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Actualités - REPORTAGES

Liban-États-Unis - Rencontre avec les proches du jeune Libanais accusé par le FBI d’être un des pirates de l’air - La famille de Ziad Jarrah veut connaître le sort de son fils

Huit jours après le double drame de New York et Washington, le mystère Ziad Jarrah reste entier. Ce Libanais qui prenait des leçons de pilotage à Miami n’a plus donné signe de vie depuis mardi dernier et le FBI l’a dès vendredi accusé d’être l’un des pirates de l’air. Dans son village natal de Marj (Békaa-Ouest), sa famille ne cache pas sa révolte devant ce qui est, selon elle, une grave injustice. «Ziad aimait la vie, les femmes et le pilotage, déclare son oncle Jamal. Est-ce une raison pour l’accuser de détourner les avions ?». Le premier choc passé, la famille Jarrah veut savoir ce qu’est devenu son fils, disparu le 11 septembre dernier, et avant d’avoir la preuve de sa mort, elle ne veut pas entendre parler de condoléances. Marj, une bourgade de dix mille habitants à majorité sunnite, ne pensait pas un jour faire la une des journaux. Ses habitants ne sont pas peu fiers de rappeler qu’ici, il n’y a jamais eu de partis ni de milices et encore moins d’exode confessionnel. Mais désormais, les journalistes y défilent en permanence en quête d’informations sur le jeune Ziad Jarrah, 27 ans, disparu le 11 septembre aux États-Unis et accusé d’être un des 19 pirates de l’air. Les habitants ne prennent plus la peine de poser des questions aux journalistes, immédiatement canalisés vers le quartier Jarrah, une vingtaine de maisons et de commerces au centre du village, cette grande famille faisant partie des notables. Une maison coquette sans indice religieux Après quelques cafouillages les premiers jours, les habitants se sont donné le mot : Ziad était un garçon charmant, poli, aimable, normal quoi et qui ne peut en aucun cas être lié aux islamistes. «Mais interrogez son oncle, c’est préférable». Depuis que certains habitants avaient laissé entendre, samedi, que Ziad s’était rendu en Afghanistan, les villageois se font plus circonspects, laissant à la famille proche le soin de faire les déclarations. Située à proximité de la mosquée, la maison de Samir Jarrah ressemble à tout sauf à une maison d’intégristes. Avec ses murs recouverts de lierre, sa petite cour intérieure où paressent des chats de gouttière et son vaste salon sans le moindre ornement religieux – d’ailleurs sans ornement tout court –, elle semble à l’image de ceux qui l’habitent : aisée sans ostentation. Samir Jarrah n’est pas vieux, il a pourtant l’air très fatigué. Ses proches essayent à tout prix de lui éviter tout énervement, après la chirurgie à cœur ouvert subie en février. Ils lui conseillent donc de ne pas parler aux journalistes. Mais ce fonctionnaire de la CNSS souffre visiblement. Il tient à parler de son fils unique, ce garçon qu’il chérit comme la prunelle de ses yeux. «Depuis sa plus tendre enfance, il voulait être pilote. Il avait les avions dans le sang, mais je me suis toujours opposé à cette vocation. Je ne voulais pas que mon fils unique passe son temps en voyage. Il est finalement parti en Allemagne en 1996, où il s’est inscrit à l’University of Applied Sciences, à Hambourg». Contrairement à ce qui a été d’abord dit par la police allemande, cette Université n’est pas celle de Mohammed Atta, inscrit à la Technical University dans la même ville et aucun lien effectif entre les deux jeunes gens n’a pu être établi. Mais le papa n’entre pas dans ces détails. D’ailleurs, ses proches et les nombreux jeunes qui l’entourent (selon certains ils appartiendraient à des services de sécurité) l’éloignent rapidement. «Vous ne voyez pas que vous le fatiguez ?», lancent-ils sèchement, et l’homme qui essaie de faire bonne figure commence la lecture d’un journal. L’oncle, Jamal, directeur d’une branche de la Banque Méditerranée, est encore occupé à parler avec l’équipe de CNN et le père reprend ses confidences. «Ziad m’a appelé dimanche, comme chaque week-end. Il avait demandé de l’argent supplémentaire et il nous a remerciés d’avoir reçu le virement. Il semblait très gai. Plus tard, j’ai dit à mes proches qu’il m’avait appelé après le drame pour les rassurer, mais en fait, le coup de fil de dimanche a été le dernier contact avec lui. Pour moi, il n’est pas mort. Il est peut-être arrêté par la police…» Des visites régulières au Liban N’a-t-il pas essayé lui-même de le contacter depuis mardi ? «Je n’avais pas de numéro de téléphone. C’était toujours lui qui nous appelait avec des cartes téléphoniques». L’oncle Jamal dira qu’il a essayé de l’appeler mais que personne ne répondait. En fait, Ziad, qui vivait à Hambourg avec une amie allemande d’origine turque, grâce aux virements mensuels de ses parents, avait décidé de suivre une formation spéciale de pilotage à Miami. Son amie était restée en Allemagne. Mais après avoir loué pendant trois ans une chambre chez Rosemary Cannal (interrogée par la télévision allemande, celle-ci avait déclaré que c’était un jeune homme charmant et discret auquel elle n’avait rien à reprocher), il venait de louer un appartement indépendant, loin de l’adresse présumée de Mohammed Atta. Selon son oncle, il venait régulièrement au Liban et, jamais, il n’a laissé un indice de virage islamique. Il est récemment venu deux fois en janvier, puis en février pour l’opération de son père. Il devait revenir le 22 septembre pour le mariage de sa cousine, mais il voulait d’abord achever son semestre à Miami. Ziad devait d’ailleurs assister au mariage de sa sœur le 9 août, mais ayant eu un examen imprévu, il a dû renoncer à ce voyage, se contentant d’envoyer à sa place son amie allemande Ilse. Le mariage n’était-il pas prévu à l’avance ? «En fait, répondent les proches, il était prévu le 22 juillet, mais il a dû être reporté au mois d’août, le marié ayant eu un imprévu». Ziad n’avait donc pas pu s’y rendre, soucieux d’achever dans les délais sa session américaine, pour assister au mariage de sa cousine en septembre. Il avait d’ailleurs annoncé à sa famille, le dimanche où il leur a parlé pour la dernière fois, qu’il devrait terminer d’ici à une dizaine de jours sa formation spéciale. À sa sœur qui lui demandait pourquoi il avait demandé des fonds supplémentaires, il aurait laissé entendre qu’il avait un petit voyage. Selon son oncle, il aurait peut-être voulu se rendre à Los Angeles pour du tourisme avant de rentrer au Liban. Ce serait la raison de sa présence dans l’avion qui s’est écrasé en Pennsylvanie. Même si jusqu’aujourd’hui, la famille affirme n’avoir pas eu la preuve qu’il se trouvait à bord de cet avion. «J’ai moi-même contacté l’ambassade américaine à Beyrouth pour avoir des informations et j’ai parlé au chargé d’affaires. Il n’a pas pu me donner de précision. Les autorités libanaises ont pris le relais et elles réclament avec insistance des détails mais, pour l’instant, l’enquête est secrète. Le seul élément, c’est que la police allemande est revenue sur ses précédentes affirmations, précisant qu’effectivement Ziad Jarrah n’était pas inscrit dans la même université et ne partageait pas l’appartement de Mohammed Atta». L’oncle exhibe ensuite un certificat de l’université dans laquelle était inscrit Ziad qui remonte à 1999, le jeune homme ayant décidé depuis de suivre une formation aux États-Unis. Il évoque ensuite un fax envoyé par des amis de la famille montrant un contrat de location d’un appartement aux États-Unis au nom d’un Ziad Jarrah et remontant à 1995, alors que ce dernier était encore au Liban. «Il doit y avoir un autre et une confusion dans les noms s’est produite», commente l’oncle Jamal, qui ajoute : «Je comprends très bien les enquêteurs américains : un jeune qui selon les premières informations vivait avec les autres suspects et étudiait le génie aéronautique et se trouvait à bord de l’avion, il y avait de quoi être alerté, sauf que notre Ziad n’était pas lié aux autres, s’il était à bord de l’avion, il l’était en tant que simple passager». Ziad s’éclate dans une soirée familiale Mais si Ziad n’était pas à bord de l’avion, pourquoi n’est-il pas entré en contact avec ses parents ? «Il est peut-être arrêté»... N’a-t-il pas pu mener une double vie, établir des liens avec ce groupe à l’insu de ses parents ? «Il y aurait quand même eu des indices, un changement dans l’attitude, ou l’apparence, mais nous n’avions rien senti». L’oncle montre ensuite une vidéocassette tournée en janvier dernier pendant une soirée dans laquelle Ziad s’éclate en dansant avec des jeunes filles habillées à la dernière mode. «Sincèrement, ce jeune homme a-t-il l’air intégriste ? Rien dans son éducation, son passé, son milieu familial ou social ne laisse présager un virage islamique. Quiconque connaît Ziad ne peut l’imaginer dans la mouvance Ben Laden». Mais pourquoi son amie Ilse ne dit-elle rien ? «Elle est placée sous surveillance et la police allemande lui interdit de faire des déclarations en attendant la fin de l’enquête». Dans l’assistance, la conversation dérape vers l’attentat. Les proches de la famille rapportent une version qui circule dans les milieux arabes selon laquelle les Israéliens seraient impliqués dans les attentats. Là, les langues se délient, chacun y va de son petit commentaire, on sent qu’on est en terrain sûr et automatiquement tout le monde est plus à l’aise… Mais les proches ont beau élaborer sur le sujet, la famille ne parvient pas à oublier son drame, même si les parents refusent de porter le deuil et crânent, dans un souci évident de démentir les informations sur l’implication de leur fils. Toutefois, dans une chambre proche du salon, la télé est branchée en permanence et chacun suit attentivement les dernières nouvelles sur l’enquête. Malgré son courage, la famille n’est guère rassurée et, pour elle, l’heure du deuil n’a pas encore sonné.
Huit jours après le double drame de New York et Washington, le mystère Ziad Jarrah reste entier. Ce Libanais qui prenait des leçons de pilotage à Miami n’a plus donné signe de vie depuis mardi dernier et le FBI l’a dès vendredi accusé d’être l’un des pirates de l’air. Dans son village natal de Marj (Békaa-Ouest), sa famille ne cache pas sa révolte devant ce qui est,...