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Actualités - REPORTAGES

Du raki turc à l’arak libanais, tout un art à découvrir

Qui dit arak, dit Liban. Avec un marché estimé à trois millions de litres par an, soit une consommation annuelle d’un litre par individu, l’arak est de loin la première boisson nationale. La boisson nationale du Liban, c’est la divinité gréco-romaine qui l’a offerte à ses adeptes. À Byblos, des vignes âgées d’environ 5000 ans ont été découvertes. Apparemment, il s’agit du raisin Obaideh, un antérieur du chardonnay. Ce raisin est aujourd’hui connu sous le nom de Obeidi et est principalement utilisé pour la production de l’arak. Tout village de la montagne en distille, en boit et en expédie, par petits colis, à ses émigrés un peu partout dans le monde. Riche de son passé, le Liban offre aujourd’hui au visiteur son hospitalité légendaire, ses sites touristiques, sa cuisine délicieuse. Mais de sa boisson nationale, il révèle peu. C’est au visiteur de découvrir ce mélange d’alcool, de vigne et d’anis, cette boisson que l’on exhibe avec fierté et cet art profondément oriental dont on n’est pas moins orgueilleux. Le Liban offre une cuisine de renommée internationale, mais ses boissons locales sont encore plus délicieuses. Boisson alcoolisée anisée faite à base de raisin, l’arak prend une couleur blanchâtre une fois mélangé à l’eau. Pur, il prend l’apparence du gin. Nombre de Libanais boivent l’arak quotidiennement au déjeuner. «Contrairement à ce que pensent les Occidentaux, précise Salim Wardy, directeur général de Solifed (Société libanaise de fermentation et de distillation), l’arak n’est pas consommé comme apéritif, mais accompagne la cuisine libanaise pendant toute la durée du repas, ce qui le place en concurrence directe avec le whisky, le vin et la bière». L’arak est servi avec de l’eau et des glaçons. Offrir un verre d’arak est un signe de bienvenue, une invitation à déguster les mezzés libanais, véritable festival de hors-d’œuvres. «La production d’arak au Liban remonte à plusieurs siècles, les familles de la montagne distillant une partie de la récolte de leurs vignobles pour en faire de l’arak. Pratique aussi répandue à travers les monastères qui, jusqu’à nos jours, continuent à produire leur arak», ajoute Salim Wardy. Zahlé, source d’arak «L’arak est une boisson alcoolisée extraite à partir du jus de raisin fermenté puis distillé trois fois avec les graines d’anis. Cette boisson est souvent identifiée à la région de Zahlé qui produit actuellement plus des trois quarts de l’arak libanais», souligne Salim Wardy. En effet, qui pense arak, pense Zahlé. Située au cœur d’une région productrice de vin depuis l’Antiquité, Zahlé est souvent associée à la vigne. Déjà, à l’entrée sud de la ville, une gracieuse statue de femme personnifiant le vin et la poésie accueille les visiteurs. Les terrains entourant la ville sont recouverts de rangées de vignes qui alimentent les établissements de vin et d’arak. La réputation culturelle de Zahlé n’a d’égale que sa primauté commerciale et administrative; c’est un centre agricole important, produisant des légumes et des fruits… et surtout le raisin. C’est avec fierté que les Zahliotes surnomment leur ville «la Cité du vin et de la poésie»: plus de 50 poètes et écrivains y sont nés et un grand nombre de variétés de vins et d’araks y sont produits. Plusieurs de ces vins ont obtenu une reconnaissance internationale pour leur qualité au moins égale à celle des meilleurs crus européens. Mais c’est surtout de leur arak que les Zahliotes sont le plus fiers. Dans ce secteur, leur région recèle de véritables trésors. Une partie non négligeable de la production est destinée à l’exportation. Salim Wardy précise: «La région de Zahlé est renommée depuis des siècles pour la qualité de son raisin. Zahlé est située au centre de la plaine de la Békaa, à une altitude de plus de 900m. Le printemps et l’été sont secs, et les températures atteignent 38° pendant la récolte avec plus de 260 jours d’ensoleillement par an». De l’émondage des sarments aux vendanges, du tri des grappes à la fermentation, la préparation de l’arak est un véritable art auquel tout un monde prend plaisir. Les différentes étapes de fabrication L’arak est le nom donné à toute boisson alcoolisée fabriquée à partir de différents produits fermentés: la sève palmiste, les dattes, le raisin, l’orge, etc. Au Liban, l’arak est principalement tiré du raisin. Pour faire de l’arak, le moût de raisin est mis dans des tonneaux où il est gardé pendant deux à trois semaines. Ce mélange, à forte odeur, qui n’est pas encore arrivé au degré d’acidité du vinaigre, est mis à distillation dans un alambic de forme très antique. Les villageois raffinés distillent deux, trois, voire quatre fois la même quantité de jus. L’alcool est ensuite mélangé avec de l’anis. Le liquide obtenu a la transparence de l’eau pure. Mélangé à l’eau, il devient laiteux et perd de sa force. La boisson étant fortement alcoolisée, il est d’usage de mettre devant celui qui en consomme divers mets légers, les fameux mezzés libanais. Un Zahliote conçoit cinq étapes dans la préparation de l’arak: 1- Le raisin est écrasé pour extraire son jus. 2- Le raisin est ensuite fermenté pendant 20 jours pour que le sucre se transforme en alcool. L’alcool est alors séparé du reste du jus par distillation. À feu doux (70°C), l’alcool s’évapore et, au contact avec la froideur de la marmite, il se condense et est recueilli à part. 4- De l’anis (en graines) est ajouté à l’alcool qui est redistillé (70°C). C’est alors que l’anis cède à l’alcool ses arômes. Cette distillation avec l’anis peut être répétée deux fois pour donner un goût plus fin à l’arak. 5- L’arak se consomme après dilution. Solifed est passée maître dans la fermentation et la distillation de l’arak. «Pour produire l’arak Gantous et Abou Raad, explique Salim Wardy, Solifed utilise les meilleurs raisins, les meilleures graines d’anis et un procédé de distillation répété. L’arak est vieilli pendant trois mois avant la mise en bouteille, ce qui assure son excellent goût. Alors que l’arak Gantous et Abou Raad est conservé pendant trois mois, l’“Arak Wardy” est vieilli pendant un an. Ce dernier est issu d’une variété spécifique et de haute qualité de raisin comme le chardonnay, le sauvignon blanc et le typique Obeidi de la Békaa. Avec sa bouteille, son goût unique et ses caractéristiques spéciales, l’“Arak Wardy” est une boisson prestigieuse, créée pour satisfaire les connaisseurs». La distillation : un rôle pivot Une étape à ne pas sous-estimer dans la préparation d’un bon arak est, bien entendu, la distillation. «L’arak est distillé trois fois avec les graines d’anis. Plusieurs méthodes sont appliquées à cet égard : la distillation simple à l’alambic, fractionnée et la colonne de distillation. La distillation joue un rôle de base. Elle permet de séparer les composantes nocives des composantes utiles», explique Salim Wardy. Plusieurs méthodes permettent en effet d’extraire les alcools : - L’alambic traditionnel, un moyen primitif de distillation encore utilisé dans de nombreux villages. L’alambic ne peut éliminer toutes les huiles nocives, mais il est utilisé pour extraire ce qu’on qualifie d’«arak de maison». - La colonne de distillation permet d’éliminer une grande partie des huiles nocives et des dépôts. - De nouvelles méthodes modernes ont dernièrement vu le jour. Elles sont extrêmement efficaces et assurent une grande qualité tout en garantissant une pureté parfaite aux alcools, naturels ou industriels. Salim Wardy ajoute: «L’Arak Wardy est produit avec grand soin. Après une sélection minutieuse, les raisins sont distillés à l’alambic pour obtenir l’alcool de raisin. Cet alcool est ensuite vieilli dans des jarres de terre pour une année durant laquelle l’arak repose sans jamais cesser d’évoluer. L’alcool subit alors trois distillations avec des graines d’anis avant d’être mis en bouteille et prêt à la consommation. Ce qui distingue un arak d’un autre, c’est bien le choix du raisin. Solifed possède des vignes propres à elle, ce qui lui permet de contrôler la production du début jusqu’à la fin». Pour Salim Wardy, trois éléments entrent dans la production d’un arak de qualité: Le goût de l’arak produit par Solifed convient au consommateur libanais. Il dépend de la quantité d’anis et de la méthode de distillation ; l’arôme qui doit être riche en anis ; la couleur qui indique la qualité. L’arak mélangé avec l’eau doit être d’une blancheur dense, dénuée de reflets bleuâtres. Les effets de l’arak sur l’organisme Les effets de l’arak sur le corps humain dépendent de la quantité d’alcool qui pénètre dans le sang. Boire quand l’estomac est plein est moins dangereux, préviennent les médecins, car la nourriture retarde l’absorption d’alcool. Le poids du corps a aussi son rôle à jouer. Plus la personne est corpulente, plus le taux d’absorption est lent. Les études indiquent que le sexe est également un facteur à ne pas éliminer. L’estomac féminin contient moins d’enzymes que celui de l’homme. Par conséquent, de plus grandes quantités d’alcool pénètrent dans le sang de la femme qui boit par rapport à l’homme. À faible dose, l’arak stimule le cœur et accélère la circulation sanguine. Il augmente le HDL (le «bon» cholestérol) et assure par là une excellente protection cardiaque. L’arak, s’il est pris à fortes doses, enivre. Cependant, les alcooliques sont rares. Ainsi, la consommation modérée d’arak ne comporte aucun risque. Toutefois, à l’instar de tout alcool, l’abus d’arak peut avoir plusieurs effets néfastes sur la santé, notamment sur le système digestif (cancer, ulcère, cirrhose du foie et inflammation du pancréas). Il est parfois difficile d’indiquer quelle quantité d’alcool l’on peut boire sans risque, car chaque individu réagit différemment. De plus, la concentration d’alcool dans les différentes boissons alcoolisées dans le monde diffère de l’une à l’autre. Les bières, faites par fermentation et brassage à partir de grains, contiennent entre 3 et 8% d’alcool. Les vins, fermentés à partir de fruits comme le raisin, contiennent entre 8 et 20% d’alcool. Les spiritueux distillés, tels que le whisky, le gin et la vodka, contiennent entre 40 et 50% d’alcool. L’arak, quant à lui, contient entre 18 et 35% d’alcool. L’arak fait partie de notre culture. Consommé modérément, il n’affecte nullement la santé. Au contraire, il fait alors partie des plaisirs de la table. Boire un ou deux verres d’arak par jour est considéré comme bénéfique, offrant une certaine protection contre les maladies cardiaques. Les boissons anisées dans le monde Dans les pays qui bordent les rives de la Méditerranée, l’anis a été depuis des siècles une boisson incontournable, au point de devenir un véritable art de vivre. On ignore encore l’origine exacte des boissons anisées, même si l’on sait que d’anciennes civilisations, notamment égyptienne, l’utilisaient comme médicament. Ce dont on est sûr, en revanche, c’est qu’au 1er siècle de notre ère, dans l’antique Nicée, aujourd’hui territoire turc, un apéritif anisé est inventé: le propoma. L’alcool d’anis était également connu de Byzance. Il semble que cet alcool se répandit rapidement dans les pays riverains de la Méditerranée, qu’ils soient gréco-latins ou musulmans. Ainsi, alors que le raki est bu en Turquie, l’arak est distillé au Liban, en Syrie et en Jordanie. Suivant les pays, il prend le nom d’arrack, arracki, etc. En Grèce, le raki se mue en tsipouro, à Athènes en ouzo, en Arménie en ori, sur l’île de Chio c’est du masticha. Raki et arak se boivent sec ou additionnés d’eau. Ils ont pour cousins le pastis français et quelques autres variétés d’anis qui ont essaimé à travers le monde. Ainsi, en Colombie, c’est le verre d’aguardiente qui est de rigueur, en Uruguay l’anisado (eau de vie de canne et grains d’anis). Les Pieds-Noirs se souviennent du bon vieux temps où, entre amis, on sirotait le phénix, l’anis gras, et le cristal anis en picorant olives et amuse-gueules. L’Espagne est restée fidèle à l’anis et le déguste même en liqueur. La France également, avec sa fameuse Marie Brizard et toute sa série de pernod, pastis, casa, etc. À Marseille, deux spécialités arméniennes sont distillées: le raki Duze et le raki Chirac. En Inde, l’arack est tiré du riz fermenté. C’est la même liqueur qu’on appelle tafia en Amérique. Forts de leur histoire, l’arak et ses «cousins» se trouvent ainsi bien implantés dans le monde. Les supplanter serait difficile, voire quasi-impossible. Dès lors, leur avenir semble aussi prometteur que leur début. Pourtant, la précaution reste de rigueur. «Avec la grande vague des alcools étrangers qui captivent surtout la nouvelle génération, l’arak a intérêt à rajeunir son image pour ne pas se retrouver un jour au rang des vieilles boissons obsolètes», conclut Salim Wardy. La mise en garde s’avère judicieuse.
Qui dit arak, dit Liban. Avec un marché estimé à trois millions de litres par an, soit une consommation annuelle d’un litre par individu, l’arak est de loin la première boisson nationale. La boisson nationale du Liban, c’est la divinité gréco-romaine qui l’a offerte à ses adeptes. À Byblos, des vignes âgées d’environ 5000 ans ont été découvertes. Apparemment, il...