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Actualités - CONFERENCES ET SEMINAIRES

DÉBAT - Les mentalités demeurent réfractaires à un changement qualitatif - Femmes libanaises à des postes-clés : - beaucoup reste à faire

La femme est-elle devenue plus visible dans la sphère publique ? Et quand bien même l’on admet communément qu’elle peut et doit accéder aux fonctions politiques, les mentalités sont-elles prêtes à accepter un tel changement qualitatif ? Toute la question est là, s’accordent à dire sociologues et journalistes, invités par la Fondation René Moawad durant quatre jours à Ehden pour réfléchir et débattre de cette question fondamentale sur laquelle planche cette ONG depuis quelques années déjà. Financé par l’Union européenne, ce projet – qui comprend notamment des enquêtes, des tables rondes, des campagnes promotionnelles – vise à encourager la participation politique de la femme libanaise. Qui dit politique, dit également médias, tant il est vrai que ce quatrième pouvoir constitue un moyen de pression indirecte sur la prise de décision. Or, constatent les participantes à ce séminaire, rares sont les femmes qui sont parvenues à des postes-clés dans les médias, où elles continuent à jouer un second rôle, reporter ou journaliste d’investigation. Elle sera rarement analyste politique, secrétaire de rédaction, éditorialiste encore moins propriétaire de journal (sauf pour les magazines féminins) ou de télévision. Le bilan est d’autant plus décevant que la femme journaliste a déjà fait ses preuves en ce domaine, et qu’elle s’est imposée par sa rigueur et son savoir-faire. Quels sont donc les obstacles entravant son avancement et son accès au domaine purement politique de l’information ? Invitées à témoigner, deux journalistes ont fait part de leurs expériences respectives, en mettant en avant le rôle joué par leurs institutions respectives. «Celle-ci donne le ton et motive dans un sens comme dans l’autre», affirme une journaliste de la LBC, qui explique que la mentalité dans cette chaîne est à l’ouverture et à la promotion de la femme tant que la compétence est en jeu. «Dans la presse écrite, la réalité est un peu différente, dans la mesure où l’accès à la tribune politique nécessite une rigueur et un suivi qui requièrent de la part du journaliste, homme ou femme, beaucoup de sacrifices et d’investissement, soutient la seconde journaliste. Or, bien qu’il existe une certaine réticence dans certains organes de presse à confier des rubriques politiques aux femmes, rien n’empêche celles-ci de s’affirmer et de se forger une place et un nom dans la presse». Pour Fahmiyé Charafeddine, sociologue et professeur à l’UL, les résultats sont parlants. Peu importe les raisons particulières qui font obstacle à telle ou telle personne, il n’en reste pas moins que le problème réside au niveau de l’image la femme et des représentations véhiculées par la société et par la personne concernée, sur elle-même. «Comment les médias en tant qu’institutions perçoivent l’image de la femme ? Quel rôle attribuent-ils à cette dernière ? Leur attitude vis-à-vis de la gent féminine n’est-elle pas finalement le reflet de la société dans laquelle ils vivent, même si, dans ces milieux dits intellectuels, elle s’en démarque un peu ? Combien de programmes télévisés sont-ils consacrés à la femme ? Combien de programmes télévisés, surtout politiques, font-ils appel à la femme ?» s’interroge la sociologue. Et de conclure que les médias ne remplissent pas leur fonction qui consiste à transformer l’image de la femme et par conséquent son rôle pour ce qui est de sa participation à la sphère politique. D’où la nécessité d’une autocritique, qui remette en question toutes les idées reçues et tout l’héritage culturel assimilé passivement. Pour cette intellectuelle, il s’agit désormais de ne pas abdiquer et de s’interroger continuellement sur les images négatives que nous avons intériorisées. Enquête dans les régions urbaines Elle sera rejointe par Abdo Kahi, également sociologue, qui exposera son enquête effectuée dans des régions urbaines et auprès des députés sur «l’évaluation de la femme dans les activités professionnlles, publiques, politiques», et «leur attitude vis-à-vis de la femme hors du foyer», et «vis-à-vis de sa participation à la vie politique». «Les Libanais jugent que la femme, d’une façon générale, peut participer aux différentes activités publiques et politiques, et avec un poste principal pour certaines de ces activités, mais cette possibilité s’amoindrit quand il s’agit de la femme au Liban», soutient M. Kahi. D’où une certaine contradiction dans les réponses des interviewés qui répondent favorablement dès que les questions ne les touchent pas directement. La femme n’échappe pas pour autant aux clichés conservateurs qui la confinent dans des rôles subalternes. En effet, les Libanais des régions urbaines considèrent que les travaux ménagers sont une exclusivité pour les femmes (80 %), contre 78 % pour les députés. Des chiffres qui n’ont pas manqué de susciter un débat d’une heure parmi les participants sur la question des travaux domestiques. «Rien n’est plus aliénant pour la femme que le travail domestique», souligne Abdo Kahi citant Lénine avant de convenir, avec le reste des participantes, qu’il ne s’agit pas de dire que le travail domestique est humiliant, mais souligner qu’il envahit la femme, corps et esprit, alors qu’elle voudrait se consacrer à d’autres tâches. Et malgré la prolifération d’employées de maison étrangères, l’image de la femme au foyer n’a pas pour autant changé. D’où un problème majeur de la perception des rôles, qui doit être modifiée, par un travail sur les mentalités. «L’étude a montré que c’est toujours l’homme qui prévaut dans les rôles décisionnels et stratégiques», précise M. Kahi. Quelles sont les raisons qui handicapent la femme ? Les responsabilités des travaux ménagers (58 %), les us et coutumes (45 %), l’incapacité à supporter les conditions difficiles du travail (45 %), les croyances religieuses (23 %), l’incapacité d’assumer les responsabilités (13 %) figurent parmi les arguments avancés par les personnes interrogées. «Il s’agit d’un système de valeurs qui est faussé au départ. Même les femmes continuent de jouer le jeu, et l’on retrouve, malheureusement, bon nombre d’entre elles plus conservatrices que les hommes», relève Abdo Kahi. Dans ces conditions, il est indéniable que le mouvement de réforme risque de ne jamais aboutir. Et le sociologue de citer l’ouvrage du Canadien John Saule Le Citoyen en cul de sac qui explique qu’un chercheur, une fois dans le système, une fois bénéficiant de ce système, devient le produit même de celui-ci, reflétant ainsi ses valeurs et les reproduisant. «Où sont donc nos forums de discussions ? Que sont devenus nos intellectuels ? Il n’y a qu’à regarder notre Parlement, qui ne fait qu’avaliser les décisions de l’Exécutif. On comprend alors pourquoi le changement est bloqué», affirme le sociologue. Pour lui, seule l’éducation constitue la voie de salut et permet d’éviter à nos enfants de reproduire les images traditionnelles que notre société continue de générer. «D’ailleurs, dit-il, j’ai l’impression que la nouvelle génération, précipitée dans la globalisation, n’a même plus besoin de nous». Si, à travers l’histoire, l’homme a toujours essayé de prouver qu’il avait raison, aujourd’hui, il n’en est plus ainsi. Et Abdo Kahi de citer Michel Grozier qui explique qu’une décision est le produit d’une synthèse qui émane d’une double domination venant du couple. Il dit : «La raison commence là où on cesse de vouloir avoir raison».
La femme est-elle devenue plus visible dans la sphère publique ? Et quand bien même l’on admet communément qu’elle peut et doit accéder aux fonctions politiques, les mentalités sont-elles prêtes à accepter un tel changement qualitatif ? Toute la question est là, s’accordent à dire sociologues et journalistes, invités par la Fondation René Moawad durant quatre jours à...