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Actualités - CHRONOLOGIES

Le prince et le poète

Au milieu de 1833, le poète Alphonse de Lamartine accomplit un long voyage en Orient avec sa famille et quelques amis. Ses «souvenirs, impressions, pensées et paysages pendant un voyage en Orient» évoquent le palais de Béchir et l’étonnante personnalité de l’émir. «Après une heure de descente, nous aperçûmes au tournant d’une colline le palais fantastique de Beiteddine, près de Deir el-Qamar. Nous jetâmes un cri, de surprise et d’admiration et, d’un mouvement involontaire, nous arrêtâmes nos chevaux pour contempler la scène neuve, pittoresque, orientale qui s’ouvrait devant nos regards… «À son sommet (de la colline) et à quelques pas de nous, le palais moresque de l’émir s’étendait majestueusement sur tout le plateau de Beiteddine, avec ses tours carrées, percées d’ogives crénelées à leur sommet ; les longues galeries s’élevant les unes sur les autres, et présentant de longues files d’arcades élancées et légères comme les tiges des palmiers qui les couronnaient de leurs panaches aériens ; ses vastes cours descendaient en degrés immenses, depuis le sommet de la montagne jusqu’aux murs d’enceinte des fortifications ; à l’extrémité de la plus vaste de ces cours, sur lesquelles nos regards plongeaient de l’élévation où nous étions placés, la façade irrégulière du palais des femmes se présentait à nous, ornée de légères et gracieuses colonnades dont les troncs minces et effilés, et de formes irrégulières et inégales, se dressaient jusqu’aux toits et portaient, comme un parasol, les légères tentures de bois peint qui servaient de portique à ce palais. Un escalier de marbre, décoré de balustrades sculptées en arabesques, conduisait de ce portique à la porte de ce palais des femmes : cette porte, sculptée en bois de diverses couleurs, encadrée dans le marbre et surmontée d’inscriptions arabes, était entourée d’esclaves noirs, vêtus magnifiquement, armés de pistolets argentés et de sabres de Damas étincelant d’or et de ciselures ; les vastes cours qui faisaient face à ce palais, étaient remplies elles-mêmes d’une foule de serviteurs, de courtisans, de prêtres ou de soldats sous tous les costumes variés et pittoresques que les cinq populations du Liban affectent… Cinq à six cents chevaux arabes étaient attachés par les pieds et par la tête à des cordes tendues qui traversaient les cours, selles, bridés et couverts de housses éclatantes de toutes les couleurs ; quelques groupes de chameaux, les uns couchés, les autres debout, d’autres à genoux pour se faire charger ou décharger ; et sur la terrasse la plus élevée de la cour intérieure, quelques jeunes pages, courant à cheval les uns sur les autres lançaient le dgérid, s’évitaient en se couchant sur leurs chevaux revenaient à toute bride sur leur adversaire désarmé, et faisaient, avec une grâce et une vigueur admirable, toutes les évolutions rapides que ce jeu militaire exige (…). «Nous fûmes introduits dans une très belle salle (la salle des colonnes) dont le pavé était de marbre et les plafonds et les murs peints de couleurs vives et d’arabesques élégantes par des peintres de Constantinople. Des jets d’eau murmuraient dans les angles de l’appartement ; et dans le fond, derrière une colonnade dont les entrecolonnements étaient galbés et vitrés, on apercevait un tigre énorme, dormant la tête appuyée sur ses pattes croisées. La moitié de la chambre était remplie de secrétaires avec leurs longues robes et leur écritoire d’argent, passé en guise de poignard dans leur ceinture ; d’Arabes richement vêtus et armés de nègres et de mulâtres attendant les ordres de leur maître, et de quelques officiers égyptiens revêtus de vestes européennes coiffés du bonnet grec de drap rouge, avec une longue huppe bleue pendant jusque sur les épaules. L’autre partie de l’appartement était plus élevée d’environ un pied, et un large divan de velours rouge régnait tout autour. L’émir était accroupi à l’angle de ce divan (…). «(Dans les jardins de l’émir, les) bains consistent en cinq ou six salles pavées de marbre, à compartiments, et dont les voûtes et les murs étaient enduits de stucs et peints à la détrempe, avec beaucoup de goût et d’élégance, par des peintres de Damas. Des jets d’eau chaude, froide, ou tiède, sortaient du pavé et répandaient leur température dans les salles… La dernière était un bain de vapeur où nous ne pûmes rester une minute. Plusieurs beaux esclaves blancs, le torse nu et les jambes entourées d’un châle de soie écru se tenaient dans ces salles, prêts à exercer leurs fonctions de baigneurs (…). «(L’émir Béchir) était un beau vieillard à l’œil vif et pénétrant, au teint frais et animé, à la barbe grise et ondoyante ; une robe blanche, serrée par une ceinture de cachemire, le couvrait tout entier, et le manche éclatant d’un long et large poignard sortait des plis de sa robe, à la hauteur de la poitrine et portait une gerbe de diamants de la grosseur d’une orange».
Au milieu de 1833, le poète Alphonse de Lamartine accomplit un long voyage en Orient avec sa famille et quelques amis. Ses «souvenirs, impressions, pensées et paysages pendant un voyage en Orient» évoquent le palais de Béchir et l’étonnante personnalité de l’émir. «Après une heure de descente, nous aperçûmes au tournant d’une colline le palais fantastique de...