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Actualités - REPORTAGES

HISTOIRE - Semaine internationale des études mandataires à Aix-en-Provence (France) - Gabriel Bounoure, l’homme qui a marqué - de son empreinte 30 ans de la vie culturelle du Liban -

Entre le 8 et le 15 juin s’est tenue à la maison méditerranéenne des sciences de l’homme, à Aix-en-Provence, une semaine internationale des études mandataires. Ce colloque était divisé en trois parties : la première, à caractère essentiellement culturel et accessoirement politique, était consacrée à Gabriel Bounoure, forte personnalité, qui a marqué de son empreinte trente années de la vie culturelle et scientifique du Liban et de la Syrie de 1923 à 1952. La deuxième partie a traité des «outils documentaires sur le mandat français» dans la troisième partie, les intervenants ont essayé de dresser une perspective comparative entre le mandat français et le mandat anglais. Des spécialistes de plusieurs pays arabes, européens et américains ont apporté leur contribution précieuse à ce colloque. Elle a permis de mieux comprendre et de cerner de plus près les causes et les conséquences decette parenthèse unique dans l’histoire mondiale qui est le concept du mandat. La première partie de ce colloque, organisé par l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (IREMAN), Aix-en-Provence, l’Institut français des études arabes à Damas (IFEAD), l’Université de Utah (USA) et l’association Mémoires méditerranéennes, tourna donc, autour de Gabriel Bounoure. Pourquoi ce colloque Bounoure ? Au moment de la division des provinces arabes de l’empire ottoman, aux lendemains de la Première Guerre mondiale, la France doit lutter pied à pied avec l’Angleterre pour préserver son influence. Le mandat qu’elle exerce sur la Syrie et le Liban semble avoir sauvé l’essentiel de cette influence, mais le choix fait tant par la Grande Bretagne que par la France de s’appuyer sur les minorités au détriment de la majorité allait s’avérer lourd de conséquences et progressivement miner cette influence. C’est dans ce contexte qu’arrive au Levant Gabriel Bounoure en 1923 à la fin de la période sous l’égide du général Henri Gouraud et au début de celle du général Weygand. Bounoure passera 30 ans au Levant de 1923 à 1953. Gabriel Bounoure a su mener de pair une activité littéraire qui lui a permis de découvrir et de soutenir des poètes essentiels du XXe siècle, de Michaux Jouve ou Char à Schéhadé et Jabès et une action culturelle et politique au Liban et en Syrie de 1923 à 1953, tant durant la période du mandat (Camille Aboussouan rappelle que «Gabriel Bounoure était la conscience morale du mandat et qu’il était consulté à l’arrivée de chaque nouveau haut-commissaire») qu’après l’indépendance de ces jeunes pays du Levant, qui avaient été placés sous la tutelle française en 1920. S’il a toujours su faire briller le prestige de la langue française, dans ce qu’elle a d’essentiel – la poésie –, il n’en a pas moins su respecter l’apport de la culture et de la langue arabes ainsi que de la mystique musulmane (les éditions Fata Morgana ont publié récemment des textes de Bounoure sous le titre Fraîcheur de l’islam). Ainsi tout naturellement, Bounoure a été aussi proche des milieux chrétiens que musulmans, et s’il a été fidèle à l’œuvre du mandat, il n’en a pas moins accompagné les artisans des indépendances nationales et su contribuer à ménager des transitions intelligentes. Le colloque permet à Bounoure, d’une manière générale, d’étudier les rapports entre culture française et politique au Levant et, à travers le parcours d’un homme d’exception, d’avoir une meilleure vision de la période du mandat en Syrie et au Liban. Pour Georges Schéhadé ou Edmond Jabès, Tawfik el-Hakim ou Gaétan Picon, Salah Stétié ou Abdelatif Laabi, Etel Adnan, Georges Buis, Jean Lacouture ou Jean Gaulmier, pour tous ceux qu’il a côtoyés en France, au Liban, en Syrie, en Égypte ou au Maroc, Gabriel Bounoure aura été la figure du maître. Un maître peu ordinaire, en vérité, sans magistère ni chapelle, insoucieux du pouvoir et de ses honneurs, à l’écoute de ses propres disciples et usant des moyens que lui conféraient ses fonctions importantes à la tête de la mission culturelle au Levant pour préserver leur liberté. De toutes les figures qui ont alors, sur cette rive de la Méditerranée, représenté la culture française, il est sans doute la plus attachante. Né en 1886 à Issoire, dans le Puy-de-Dôme, Gabriel Bounoure avait passé son enfance en Auvergne. Reçu à l’École normale supérieure, puis à l’agrégation, il enseigne en Bretagne avant que la première guerre ne le précipite dans l’enfer des tranchées durant cinquante-cinq mois. Transformé par cette «leçon inoubliable», il décide, quelques années plus tard, malgré des débuts remarqués dans la vie littéraire, d’entreprendre le grand voyage. Il débarque à Beyrouth en octobre 1923, en simple «inspecteur de l’enseignement secondaire», mais dès 1928, il est élevé au rang de conseiller culturel auprès du haut-commissariat. Il mène parallèlement en France une grande activité de critique littéraire, notamment dans la Nouvelle revue française où Jean Paulhan lui confie une chronique régulière sur la poésie. Il va ainsi être l’un des tous premiers à faire découvrir Henri Michaux, Jacques Audiberti ou René Char. C’est également dans des revues – Bifur, Mesures, Intentions, plus tard Les Lettres nouvelles, Critique et le Mercure de France – qu’il publiera ses textes majeurs sur Pierre Jean Jouve, Arthur Rimbaud ou Pascal, et sur les deux pôles de sa pensée critique, le romantisme allemand et la mystique du soufisme. Dès 1930, Bounoure appelle à ses côtés, d’abord au haut-commissariat puis, après l’indépendance du Liban à l’ambassade de France, Georges Schéhadé dont il fait son principal collaborateur. À ceux qui lui demandent alors, avec une pointe d’étonnement ou de jalousie, quelle est au juste sa fonction dans l’Administration, il répond sans se départir : «Vous ne pouvez pas comprendre, il est la poésie». Au Liban ou en Syrie, Bounoure jouera également un rôle politique important, s’acquittant avec succès, grâce aux liens étroits qu’il sait tisser avec les diverses communautés chrétiennes et musulmanes, des missions qui lui sont officiellement confiées. Partisan de longue date de l’indépendance, il est l’un de ceux qui auront le mieux préparé la décolonisation au Levant. Antipétainiste, il rallie la France libre et joue auprès du général Catroux un rôle d’amical conseiller. C’est juste après la guerre qu’il entreprend de réaliser à Beyrouth le projet dont il rêve : la création d’une grande université française de la Méditerranée dont la fondation de l’École supérieure des lettres en 1944 aura été l’esquisse. Il aura à peine le temps de voir ce projet se développer. En 1952, une revue du Caire publie, sans l’en informer, une de ses lettres à un philosophe égyptien*, critiquant vivement la politique française en Afrique du Nord. Convoqué au Quai d’Orsay, sommé de se rétracter, Bounoure refuse. Il est démis de ses fonctions et muté dans un lycée de la banlieue parisienne. Il accepte alors une chaire de littérature française à l’Université d’Aïn-Chams et s’installe jusqu’en juin 1960 au Caire, où il joue à nouveau un rôle prépondérant, accompagnant l’émergence de l’œuvre d’Edmond Jabès («J’ai écrit sous son regard», dira ce dernier) ou aidant Nasser, après les troubles de Suez, à renouer des liens avec la France. De 1960 à 1965, il enseigne à l’Université Mohammed-V à Rabat. C’est dans un petit port de Bretagne que s’éteint un matin de 1969 le vieux sage oriental qu’admiraient Cioran, Louis Massignon et Jacques Derrida, et qui n’avait laissé publier qu’un seul recueil de ses articles, Marelles sur le parvis (Plon 1958). *Gabriel Bounoure à Abdel-Rahman Badawi : «J’imagine combien vous pouvez souffrir de cette injustice faite journellement à l’âme et à la chair de l’Égypte. L’indignation, la colère, le sentiment révolté qu’inspire l’outrage de la violence – telles sont les cruelle passions qu’il vous faut dévorer sans remède et sans apaisement. Pour vous qui aimez la recherche intellectuelle et spirituelle de l’Occident, c’est un déchirement de soupçonner partout le mensonge et l’imposture, ces maximes de la force magnifiées hypocritement. C’est en pensant à vous, à notre compagnonnage de deux années que la honte me vient en voyant mon pays trop peu courageux pour répondre aux vœux légitimes des populations d’Afrique du Nord. Toutes les fois que je suis entré en rapport avec ces fameux «agitateurs» qui paraissent des archidémons aux yeux des conseils d’administration, j’ai trouvé des hommes d’une modération extrême, émettant des vérités de bon sens et parlant le langage le plus humain. Si l’Égypte, par l’action qu’elle engage, aide la République française à retrouver une conscience républicaine, nous la bénirons d’avoir travaillé si efficacement à l’intérêt français». Extraits du catalogue Georges Shéhadé, poète des deux rives, de l’exposition sur Georges Schéhadé au musée Sursock à Beyrouth. Textes de Danielle Baglione et d’Albert Dichy, édition de l’Imec et de Dar an-Nahar, Paris, octobre 1999.
Entre le 8 et le 15 juin s’est tenue à la maison méditerranéenne des sciences de l’homme, à Aix-en-Provence, une semaine internationale des études mandataires. Ce colloque était divisé en trois parties : la première, à caractère essentiellement culturel et accessoirement politique, était consacrée à Gabriel Bounoure, forte personnalité, qui a marqué de son empreinte...