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Actualités - OPINIONS

Opinion - Une administration faible, c’est un État faible car au final « l’administration c’est l’État » - Plaidoyer pour les télécommunications au Liban

Le Liban a connu, entre 1974 et 1990, dix-sept années d’une guerre civile dévastatrice, deux guerres d’agression imposées par Israël (1982 et 1984) suivies d’une longue occupation militaire de son territoire, lequel n’a été libéré (et encore pas complètement) qu’en mai 2000. Pendant longtemps, son infrastructure a été pratiquement détruite, son administration délitée et son unité politique ébranlée. L’État, au prix d’un effort gigantesque qui s’est prolongé sur plus d’une décennie, a réussi à faire retrouver au pays son intégrité territoriale, à assurer sa stabilité et à garantir la sécurité des biens et des personnes au point que le Liban, villes et campagnes, est devenu un des pays les plus tranquilles et les plus sûrs au monde. «La libération du territoire national fut la question fondamentale de la première partie (1998-2001) du mandat du président Émile Lahoud». Sur un autre plan, le général Émile Lahoud a engagé le pays, dès son arrivée à la présidence de la République il y a trois ans, dans une politique de modernisation et de réforme globale des institutions et de la société civile libanaise qui passe forcément par une réforme radicale de l’administration et par un renforcement durable de son économie. Rien n’est aujourd’hui plus important pour notre pays, à quelque niveau que l’on se place, que de voir cette réforme réussir. Ce grand chantier, le président l’a engagé alors même que le pays était loin de disposer en l’état de ressources financières suffisantes pour le mener à bien. En effet, la dette publique globale du pays a atteint un niveau tel que le Liban consacre à son service une très grande partie de ses ressources budgétaires annuelles (43 % pour l’année 2001). Le loyer de l’argent est élevé, l’assistance financière internationale promise toujours pas opérante, la pression fiscale sur les citoyens et les entreprises de plus en plus forte, les ressources sont rares et il faut pourtant assurer le développement du pays. L’État peine hélas, faute de ressources, à relancer l’économie. La question «des ressources financières pouvant permettre au pays de lancer sur des bases saines son développement économique est le nœud fondamental des trois prochaines années (2002-2004) et constitue» la première des urgences économiques de l’heure. Dans cette perspective, je voudrais plaider aujourd’hui la cause du secteur des télécommunications dans son ensemble (administration, opérateurs, experts ou consommateurs) en disant clairement que dans le contexte de l’action menée pour redresser notre pays, rien ne compte autant que de développer les activités de télécommunications et qu’aucune autre action ne pourra produire ni à court ni à long terme des résultats financiers comparables à ceux qui résulteraient d’une action dynamique dans ce secteur. Il n’y a aucune crainte à affirmer : • Qu’une bonne politique en matière de télécommunication devrait permettre de résoudre l’essentiel des problèmes budgétaires majeurs du pays sur la période 2001-2025 sans qu’il soit besoin d’attendre les résultats de l’action d’indemnisation ni ceux de l’assistance internationale • Qu’une telle politique est possible, dès lors que sous le contrôle de l’État et de l’opinion, les services seront offerts dans un cadre réglementaire souple, moderne et efficace. L’environnement international et les télécommunications du futur C’est un lieu commun de dire aujourd’hui que le secteur des télécommunications est, pour tous les pays du monde, celui qui recèle le plus gros potentiel en termes : de création de richesses de recherche et développement, de formation supérieure et scientifique, de facilités apportées aux individus pour accéder via les supports numériques à la société globale de l’information, «Global Information Society (GIS)». Les télécommunications créeront le monde de demain. Un monde de service universel, où la mobilité deviendra une exigence existentielle majeure. Grâce en particulier aux technologies numériques supportées par des réseaux globaux, les individus s’approprieront les outils de communication et d’information et détermineront eux-mêmes les conditions dans lesquelles ils les recevront et les exploiteront. Ils façonneront le rapport du citoyen à l’État. La politisation du débat sur les télécommunications : un phénomène universel Partout dans le monde, la classe politique s’est emparée au cours des dernières années du débat sur les télécommunications du fait des revenus considérables qu’elles génèrent. Ils font d’importants efforts pour comprendre des phénomènes tels que la «Fracture Numérique» ou le «Fossé Numérique» («Digital Divide»), Internet, le Multimédia, les services dit GSM/UMTS ou Direct Digital Broadcasting. Ils ont besoin de comprendre ce que seront dans le futur les réseaux dits «intelligents» grâce auxquels les systèmes d’écoute et d’interception des communications voix et données se déploieront dans un cadre réglementaire compatible avec la complexité technique extrême des standards sur lesquels ces réseaux sont construits. Ils doivent s’engager dans une dérégulation dont ils mesurent mal la portée. Il s’agit d’un choix difficile, «politique». Je trouve totalement aberrant et naïf l’avis «libéral» selon lequel les politiques devraient rester en dehors des grands choix concernant les télécommunications. Depuis le 11 septembre 2001, et la réaction des autorités politiques et financières américaines qui a suivi les attentats, on en revient. Plus généralement, je suis convaincu que pour les télécommunications, la période de «folle dérégulation» est passée et que nous risquons d’assister dans les pays développés dans les années qui viennent à un phénomène de retour à la sur-réglementation, ne serait-ce que pour assurer la pérennité de groupe comme ATT, NTT, DT ou FT dans un secteur où la notion de service publique ne sera jamais abandonnée. Dans tous les pays développés, les dirigeants politiques sont d’accord pour réserver au secteur des télécommunications un traitement particulier. Pourquoi, dans ce cas, reprocherait-on aux dirigeants des pays en développement de faire de même ? Au sein des groupes de travail de l’UIT (Union internationale des télécommunications), certains experts dont je fais partie proposent depuis des années que dans les pays en développement, le secteur des télécommunications soit traité en dehors ou en parallèle des programmes d’ajustement structurels managés par les institutions de Bretton Woods (Banque mondiale, FMI). En effet, le secteur des télécommunications est l’unique secteur susceptible de générer au profit des États en développement, les recettes budgétaires colossales sans qu’ils n’aient nécessairement besoin de réaliser le moindre investissement financier préalable». Ne nécessitant aucun investissement et donc aucun prêt de ces institutions financières pour être engrangées, les recettes provenant des télécommunications doivent être considérées comme un patrimoine national qui devrait servir au rééquilibrage des finances publiques, à l’amélioration des structures et infrastructures sociales et collectives, à l’édification et la mise en œuvre de politiques nationales de santé, d’éducation, de formation et de solidarité sociale, à l’allègement de la pression fiscale sur les citoyens. Dans les pays en développement, et c’est le cas au Liban, ce qui importe le plus est d’agir vite. Pour cela, la volonté politique est irremplaçable. Il est souhaitable notamment que la ratification de la nouvelle loi sur les télécommunications intervienne, sans délai supplémentaire. Une bonne politique des télécommunications allie discernement et intelligence. Les autorités doivent utiliser à bon escient leurs pouvoirs de régulation pour faire entrer sur le marché les technologies les plus évoluées au prix le plus bas possible, en renforçant les capacités des entreprises publiques et privées à conquérir ensemble les marchés extérieurs tout en étant compétiteurs sur le marché intérieur, à participer aux alliances internationales génératrices de plus-value, en stimulant la recherche scientifique et surtout en sachant faire du temps un allié. Au Liban, cela est impossible pour l’instant, non pas parce que les responsables ne savent pas comment faire mais qu’ils ne peuvent pas le faire. L’acteur principal du secteur des télécommunications au Liban est l’administration publique regroupant le ministère et la société de droit public Ogero. Le ministère des Télécommunications (MOT anciennement MPT) joue le rôle d’opérateur, de régulateur et de coordinateur des activités de télécommunications en plus de son rôle traditionnel de rédacteur des projets de loi, décrets et directives administratives. Cette concentration plonge notre administration dans une inefficacité chronique, la met dans une situation difficile qui la rend en permanence sujette aux critiques. Cette défiance entre administration et administrés n’est certes pas propre au secteur des télécommunications ni même au Liban en tant que pays. On peut penser que la réaction du citoyen, qui attend beaucoup et c’est normal de son administration, soit critique. Le problème est que le citoyen libanais, tout en étant gourmand d’un État fort qu’il appelle de ses vœux, montre dans la pratique sa préférence pour une administration faible et sans prestige parce qu’ainsi il est convaincu qu’il pourra d’autant mieux la soumettre à ses intérêts particuliers du moment. Or il faut savoir qu’une administration faible, c’est un État faible car au final, «l’administration c’est l’État». En fin d’année 2000, la nouvelle administration a pris ses fonctions dans un contexte rendu extrêmement difficile par les nombreux contentieux auxquels le MOT est exposé ici ou là, dont le plus lourd est celui qui l’oppose depuis mai 2000 aux compagnies opérant le réseau mobile, mais aussi parce qu’elle a été obligée de s’occuper d’un certain nombre de dossiers difficiles et sensibles. En l’espace d’une année, elle a fourni des efforts méritoires pour améliorer les choses et obtenu beaucoup de résultats encourageants. Ainsi, de nombreux commentateurs au Liban comme à l’étranger mettent à l’actif des responsables actuels (ministre comme directeurs généraux) d’avoir en quelque sorte pacifié leur département en introduisant une méthode nouvelle de gestion de conflits basée sur la concertation et sur le sens du compromis. Hélas, sur le plan structurel, tous s’accordent à reconnaître que la situation n’a pas vraiment changé. Comme je l’ai déjà dit, il n’y aura pas de régulateur au Liban avant six mois, car la loi sur les télécommunications n’a toujours pas été promulguée. Les relations entre le MOT et le secteur privé libanais sont marquées par la défiance si ce n’est par une franche hostilité. Les ressources humaines existantes, dont la qualité et le volume sont pourtant impressionnants, restent toujours pour l’essentiel inutilisables. Il faut songer ici au découragement qui s’empare de ces nombreux experts ou ingénieurs libanais, à tous ces hommes et ces femmes qui sont employés par l’administration et qui, même quand ils sont de grande compétence, sont souvent payés à ne rien faire tout simplement parce qu’ils ne peuvent rien faire et qu’on ne leur donne rien à faire. Les services mobiles ainsi que les services d’accès à Internet qui représentent l’axe principal des télécoms du futur stagnent au Liban à un niveau indigne du potentiel et des besoins réels de notre pays. En cette fin d’année 2001, il nous paraît clair, si l’on cherche vraiment à atteindre les objectifs que j’ai déjà mentionnés, qu’une action nouvelle s’impose, qui dépasserait en ampleur et en vision ce qui s’est fait jusque-là. Une action impulsée par le politique d’abord, reposant sur des fondements économiques et technologiques en ligne avec la réalité du secteur tel qu’il est aujourd’hui et tel qu’il sera demain. Cette action s’articulerait autour des axes stratégiques suivants : 1. Un MOT réorganisé et rendu à même de remplir les missions nouvelles (Ressources humaines, pôle industriel technologique, accès à la société numérique) qui seront les siennes demain, très différentes des missions d’aujourd’hui. 2. Un régulateur dont l’autorité résultera de la qualité de ses futures décisions, de la notoriété académique de ses dirigeants lesquels devront ensemble former un groupe soudé qui soit le reflet positif de la société libanaise. 3. Un marché des services et des technologies associées totalement ouvert à la compétition. 4. Un opérateur public créé selon des critères (le niveau de capitalisation, partenariat sous-régional et international, participation de la communauté nationale) propres à lui assurer le rôle d’acteur majeur dans cette compétition et de moteur pour la conquête de marchés extérieurs, notamment dans les pays de la sous-région. Ces critères concernant le processus lui-même. Ce sera là l’unique moyen de mobiliser la communauté nationale dans son ensemble, et il me paraît souhaitable que l’objectif consistant à assurer durablement le développement du secteur des télécommunications puisse bénéficier d’un soutien et d’un consensus de même nature que ceux qui ont permis d’assurer la sécurité du pays lors de la décennie passée. Si une telle union autour de cet important objectif était réalisée, il serait alors temps pour les experts de notre pays d’appuyer l’action de réforme engagée par le président de la République et de proposer le panel de solutions qui en faciliteront le succès puisque ces solutions, soyons-en certains, existent et ne demandent qu’à être mises en œuvre proprement. Ingénieur, économiste, expert en télécommunications
Le Liban a connu, entre 1974 et 1990, dix-sept années d’une guerre civile dévastatrice, deux guerres d’agression imposées par Israël (1982 et 1984) suivies d’une longue occupation militaire de son territoire, lequel n’a été libéré (et encore pas complètement) qu’en mai 2000. Pendant longtemps, son infrastructure a été pratiquement détruite, son administration...