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Actualités - INTERVIEWS

Interview - L’antimondialisation divise les Arabes - Michel Kilo (intellectuel et opposant syrien) : « Désormais, on peut créer sa propre réalité »

Invité par le premier forum antimondialisation (version monde arabe) qui s’est tenu le week-end dernier à Beyrouth, Michel Kilo, intellectuel et opposant syrien, de passage à Beyrouth, a confié à L’Orient-Le Jour ses impressions sur cet événement inédit. Cette manifestation, qui a réuni près de 40 ONG arabes et occidentales, a mis au jour les vulnérabilités d’un mouvement déjà fracturé au départ. Ce rassemblement, qui a déjà été scindé une première fois il y a quelques mois à la suite d’un conflit qui est apparu entre les membres fondateurs, a été une fois de plus mis à rude épreuve lors de la rencontre du week-end dernier. Michel Kilo, dont l’intervention a été particulièrement remarquée dimanche dernier, évoque les raisons de ces conflits ainsi que l’identité et l’avenir de ce mouvement. Nous voici donc en face de deux «groupements» qui luttent pour une même cause, à savoir l’antimondialisation, et, pour couronner le tout, deux forums qui ont été prévus sur un même thème, la lutte contre la globalisation, le second ayant débuté hier même. Pourquoi ce dédoublement, cette perte d’énergie ? Refusant d’aborder les raisons du conflit qui furent à l’origine de la scission, l’intellectuel syrien se contente de dire que son seul souhait est de voir les deux «fractions» s’unir à l’avenir. Mais les divergences que suscite la lutte antimondialisation arabe ne s’arrêteront pas là de toute évidence. Dimanche dernier, lors des débats soulevés autour du projet de la déclaration de Beyrouth, dans le cadre du premier forum, plusieurs voix contestataires se sont élevées pour dénoncer le ton «mielleux», voire même «diplomatique» avec lequel la question palestinienne a été soulevée. Ils ont en effet critiqué ceux qui ont avancé le principe de la «Terre contre la paix», «une formule qui ne reflète pas nos positions, c’est-à-dire la lutte contre l’occupation, la revendication d’un État palestinien, de Jérusalem comme capitale de la Palestine, le droit de retour etc.», soulignent les opposants à cette formule. Pour Michel Kilo, le problème se situait assurément au niveau des choix politiques qui n’étaient pas les mêmes chez les uns et les autres. «On aurait pu toutefois attirer l’attention sur ces points d’une manière différente», dit-il. Et d’ajouter : «Pour réussir un mouvement, il y a des moyens d’action appropriés. Dans le cadre de la mondialisation, il s’agit surtout de ne pas transformer la lutte en un parti politique. Il n’est pas nécessaire de tomber d’accord sur tous les points politiques, sur les questions théoriques, idéologiques ou encore sur les méthodes d’action», affirme l’opposant syrien. Cette lutte doit précisément se placer un cran plus haut et tous les courants (islamiste, communiste, laïc, libéral, etc.) peuvent s’y retrouver à condition que toutes les parties et formations soient conscientes qu’elles sont toutes régies par des principes et mues par des valeurs communes, estime Michel Kilo. Bien qu’elle ait suscité une discussion orageuse, la divergence autour de la question palestinienne n’en constitue pas pour autant un problème fondamental, estime l’intellectuel. «C’est un sujet négociable et la déclaration finale peut être modifiée. Il en va différemment pour la prise de position concernant la condamnation des attentats du 11 septembre, qui a suscité un autre type de débat, voire un véritable conflit au sein du public et parmi les militants», souligne-t-il. Rappelons que samedi dernier, Fawaz Traboulsi, professeur à la LAU, avait condamné dans son intervention les attaques contre les civils américains. Aucune objection dans la salle n’avait été alors relevée. Au second jour du Forum, c’est-à-dire au lendemain de la décision de l’Administration américaine de geler les avoirs de plusieurs organisations «terroristes» dont le Hezbollah, plusieurs voix discordantes se sont élevées pour dénoncer la tragédie du 11 septembre. La salle s’est à nouveau scindée en deux. Le forum antimondialisation, qui avait servi la veille d’antichambre à un antiaméricanisme relativement modéré, s’est subitement transformé en une arène de combat contre «l’impérialisme féroce exercé contre les peuples arabes». Pour Michel Kilo, il s’agit d’une véritable divergence autour d’un problème de fond. Rappelant que la lutte contre la mondialisation est, par essence, un mouvement à caractère mondial, le danger qui le guette est de le réduire à des fins personnelles et sectorielles. «lI ne faut pas porter sur ce mouvement un regard à partir de notre vision politique partielle et étriquée mais plutôt à partir de valeurs communes humaines et indépendantes des positions politiques, dit-il. Sinon les rencontres échoueront, car chacune des parties voudra imposer son opinion comme étant la plus importante». Comment Michel Kilo conçoit-il la lutte contre la mondialisation ? Ayant appelé de vive voix à la définition de ce concept, l’intellectuel s’explique : «Moi je ne parle pas de lutte contre la mondialisation. J’appelle à un combat contre l’exploitation par les États-Unis de la révolution industrielle, technologique et celle des télécommunications dans le but d’imposer un nouveau mode hégémonique sur le monde». En retard d’au moins deux décennies pour avoir raté le train de la révolution industrielle et aujourd’hui celui de la révolution technologique, le monde arabe se trouve d’autant plus menacé par la mondialisation qu’il n’est pas du tout préparé à l’affronter. Car, ce qu’il faut savoir, souligne M. Kilo, c’est que la mondialisation n’est pas un phénomène politique. Elle n’est pas non plus un phénomène exclusivement économique comme le prétendent certains. «La mondialisation est un mode d’organisation de la vie humaine qui comprend des aspects politiques, économiques, militaires, sécuritaires, et cultutrels», dit-il. Comment devrait alors s’organiser la lutte arabe, et contre quoi devrait-on lutter exactement ? «Il ne s’agit pas de lutter mais de profiter des outils employés par les pays développés, ceux-là mêmes qui permettront le passage de l’humanité vers une ère nouvelle. Il faut pouvoir bénéficier de la révolution informatique et des nouvelles technologies pour réduire, dans un premier temps, le poids de l’hégémonie exercé sur nous. Sinon nous n’avons aucun espoir». Le nouvel ordre mondial – dont les pays arabes et le tiers-monde font partie – est en train de s’organiser en ce moment selon ce nouveau mode. «Plus nous nous organisons de manière efficace et rationnelle, plus nous avons des chances de réussir. Désormais, l’homme peut créer sa propre réalité», conclut cet intellectuel en faisant allusion aux manipulations génétiques. C’est l’idée qu’on peut être maître de son destin tant que la volonté y est.
Invité par le premier forum antimondialisation (version monde arabe) qui s’est tenu le week-end dernier à Beyrouth, Michel Kilo, intellectuel et opposant syrien, de passage à Beyrouth, a confié à L’Orient-Le Jour ses impressions sur cet événement inédit. Cette manifestation, qui a réuni près de 40 ONG arabes et occidentales, a mis au jour les vulnérabilités d’un...