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Actualités - CHRONOLOGIES

Exigences et finalités du travail de mémoire - Pour un nouveau pacte politique inaugural

C’est sur le thème des «Exigences et des finalités du travail de mémoire» que devait se clôturer le colloque «Mémoire pour l’avenir». Intervenant tour à tour, Samir Frangié, écrivain et homme politique, et Antoine Garapon, juriste, aborderont successivement les notions de mémoire, de responsabilité et de justice, dans le cadre d’une réflexion sur le passé de la guerre. Comment définir les responsabilités en dehors du binôme bourreaux-victimes ? Quel regard devrait porter l’histoire sur le conflit libanais et dans quelle mesure l’analyse des causes originelles de la guerre peut être ignorée pour laisser la place à une reconnaisance et à un partage des responsabilités effectués sous les auspices de l’humanité ? Comment rendre justice aux victimes de la guerre, afin que la mémoire puisse un jour transcender la logique meurtrière pour la convertir en un projet de pardon ? Les Libanais ont choisi de tourner la page en 1991, en adhérant à un accord (Taëf) qui devait mettre fin au cycle de la violence. Or, le choix de tirer un trait épais sur le passé n’a pas fonctionné, soutient Samir Frangié. En effet, l’accord a été «détourné», et les Libanais se sont vus incapables de déterminer objectivement les responsabilités de la guerre. «L’accord de Taëf qui a mis fin à la guerre n’a pas servi à instaurer la paix, mais a été utilisé par la Syrie pour imposer sa tutelle sur le pays. Pour pouvoir le faire, cette dernière a bloqué toute possibilité de réconciliation entre les Libanais en imposant sa propre lecture de la guerre». Le vainqueur devait ainsi imposer sa loi au vaincu, précise en substance M. Frangié. Le deuxième obstacle à une réconciliation entre Libanais relève également de la difficulté à déterminer les responsabilités et à définir les véritables causes de la guerre, à travers une analyse de l’histoire conflictuelle de ce pays, qui remonte parfois aussi loin que le XIXe siècle. « Quand donc tout cela a-t-il commencé ? Les dates se bousculent. Les historiens des deux camps compulsent fiévreusement les archives de leurs communauté respectives». «Cette mémoire en folie qui sert de terre nourricière à la violence n’est pas faite d’événements et de faits», poursuit l’intervenant. «Elle fonctionne sur le mode du complot», dans lequel les Libanais se retrouvent tour à tour comploteurs et victimes. D’où un engrenage infernal d’actions et de représailles dans lequel chacun accusait l’autre d’avoir commencé, chacune des parties en présence se posant à tour de rôle en situation de légitime défense. «Les deux camps avaient, en gros, la même histoire. Ils n’étaient que les victimes impuissantes d’un adversaire qui avait toujours l’initiative», dira Samir Frangié. Dépression et impuissance Face à la situation de dépression et d’impuissance (Ihbat) générée par la fin de la guerre suite à l’implosion des deux camps (chrétien et musulman), une réflexion sur le passé s’est engagée, conduisant à une reconnaissance mutuelle des responsabilités. À partir de là, une responsabilité individuelle – par opposition à une responsabilité collective caractéristique d’une «mémoire de guerre» – a émergé. «Rompre avec cette mémoire nécessite la reconnaissance de notre déchéance commune. Nous avons tous été, au cours de cette guerre, à la fois dans le camp des victimes et dans celui des assassins», affirme le conférencier. Le refus de recourir à la violence est le signe le plus évident de la maturité des Libanais, désormais égaux à force de malheurs et de souffrances. Privée de son partenaire indispensable, la violence des «autres» s’en trouve ainsi désamorcée. Autre signe positif de cette prise de conscience, constate M. Frangié, l’échec des efforts entrepris dans le but de relancer la tension confessionnelle et de justifier la permanence de la présence syrienne au Liban, car, dit-il, «l’un des deux protagonistes a décidé de ne plus jouer le jeu». «Ce travail de mémoire est nécessaire au niveau de notre société que nous ne réussirons à remettre sur pied que si nous parvenons à tirer les leçons de la guerre et à définir une nouveau projet culturel». Ainsi, de nouvelles solidarités viendront se substituer aux anciennes désormais défaillantes, conclut Samir Frangié. Morale et justice Pour Antoine Garapon, il s’agit de montrer comment s’articule la question de la morale à la question de justice, «qui ne peut être entendue comme un procès, mais comme un horizon auquel on voudrait ressembler». Au Liban, précise le juriste, on ne voit pas bien où est le camp du Bien et du Mal, dans la mesure où il se trouve des deux côtés. Antoine Garapon développe la notion de «mémoire du héros», face à la «mémoire de la victime». À la logique du héros s’oppose celle de la victime, que M. Garapon définit comme étant totalement extérieure au combat. «Le travail de mémoire est de rendre sa condition de victime, c’est-à-dire son innocence». «Une victime parle pour elle-même, d’elle-même. dit-il. Sa souffrance parle seule». Plutôt que de rechercher les causes du mal hors de soi, c’est du côté de la victime qu’il faut regarder. «Cet hommage rendu à la victime passe par un aveu de repentance, un aveu public», dit-il. «C’est, en d’autres termes, faire acte de mémoire, montrer le mal sans l’accuser», et permettre de faire la part des responsabilités. Ce qui revient à sceller une réconciliation entre la raison du héros et celle de la victime. À la question de savoir comment sortir de la violence dont on redoute le retour, Antoine Garapon invite à rechercher, à l’aide d’une mémoire tournée vers l’avenir, une mémoire «inaugurante et inaugurale d’un nouveau pacte politique». Celui-ci fonde une «nouvelle conception de l’échange, celui qui est tourné non pas vers la réciprocité violente, mais vers la dignité humaine».
C’est sur le thème des «Exigences et des finalités du travail de mémoire» que devait se clôturer le colloque «Mémoire pour l’avenir». Intervenant tour à tour, Samir Frangié, écrivain et homme politique, et Antoine Garapon, juriste, aborderont successivement les notions de mémoire, de responsabilité et de justice, dans le cadre d’une réflexion sur le passé de la...