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Actualités - INTERVIEWS

RENCONTRE - Le président de « Fond-Sud » France a quitté Beyrouth hier - Raoul Peck parle « aides » et « cinéma »

Invité à Beyrouth par l’Académie libanaise des beaux-arts (Alba-Université de Balamand), le cinéaste haïtien Raoul Peck a rencontré à l’Alba des cinéastes et journalistes pour une discussion autour de la commission d’aide Fond-Sud France qu’il préside depuis près d’un an, ainsi que de questions plus générales, notamment les différents problèmes du cinéma d’aujourd’hui. Avec l’Union européenne, le Fond-Sud est un des rares fonds de soutien qui existent dans le monde pour le cinéma du Sud. Il octroie des aides substantielles pouvant aller jusqu’à un million de francs français pour la post-production. C’est après «beaucoup de réticences mais finalement avec beaucoup d’engagement et de responsabilité» que Raoul Reck a accepté d’être président de la commission Fond-Sud, «à un moment où les choses ne sont pas simples dans notre métier et spécifiquement pour ceux qui travaillent dans le Sud, a-t-il indiqué. Lorsque nous examinons aujourd’hui les plans de financement qui nous parviennent, nous nous rendons compte que, pour les films qui viennent du Sud, il y a de moins en moins d’accès au financement. Pour des projets qui coûtent entre 4 et 8 millions de francs français, il y a très souvent 3 à 4 millions qui sont censés venir des télévisions françaises. Or aujourd’hui, mis à part Arte – qui devient d’ailleurs elle aussi réservée –, très peu de chaînes de télévision françaises investissent dans les films du Sud. C’est une triste réalité, et cela va jusqu’au point où les cinéastes indépendants français ont du mal à financer leurs propres films». Le Fond-Sud a été créé à la fin des années 80. Cinq membres, deux suppléants et un président participent à cette commission qui «couvre» plus d’une soixantaine de pays : tout le continent africain et en particulier les pays francophones africains ; tout le continent latino-américain ; l’Amérique centrale ; le Moyen-Orient ; l’ensemble des pays arabes ; plusieurs pays d’Asie et un certain nombre d’anciens pays de l’Est. La commission est nommée par arrêt ministériel, pour deux ans. Le Fond-Sud, c’est quatre commissions par an. «À chaque commission, nous recevons en moyenne entre 30 à 50 scénarios venant du monde entier, en français». La commission se réunit dans des comités de présélection. Chaque projet est lu par un «lecteur» qui fait une lecture professionnelle du scénario et qui rédige une fiche de lecture en analysant la structure du scénario, les dialogues, les personnages, le synopsis… et qui émet un avis, favorable ou défavorable. Cet avis est transmis au président de la commission. Deux membres de cette commission se réunissent dans cette présélection, lisent et discutent de tous les scénarios de leur sous-commission. «En plus des deux membres de la commission, du lecteur, des représentants du ministère des Affaires étrangères et de ceux du CNC français, je prends part aux commissions de présélection, ce qui me permet d’avoir une vue complète des scénarios qui nous parviennent pour éviter les injustices et essayer d’avoir un minimum d’égalité entre les différents projets sélectionnés dans les différentes sous-commissions». À supposer que chaque sous-commission de présélection planche sur 10 scénarios, trois ou quatre «montent» en général en plénière, 5 dans le meilleur des cas. À signaler que les représentants officiels (CNC, Affaires étrangères) ne prennent pas part au débat. Critères Raoul Peck insiste sur le fait qu’«il n’y a pas de limite quant au nombre des projets que nous décidons de soutenir. La seule limite est d’ordre budgétaire. Le “Fond-Sud” dispose de 16 millions de francs par an à distribuer, et comme les aides sont de l’ordre d’1 million de FF au maximum pour la post-production (entre 600 000 FF et 900 000 FF en moyenne), et de 50 000 FF pour la réécriture, nous pouvons soutenir entre 3 et 8 projets par commission». Côté critères, l’un des plus importants – mis à part les critères techniques – est que les films que soutient le Fond-Sud «doivent avoir une très forte composante d’identité culturelle de l’origine du réalisateur». Par ailleurs, les films dont les budgets s’élèvent à plus de 15 millions de francs ne sont pas soutenus. Le «lecteur» donne un avis technique, mais c’est seulement suite à une discussion dans la présélection que se fait le choix final des films à soutenir. «Tous les critères que nous pouvons utiliser pour prendre nos décisions s’insèrent plutôt dans une démarche visant à encourager et à aider ce cinéma, dans un sens positif», insiste Raoul Peck. Une des conditions qu’il avait posées avant d’accepter le poste de président est de participer au choix des membres de la commission. «Ce choix a été fait dans l’entente avec le CNC et le ministère des Affaires étrangères qui ont aussi proposé des candidats. Nous avons essayé d’avoir des hommes et des femmes actifs dans le cinéma d’aujourd’hui, qui côtoient donc tous les jours les problèmes de production, de distribution, de financement ; qui lisent des scénarios dans leur travail quotidien. Des personnes qui aiment vraiment le cinéma – qu’ils fassent des films commerciaux ou des films d’auteur – et qui ont un minimum de références des différents continents». Et d’ajouter que «dans le cas où nous avons des projets qui nous paraissent intéressants mais où l’avis de la commission ne suffit pas pour nous éclairer dans notre décision, nous pouvons faire appel à des professionnels “de l’extérieur”, ou nous adresser à certains directeurs de festivals par exemple». Il arrive également que la commission ait un doute quant au travail d’un réalisateur. Elle peut alors visionner quelques-unes de ses œuvres antérieures, souvent jointes au dossier du postulant. Pas de partis pris Affirmant qu’«il n’y a ni favoritisme ni partis pris dans la sélection des projets à soutenir», Raoul Peck a affirmé que «les membres de la commission sont des gens qui ont déjà une carrière derrière eux, qui ont soutenu des cinématographies difficiles et qui ont un minimum d’expérience dans leur jugement». Plusieurs projets venant d’un même pays peuvent être sélectionnés. «Les auteurs et scénarios ne sont pas en concurrence». Par ailleurs, un même réalisateur peut être aidé par le Fond-Sud à plus d’une reprise. La subvention du Fond-Sud concerne normalement la post-production, mais «une nouvelle mesure va entrer en vigueur bientôt, qui permettra au réalisateur de demander à utiliser jusqu’à 25 % de l’aide – en dehors de la France – pour la production elle-même», note Raoul Peck. «Pour acheter de la pellicule, pour payer un chef opérateur, etc. ». Pratiquement à chaque commission, à la fin de la plénière, un ou deux projets font également une demande d’aide à la finition. «Cette aide peut aller de 200 000 FF à 600 000 FF. Mais il faut que le film concerné soit à un stade avancé pour que nous puissions garantir qu’il pourra être achevé avec l’aide qui lui sera accordée». Face à l’unanimité de l’auditoire qui soulignait l’absence de producteurs au Liban, le président de Fond-Sud France a indiqué qu’«il y a moyen, parfois, de créer une production avec un cinéaste qui a au moins un très bon directeur de production, qui peut gérer une production et créer une compagnie pour ce projet». «Le cinéma est un partenariat, qui va au-delà de l’État et des cinéastes et qui doit toucher les distributeurs et l’ensemble des opérateurs du métier, a ajouté Raoul Peck. Car même si un pays comme le Liban n’a pas la possibilité de créer une réelle industrie cinématographique, il peut au moins créer un circuit financier qui ferait qu’un minimum du système pourrait fonctionner. Qu’il y ait des investissements, des soutiens de l’État, des lois qui permettent à un producteur de baisser ses risques, de bénéficier de prêts bancaires à des taux très bas, une exonération de taxes, etc., bref une palette de mesures qui sont importantes». Et de conclure qu’«il faut agir, ne pas se croiser les bras, car ce serait vraiment abandonner son identité. Nous sommes envahis par des images que nous ne contrôlons pas ; nos enfants ne voient pas leur propre histoire, leur réalité, et c’est un véritable défi pour les petits États de préserver leur identité». Délégué du ministre de la Culture M. Ghassan Salamé, Alexandre Najjar a repris l’idée soulevée par M. Peck et qui pourrait être une solution au problème de manque de producteurs au Liban. «Chaque auteur qui voudrait faire un film pourrait créer sa propre maison, surtout que la création d’une SAL ou SARL ici n’est pas tellement coûteuse (5 millions de LL) par rapport à ce que représente un film», a-t-il dit. Concernant l’accord de coproduction entre la France et le Liban, il a indiqué que «ce protocole a été très dur à conclure. Il vient de paraître au Journal Officiel en France et nous espérons pouvoir en tirer profit au maximum. Nous travaillons actuellement sur un projet de création d’une caisse de soutien au cinéma libanais, a-t-il poursuivi, projet qui traîne depuis pas mal de temps, car vu l’état des finances de l’État, nous n’avons pas vraiment les moyens de l’alimenter. Toutefois, pour l’année 2001, le budget du ministère de la Culture a prévu une petite enveloppe pour cela».
Invité à Beyrouth par l’Académie libanaise des beaux-arts (Alba-Université de Balamand), le cinéaste haïtien Raoul Peck a rencontré à l’Alba des cinéastes et journalistes pour une discussion autour de la commission d’aide Fond-Sud France qu’il préside depuis près d’un an, ainsi que de questions plus générales, notamment les différents problèmes du cinéma...