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Actualités - BIOGRAPHIES

Portrait - Le président de la Ligue maronite croit au dialogue - Harès Chéhab : un sage dans la tourmente

Être émir donne-t-il forcément plus de sagesse et de recul face aux événements ? À écouter parler le président de la Ligue maronite, on serait tenté de le croire, même si l’émir Harès Chéhab n’accorde pas beaucoup d’importance aux titres. Musique douce, ambiance feutrée et baies vitrées donnant sur la mer, dans son bureau, tout porte à la réflexion, et l’homme qui est aujourd’hui à la tête des «Ligues chrétiennes» n’en finit pas de chercher les moyens d’aider sa communauté et les chrétiens en général à sortir de leur isolement. L’émir Harès Chéhab souffre réellement. Il ne l’avouerait jamais clairement, mais il est malheureux de voir ce qui se passe dans son pays et particulièrement chez les maronites. Dans son bureau situé au dixième étage d’un immeuble surplombant le port, les bruits de la rue sont atténués, mais les remous se répercutent longuement entre ses quatre murs. Et l’émir se met à réfléchir à haute voix, essayant de dépasser le présent. Car, pour lui, ce qui manque essentiellement au Liban, ce sont des gouvernants ayant une vision de l’avenir. «On a l’impression aujourd’hui que le Liban ressemble au Koweït dans les années 60, se contentant de réagir, sans avoir une véritable politique», lance-t-il. Loin de lui l’idée d’attaquer quelqu’un ou de provoquer une polémique. Ce n’est ni son style ni sa nature. C’est d’ailleurs pourquoi même lorsqu’il occupe des postes de premier plan, il donne le sentiment de rester en retrait. Cet homme est un sage qui a toujours refusé la violence, la surenchère et le langage des insultes et il cherche inlassablement à établir les fondements d’une société viable pour l’avenir, avec tous ceux qui ne sont pas tentés par le fanatisme, le totalitarisme et le rejet de l’autre. L’émir évoque d’ailleurs ses origines musulmanes avec simplicité, n’y trouvant aucun sujet de conflit identitaire. Selon lui, les Chéhab sont originaires de la tribu de Koreych à laquelle appartenait le prophète Mohamed et son propre ancêtre Harès ben Hicham était l’un des premiers compagnons de ce dernier. Tout est dans la gestion Selon l’émir, de nombreuses familles libanaises ont la même origine et il y voit la meilleure preuve que les religions ne doivent pas être un thème de conflit. Président de la Ligue maronite et des Ligues chrétiennes à une époque où les fanatismes semblent gagner du terrain, Harès Chéhab continue à croire au dialogue. À ses yeux, le Liban n’a aucune raison d’être s’il n’est pas peuplé de chrétiens et de musulmans. «Aujourd’hui, dit-il, une partie des Libanais se sent frustrée et se replie sur elle-même. S’il y avait une bonne gestion des affaires publiques, ce sentiment de frustration n’existerait pas. Tout est donc dans la gestion». Et l’émir passe son temps à essayer de trouver les terrains d’entente qui rapprocheraient les Libanais et permettraient d’aboutir à une meilleure distribution des rôles. La Ligue maronite, il la conçoit ainsi, comme un forum d’échanges, une usine à idées qui permettrait aux maronites de se débarrasser de ce fameux désenchantement dans lequel ils baignent depuis des années. Conscient des divergences entre les Libanais, l’émir ne condamne pas mais cherche avant tout à comprendre. C’est pourquoi lorsqu’il évoque la guerre, il ne lance pas d’accusations, se contentant de remarquer que chaque partie avait sa vérité. «Sans émettre un jugement sur le bien-fondé des mobiles des uns et des autres, pour moi, la violence menait le pays à sa destruction». Il était toutefois révolté par la tentative des Palestiniens d’instaurer un mini-État au sein de l’État libanais et il ne pouvait pas non plus concevoir qu’une partie s’appuie sur des étrangers pour consolider sa position interne. C’est pourquoi il est resté à l’écart, s’occupant de ses affaires et attendant l’heure où les canons se tairont et où le besoin d’autres voix se fera sentir. Entre-temps, il s’est énormément rapproché du patriarche Sfeir. Lorsqu’on l’interroge sur la cause de la confiance que le patriarche place en lui, il répond avec modestie : «Je l’ignore et je me demande parfois si je mérite cet honneur». Harès Chéhab est toutefois convaincu que c’est son parcours qui est en grande partie responsable de sa position auprès du cardinal Sfeir. L’information a ouvert de vastes horizons L’émir a commencé sa carrière dans l’information. Il avait achevé une licence en droit et s’apprêtait à entamer un doctorat lorsque le général Fouad Chéhab, alors président de la République, a annoncé sa détermination à vouloir bâtir l’administration avec de jeunes compétences. Harès Chéhab a répondu à l’appel et il a été nommé directeur des affaires de la presse au ministère de l’Information. Cette fonction englobait les relations avec la presse locale et étrangère ainsi que la position de commissaire du gouvernement au sein du conseil supérieur de la presse. Cette dernière charge frôlait la censure, mais ce qui intéressait le plus le jeune fonctionnaire c’était les relations avec les correspondants de la presse étrangère qui, à l’époque, couvraient généralement l’ensemble de la région. «Cela m’a ouvert de vastes horizons et m’a donné le goût du journalisme», précise l’émir. Harès Chéhab a démissionné du ministère en 1972 et il a acheté la licence de l’Agence de l’information arabe. Avec une petite équipe pleine d’enthousiasme, il publiait un bulletin quotidien en trois langues (arabe, français et anglais). L’émir évoque d’ailleurs cette période avec nostalgie, un sourire rêveur sur les lèvres. Lorsque l’espace des libertés s’est réduit, en raison de la guerre, le bulletin a cessé de paraître et l’émir s’est lancé dans l’agroalimentaire, la frustration au cœur. Après Taëf, il a décidé de revenir sur la scène publique, convaincu qu’avec le silence des canons, la place serait de nouveau au dialogue. Connaissant son ouverture d’esprit et sa tolérance, ainsi que sa crédibilité, le patriarche maronite l’a chargé d’ouvrir le dialogue avec le Hezbollah, avant la formation du comité national islamo-chrétien, dont il est évidemment devenu membre. Ce comité a réussi à discuter des questions fondamentales qui divisent les Libanais, essayant de mettre les fondements d’une nouvelle entente. Regroupant des représentants des principales communautés libanaises, ce comité a joué un rôle important dans le synode pour le Liban. Certains lui reprochent aujourd’hui d’être totalement inefficace, mais l’émir continue à croire à l’utilité du dialogue. Et c’est pour lui donner un nouvel élan qu’il a choisi de présenter sa candidature à la tête de la Ligue maronite. Regrette-t-il d’avoir brigué ce titre ? «Non, dit-il après une pause. Mais je suis peiné devant les coups bas, les jalousies et les mesquineries». L’émir sait toutefois que quoiqu’on fasse, on se heurte toujours aux mêmes difficultés. Et ce ne sont pas ces obstacles qui vont le décourager. D’autant qu’au sein de la Ligue et ailleurs, il sait s’entourer de personnes désintéressées qui, comme lui, croient que le salut réside dans la tolérance et l’échange.
Être émir donne-t-il forcément plus de sagesse et de recul face aux événements ? À écouter parler le président de la Ligue maronite, on serait tenté de le croire, même si l’émir Harès Chéhab n’accorde pas beaucoup d’importance aux titres. Musique douce, ambiance feutrée et baies vitrées donnant sur la mer, dans son bureau, tout porte à la réflexion, et l’homme...