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Actualités - CONFERENCES ET SEMINAIRES

Michel Eddé : La société de l’information entre le virtuel et le réel

Il est largement connu que le prodigieux bon en avant technologique, les possibilités sans limite qu’il offre au vaste monde de la communication permettent à l’information de contribuer, d’une manière tout à fait déterminante, à faire du monde un même village, comme le veut l’adage courant. Mieux même, les médias, qui englobent au sens large du terme aussi bien les connexions d’échanges individuelles ou collectives que les informations journalistiques, se trouvent maintenant en mesure d’influer en profondeur sur la marche de notre univers. Voire de le façonner. Car le message d’ensemble ne se résume plus aux basics, comme disent nos bons amis informaticiens. Il ne s’agit plus de présenter l’information brute, même illustrée ou explicitée, avec d’ailleurs tout ce que cela implique de sélectivité plus ou moins justifiée. Mais bel et bien de modeler l’opinion par toutes sortes d’approches, dont le commentaire, singulier ou pluriel. Dès lors, et c’est une évidence, la maîtrise des médias débouche directement sur le pouvoir d’imprimer sur la rétine du public récepteur de l’image du monde, ou de la vie, telle qu’on veut qu’il se la représente. Et la démocratie ? dira-t-on. Eh bien, il a fallu beaucoup lutter naguère, même dans certains pays évolués, pour établir le droit du public à la juste information comme à la connaissance. Aujourd’hui, l’objectif démocratique devient bien plutôt de libérer l’information du joug commercial, qui en fait une vulgaire denrée. La percée technologique de la communication, qui trace ces fameuses avenues royales jetant des ponts, à travers l’espace, entre les continents comme entre les collectivités, a pour contre-effet de faire de l’information un simple produit de consommation, un appât livré sur le marché de l’offre et de la demande, au titre de la loi sordide du gain. Il faut œuvrer, il faut agir, pour que ce bien de partage commun, ce patrimoine relationnel, reprenne sa dimension humaine. L’angle factuel présent, qui privilégie le commercial, vise à déterminer la nature et les objectifs de l’information. Ce qui implique un certain regard sur l’homme, sur cet être que l’information interpelle. Mais aussi sur la matière même de ce créneau. Dans son fameux essai d’esthète sur le septième art, Malraux concluait : «Finalement, le cinéma est une industrie». Ce cycle de mutation, apparemment rendu nécessaire par le professionnalisme, l’information n’y échappe que rarement. Elle aussi répond à l’acception classique du terme d’industrie, c’est-à-dire de métier à tisser un monde de troc. Dans cette optique, l’usager devient un simple consommateur, un client pour lequel on crée sans cesse de nouveaux besoins, pour qu’il continue à acheter, encore et encore. Paradoxe paroxystique : suivant cette règle effrénée du bénéfice, le client devient le producteur de la denrée qu’il consomme, sinon son ingrédient! Cela, bien évidemment, à travers les liens de plus en plus étroits, de plus en plus croissants, entre l’information et la publicité. Le grand perdant de cette équation c’est, bien évidemment aussi, l’homme. L’homme dans son humanité. Réduit au rôle de récepteur passif, il se trouve, sans même y prêter attention, bombardé d’images visant à susciter en lui de nouveaux besoins, à modeler arbitrairement son goût, dans un sens généralement dévalué, tronqué, pour ne pas dire décadent. Un véritable lavage de cerveau, érodant, détruisant peu à peu tout sens critique. Une telle approche mercantile, aussi pernicieuse que sophistiquée, avilit l’homme, ce roseau pensant. Dont on n’attend plus que des réactions béates, stupides, de consommateur devant un produit informationnel présenté pour le divertissement abrutissant et non pour montrer la vérité. Ou même la simple réalité en mouvement que l’information est censée transmettre le plus objectivement possible. Pour que le spectateur dispose ensuite d’un espace de réflexion, puis de dialogue éventuel, qu’il puisse procéder à un état des lieux, en analysant les causes, les facteurs et les effets des situations rapportées. C’est ce que l’information devrait être. Et c’est ce qu’elle n’est pas. Ou pas encore. Car elle se trouve en définitive contrôlée par ceux, personnes ou personnes morales, qui détiennent les clés, la propriété des grands médias de par le monde. Les intérêts économiques ou politiques de cette ploutocratie, leurs liens ou leurs tendances, définissent l’orientation qui est donnée à la présentation des faits ou des réalités. Bien entendu, cela se fait le plus souvent d’une manière indirecte, ouatée, assez astucieuse pour camoufler toute immixtion. L’objectivité devient de la sorte trompeuse, servant de poudre aux yeux pour faire mieux passer un message sous-jacent qui prend le pas sur la substance même du fait présenté, sur sa vraie signification. En somme, le public se retrouve souvent nanti d’un point de vue persuasif sur un élément donné plutôt que de cet élément lui-même ! C’est, en pratique, du faux et de l’usage de faux, qui a pour but ou pour effet d’endormir le patient, de le priver d’un des fondements même de l’homme : la lucidité. À ce niveau, on ne peut s’empêcher de penser au facteur politique. En effet, pouvoir appréhender la réalité dans toutes ses composantes, comme dans sa mobilité et ses variations, constitue une condition essentielle pour tenter d’y apporter des changements. Ce qui est en soi un acte politique par essence, offert à l’exercice des collectivités, dans la mesure où la politique peut et doit être créatrice. Dans ce contexte, il existe, il a toujours existé, un lien, flagrant ou dissimulé, entre les intérêts, les forces, les courants politiques et l’information. Que l’on tente presque toujours de soumettre pour qu’elle devienne le porte-parole de tels bastions. Qui exigent d’elle qu’elle s’ingénie à susciter une prise de conscience collective déterminée, qu’elle fabrique en somme une opinion publique favorable aux thèses de ces dits intérêts politiques. L’on revient là, encore une fois, au bon vieux système du lavage de cerveau. Le public, simple auditeur ou spectateur fasciné par un monologue de fond, sans cesse matraqué mais agrémenté de mille fioritures pour faire passer la pilule, n’a plus ni la capacité ni les éléments pour discuter, pour dialoguer. Bien entendu, cette opération est toujours menée aussi rondement qu’habilement. De sorte que cette conclusion que l’on instille dans le public, il s’imagine y avoir pensé lui-même, il croit en être lui-même l’auteur ! Le pire, cependant, c’est quand l’immixtion volontariste, économique, politique ou financière se fonde sur la falsification totale de la réalité. Son remplacement par une fiction hypothétique, par un mensonge à l’état pur. Que l’extrême sophistication des moyens techniques, le recours à des montages visuels, ou virtuels, permettent de faire accroire. L’utilisation de ces procédés dans les mass média atteint une fréquence telle que la nue réalité devient une rareté, présentée quand il est impossible d’y substituer une image virtuelle tronquée avec un soin impeccable, minutieux, indécelable. Le plus déplorable, à cet égard, reste ce que le cinéma, art des masses par excellence, parvient à réaliser, comme Jurassic Park en donne un exemple. L’on arrive même aujourd’hui à remplacer des acteurs en chair et en os par des personnages, des héros virtuels, des ectoplasmes fabriqués dans les laboratoires des compagnies d’effets spéciaux. Il est terrifiant, à bien y penser, que les pays avancés s’engouffrent dans cette voie. Car le monde de la politique, les dirigeants, les pôles de ces nations commencent à être tentés par les vertus de l’hypothétique, du virtuel, dans leur relation avec leurs compatriotes ou avec les pays étrangers. En d’autres termes, le faux devient d’un usage de plus en plus courant. De plus, la réalité virtuelle déformée ne peut susciter qu’un éveil à un savoir vicié à la base, déviant. D’où une perte de la vraie connaissance, désertification de la pensée qui constitue pour l’humanité un péril encore plus grave que la désertification géographique ou climatique de la nature. La falsification délibérée de la réalité atteint parfois un point tel que toutes les données s’en trouvent bouleversées, inversées. C’est, littéralement, le monde sens dessus dessous. Un exemple frappant, c’est le mot, de substitution de tableau : la victime, à savoir le peuple palestinien, à laquelle la pseudo-information sioniste fait endosser l’habit du bourreau. Alors que le véritable exécuteur, c’est également le mot, des basses œuvres, à savoir l’entité sioniste, est présenté comme un agneau immolé. Le tour de passe-passe ne connaît, en matière de cynisme, aucune limite. Ainsi, ces enfants nus, ces petiots efflanqués qui s’élancent caillou en main contre des guerriers bardés d’armes effroyables, nous sont décrits comme de redoutables agresseurs. S’attaquant sans pitié à de pathétiques Merkavas, blindés d’acier, crachant le feu. Encore mieux, ou pire : le sionisme ne prétend-il pas que la résistance à l’occupation constitue le crime suprême, le point culminant du terrorisme ? Alors que l’abominable répression, proprement terroriste, que mène contre une population exsangue l’État israélien, fort d’un écrasant arsenal, se qualifie effrontément de « légitime défense». C’est à un niveau semblable, avec de telles racines de mensonge que se dessinent les contours du monde qu’une pareille information nous fabrique. En liaison avec des réseaux de communication qui incluent tout… Exceptée l’essence même de la communication conçue comme relation humaine. L’évangile de la religion forcenée du gain veut nous faire croire que la logique de la concurrence mondiale entre des centres névralgiques démultipliés de distribution ou de redistribution de l’information élargit à l’infini l’éventail des choix offerts au public. Il y en aurait, dit la bonne parole du culte du veau d’or, pour tous les goûts. Un puissant stimulant, prétend-on, pour la créativité informationnelle, pour cette variété qui fait beauté, pour cette profusion qui déborde de loin les besoins de la consommation. Mais c’est faux, c’est archifaux. Nous assistons même à un phénomène tout à fait inverse. Au lieu d’un étourdissant florilège dans l’étalage des produits informationnels, l’offre se limite à des standards qui sont les mêmes partout, ici même comme ailleurs dans le monde. La concurrence, au lieu d’être une source de diversité, devient un facteur d’homogénéisation. Car la chasse au trésor, c’est-à-dire à l’audimat, au consommateur dans son plus grand nombre, incite les décideurs à se rabattre sur des produits qui ont fait commercialement leurs preuves. Ou qui sont censés inclure les ingrédients réputés pour être automatiquement recherchés, attirants. Une cuisine, une pâtée connue qui se suffit de peu d’épices et évite généralement les plats de résistance, trop riches et par là trop coûteux. Il s’agit de vendre et de revendre, partout, pour s’ajuster à tous les goûts. Il faut donc se rabattre sur un menu minimal, comme le steak-frites ou le hamburger, qui satisfasse tout le monde, dans tout le monde. Il n’y a donc pas, à bien y regarder, de choix varié. Mais un déluge de best-sellers, de sitcoms, de soap operas, de séries policières, de spectacles olé-olé. La distribution et la diffusion, ce sont les deux mots de passe magiques, le vrai décideur universel en chef qui, finalement, inflige à l’image comme à l’idée qu’elle draine la pire des censures, celle de l’argent roi. Sur de telles bases se construit un système du faux qui réalise une triple horreur siamoise d’homogénéité, d’uniformité et de pensée unique. En étendant son empire du costume à la façon de vivre, en passant par le goût, la réflexion, l’esthétique ou la morale. Un authentique travail de déconstruction des cultures, des spécificités et de la diversité en tant qu’enrichissement, voire en tant que représentation de la dignité humaine. Nous nous trouvons là devant l’un des aspects les plus saisissants de la mondialisation ou de la globalisation. Un concept qui va de pair avec un système qui menace le monde de percées l’obligeant à une stérile uniformisation, au nom d’une prétendue universalité. Terme qui en réalité ne peut avoir de sens que dans le respect de la diversité, des particularismes, dans un cadre d’échange culturel fertile, enrichissant pour tous. Or l’on tente d’imposer au monde entier des spécificités déterminées, traditions folkloriques, culturelles ou politiques, puisées ça ou là. Simplement parce qu’elles se sont avérées payantes sur le plan commercial dans leur environnement et qu’il peut être fructueux de les exporter. C’est là, également, l’un des plis que prend le processus d’uniformisation. Et, partant, de désertification par l’éviction de la vraie, de la saine diversité. Autre nom, on en conviendra, de la créativité. Aujourd’hui, bien plus que jamais auparavant, nous incombe une mission fondamentale : défendre, à travers le droit à la diversité, les plus nobles valeurs de l’humanité. Les plus universelles. C’est dans leur réalité intrinsèque, variée, que tous les goûts des spectateurs, des téléspectateurs, des auditeurs et des lecteurs doivent être satisfaits. Pour stimuler la créativité, pour répondre aux besoins du public, il faut diversifier la production, notamment dans ce domaine essentiel de la communication qu’est l’information au sens large du terme. Redisons-le, c’est le principe contraire qu’on nous impose. Une plate similarité de l’offre, aussi bien localement que mondialement. L’ennui, dit le poète, naquit un jour de l’uniformité. Les ennuis aussi.
Il est largement connu que le prodigieux bon en avant technologique, les possibilités sans limite qu’il offre au vaste monde de la communication permettent à l’information de contribuer, d’une manière tout à fait déterminante, à faire du monde un même village, comme le veut l’adage courant. Mieux même, les médias, qui englobent au sens large du terme aussi bien les...