avec eux, le porte-parole du Libanais lambda. «Le tollé est général aujourd’hui contre tous les hommes politiques, les Libanais insultent les députés, les ministres, les présidents. Cela est notamment dû à la mauvaise gestion du gouvernement, au silence du Parlement, et la formule est plus qu’exacte : les citoyens sont d’un côté, et les responsables de l’autre. C’est cela qu’il faut régler, et le moyen le plus idiot est l’oppression, mise à la mode par certains Services, qui commencent à s’y habituer. Des Services qui s’estiment de plus en plus intouchables, inattaquables, tant par leurs patrons que par le gouvernement ou par la justice. Parce que protégés par une majorité politique», martèle le député de Batroun. De plus en plus motivé. «L’Exécutif n’a plus aucune confiance en lui», poursuit-il, faisant allusion aux critiques de certains ministres, du premier d’entre eux lui-même, jusqu’à celles, publiques, du chef de l’État. Tout cela avec, en toile de fond, une conjoncture internationale de plus en plus menaçante pour le Liban – un Liban, ajoute-t-il, qui réagit exactement comme si rien ne s’était passé depuis le 11 septembre. «Le gouvernement est nu, démembré : il a échoué. Qu’il s’en aille, et permette à une autre équipe de faire face à la crise. C’est ce qui se serait passé en démocratie. En démocratie, vous auriez ployé sous le poids de vos responsabilités, vous auriez compris l’importance de l’opinion publique», s’écrie-t-il à l’adresse des ministres, immobiles. «Mais ici, votre destin n’est pas entre les mains des citoyens ni entre vos mains à vous, il dépend de la volonté de ceux qui vous ont intronisé à vos postes, et pas un de vos cheveux ne tombera tant que vous serez sous cette protection-là», poursuit-il devant des ministres tétanisés. Et silencieux. Mais sans doute pas – pour certains – dupes, loin de là. Et après une vive altercation avec Fouad Siniora au sujet de la TVA (au ministre des Finances, qui arguait que celle-ci, ainsi que les taxes douanières, existent de concert dans les pays arabes, Boutros Harb lui réplique : «Envoyez-nous donc le pétrole arabe». Avant que Fouad Siniora ne lui donne la liste des pays arabes où la double imposition est en vigueur : Jordanie, Tunisie, Maroc, etc.), le député de Batroun s’attaque au budget proprement dit ; «Il est étrange que ce gouvernement, qui déchaîne de multiples critiques de ses membres-mêmes, continue à jouer la carte du temps, celle de la conjoncture ou celle des rebondissements», souligne-t-il. Accusant le gouvernement de mentir lorsqu’il affirme que «pour la première fois, les dépenses ont été abaissées en un an de 9 900 milliards de livres à 9 375 milliards de livres», il commente l’appel de Fouad Siniora, qui a demandé que tout soit fait pour drainer encore davantage les investissements vers le Liban. «Enfin, le gouvernement reconnaît que le fait d’avoir négligé les problèmes politiques ne peut pas permettre le règlement du dossier économico-financier. Mieux vaut tard que jamais : le gouvernement est désormais convaincu de ce que nous affirmions, il est conscient de ses erreurs passées. Sauf que nous ne comprenons pas pour quelles raisons il annonce aujourd’hui cette nouvelle direction ? Le gouvernement s’est-il réveillé d’un coup pour soudainement comprendre l’importance des libertés au Liban, du respect de la loi, du danger que représentent les tiraillements entre les pôles du pouvoir ? Je ne sais rien des tenants et aboutissants de ce revirement, mais je crains que le gouvernement ne soit en train de se plaindre, devant la Chambre, donc devant le peuple, d’une situation qui lui échappe et qu’il ne maîtrise plus. Sauf que ce gouvernement, par le biais des Services censés lui obéir, continue de s’attaquer aux libertés fondamentales des citoyens, continue de couvrir les exactions et les crimes du pouvoir et des Services contre certains citoyens. Personne d’entre vous. Vous êtes tous restés silencieux. Qui a demandé que les auteurs de la ratonnade du 9 août soient transférés en Cour pénale ? Qui d’entre vous ? Personne», hurle-t-il en direction des bancs ministériels. « Vous n’osez pas, vous ne pouvez pas toucher aux Services » Où personne ne pipe mot. À part le ministre de la Justice, Samir Jisr, qui répond : «Moi». Harb : «Non. Personne n’a été arrêté». Jisr : «On a fait ce que l’on avait à faire». Harb : «C’est faux. Les citoyens sont terrifiés par les Services, et c’est à cause de vous. Tu sais que j’ai raison, et que tu es obligé de dire ce que tu es en train de dire». Jisr : «Pas du tout». Harb, à l’ensemble des ministres, rappelant la rafle du Virgin ou la censure d’al-Charq el Awsat : «Qui de vous s’est insurgé ? Vous ne remplissez pas votre devoir. Dites que vous avez peur des Services, dites que vous n’osez pas et que vous ne pouvez pas y toucher, mais cessez de mentir, cessez de prétendre que le Liban est un État de droit et celui des institutions», s’asphyxie-t-il. Poussant jusqu’à accuser ces Services «de mentir au chef de l’État pour influer sur ses réactions en Conseil des ministres». Et après avoir, en ce qui concerne les relations libano-syriennes, repris les mêmes arguments que Nayla Moawad, Boutros Harb appelle enfin à ne pas rater le coche. Il appelle à la réconciliation générale, et à arriver à un consensus sur un bon nombre de points. Dont les relations précitées et la présence syrienne, la loi électorale (il demande une circonscription réduite, voire uninominale), la séparation des pouvoirs, les libertés ou l’annonce d’un état d’urgence politique et économique. Ainsi que toute une série de mesures économiques. Enfin, même après avoir déclaré qu’il ne souhaitait pas terminer sur une note pessimiste, Boutros Harb annonce – ce n’était pas une surprise – qu’il refuse «net» le projet de budget 2002 du gouvernement. Ziyad MAKHOUL
Du muscle, du muscle, du muscle. Et aucun tabou. Comme si Nayla Moawad, puis Boutros Harb ont voulu, hier soir, au quatrième jour du débat budgétaire 2002, sortir l’hémicycle de sa torpeur. Les débats de leur routine. Et ils y sont arrivés, non seulement en rappelant les chiffres qui font mal, mais aussi, et surtout, en dénonçant la gangrène qui n’en finit plus, selon eux,...