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Actualités - INTERVIEWS

Une linguiste émérite de passage à Beyrouth - Petit tour au pays des mots avec Henriette Walter

Linguiste émérite, professeur, présidente de la Société internationale de linguistique fonctionnelle, directrice du laboratoire de phonologie, membre du Conseil supérieur de la langue française et chevalier de la Légion d’honneur, Henriette Walter, auteur de plusieurs ouvrages sur l’origine des langues et l’étude des mots (dont le dernier «Honni soit qui mal y pense ou l’incroyable histoire d’amour entre le français et l’anglais» vient de paraître aux éditions Laffont), a été conviée par le Centre culturel français de Beyrouth à donner une conférence – dans le cadre de la Semaine de la francophonie – sur «Les voyages des mots français venus d’ailleurs». Rencontre avec une érudite qui sait mettre son savoir à la portée de tous, en le rendant ludique. Quand elle vous parle des mots, elle les «personnifie» tant elle vous raconte des histoires animées de voyages d’une rive à une autre, d’allers-retours passionnels (entre le français et l’anglais), de guerres, d’invasions, d’infiltrations (de mots arabes au moyen de l’espagnol), etc. Bref, les récits d’Henriette Walter sont des aventures historiques, parfois insolites, parfois anecdotiques au pays des mots. Tout le monde sait que le français est issu du latin. Mais ce que tout le monde ne sait pas, c’est que la langue française est riche de milliers de mots venus d’ailleurs. «Très tôt, le germanique ancien lui a généreusement offert des noms de couleur (bleu, blanc, gris…). Au Moyen âge, les apports des langues régionales se sont multipliés. Puis il y eut des mots arabes comme abricot, amiral ou jupe, et des mots néerlandais (boulevard, layette) avant que ne déferle l’italien (arpège, dessin, violon, altesse, escarpin, etc.). Depuis deux siècles, c’est l’anglais qui s’impose de plus en plus, avec living, week-end, lobby, baby-sitter, zoom ou flipper qui sont des emprunts purs et simples», indique Mme Walter. Qui souligne que «certains mots comme “ interview” ou “standard” sont en fait des “allers et retours” car ils ont pour origine “entretien” et “étendard”, qui étaient passés outre-Manche, une dizaine de siècles plus tôt, et qui sont revenus en France avec un habit neuf». Quand on pense linguiste, on imagine assez facilement une personne austère, le nez fourré dans de gros dictionnaires, le verbe sophistiqué voir même affecté ! Eh bien Henriette Walter est en elle-même un démenti flagrant à ces idées préconçues. Ce «puits de savoir» qui maîtrise aussi bien les langues que l’histoire, la sociologie ou la géographie, cultive également la simplicité, l’humour et l’esprit d’anecdote. Un cocktail qui rend passionnantes ses petites histoires. Française, née en Tunisie, d’une mère française et d’un père d’origine italienne, Henriette Walter a très tôt baigné dans le plurilinguisme. C’est de là qu’est née sa passion des langues. Cette dame qui parle l’italien, l’anglais – qu’elle a enseigné longtemps – l’espagnol, le portugais, sans compter que l’arabe lui est familier, affirme que le fait d’avoir grandi dans un milieu où l’on parlait beaucoup de langues différentes lui a donné cette ouverture sur les langues étrangères. «Quand on est élevé dans une seule langue, comme c’est le cas en France, cela donne des blocages psychologiques. On dit : Je ne comprends pas les langues étrangères, et ainsi on n’arrive pas à les apprendre». Linguistique fonctionnelle C’est sur le terrain, magnétophone à la main, qu’Henriette Walter mène ses recherches de linguistique fonctionnelle (qui est l’étude des langues telles qu’elles sont parlées actuellement dans le monde). «On écoute les gens, on retranscrit, on essaye de comprendre la structure, la dynamique, l’évolution de la langue», dit-elle. Ses «enquêtes» prennent parfois des années de travail avant de donner naissance à des rapports, ou des livres. Elle a suivi par exemple «la transformation de l’adverbe “trop” en adjectif. Et au sens particulier qu’il a pris au cours des années. De trop bien, trop mal, trop bon, etc., à l’origine, on est passé à la locution “il est trop !”. Au début des mes enquêtes, en 1983, lorsque je demandais aux jeunes si cela voulait dire trop bien, trop sympathique ou au contraire pas du tout, on me répondait : “c’est quelqu’un qui m’impressionne, mais je ne sais pas encore si c’est en bien ou en mal”. Au fur et à mesure que mes enquêtes se sont développées, “Il est trop” est devenu synonyme de “Il est bien et même un peu plus que ça”». Ce genre de transformation du langage est décrié par certains. Mais pas par Henriette Walter, qui estime que «si une langue reste dans le même état, si elle ne bouge pas, elle s’étiole et meurt. Il faut toujours qu’une langue suive l’évolution de la culture. Le monde change, il y a de nouveaux besoins qui doivent s’exprimer d’une façon différente». Allers-retours Que pense-t-elle du nouveau vocabulaire employé par les jeunes en France ? «La nouvelle langue est plus saccadée, un peu comme le rap. On parle vite, avec de plus en plus de juxtapositions et pas de phrases subordonnées. Mais, contrairement à ce que l’on pourrait penser, le vocabulaire n’est pas en train de se réduire. Les jeunes utilisent souvent un vocabulaire qu’on ne connaît pas. Et, de temps en temps, il y a des mots oubliés qui reviennent dans le langage d’aujourd’hui, comme “niais”, “glauque” ou “bouffon”, mais avec un sens nouveau». N’a-t-elle pas peur de l’hégémonie de la langue anglaise ? «Depuis plus de mille ans, le français et l’anglais n’ont cessé de s’échanger des mots. Nous avons au total plus de trois mille mots en commun, dont la forme graphique est parfaitement identique, et d’innombrables adaptations comme le “mushroom” qui vient de “mousseron” ou le “bol” qui vient de “bowl”. Ce qu’il faut savoir c’est que les deux tiers du vocabulaire anglais (soit 65 %) viennent du français. Lequel s’est imposé en Angleterre dès le milieu du XIe siècle avec les conquêtes de Guillaume de Normandie. Il y demeura prépondérant jusqu’au milieu du XIVe siècle et la guerre de Jeanne d’Arc. Alors que les emprunts du français à l’anglais ne dépassent pas les 5%. Il n’y a donc rien à craindre». Enfin, comment trouve-t-elle l’état de la langue française au Liban ? «Elle me semble en excellente santé. Elle est même peut-être parlée avec plus de respect que chez nous». Quand au mélange de «franbanais», c’est un indice de vitalité pour cette dame totalement partisane du plurilinguisme. Sous toutes ses formes.
Linguiste émérite, professeur, présidente de la Société internationale de linguistique fonctionnelle, directrice du laboratoire de phonologie, membre du Conseil supérieur de la langue française et chevalier de la Légion d’honneur, Henriette Walter, auteur de plusieurs ouvrages sur l’origine des langues et l’étude des mots (dont le dernier «Honni soit qui mal y pense ou...