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Actualités - CHRONOLOGIE

RELATIONS - Voyage au pays de l'émotion Le baiser dans tous ses états

Embrassez-vous, c’est poétique ! Les poètes ne sont pas avares de baisers ! «Poète prend ton luth et souffle-moi un baiser», disait la Muse à Musset. La langue populaire non plus : bec, bisou, bise, les appellations non contrôlées du baiser fleurissent. Mais laissons plutôt la parole à Cyrano de Bergerac : «Un baiser, mais à tout prendre, qu’est-ce ? Un serment fait d’un peu plus près, une promesse Plus précise, un aveu qui veut se confirmer Un point rose qu’on met sur le i du verbe aimer». Qui n’a pas eu de grands frissons à regarder un couple s’embrasser ? Qui n’a pas rêvé à un baiser de cinéma ? Qui a oublié la réplique de Michèle Morgan quand Gabin lui dit : «T’as de beaux yeux, tu sais ?» «Embrasse-moi». Qui n’a pas contemplé la photo de Doisneau, les «Amants de l’Hôtel de Ville de Paris ?» Qui ne s’est pas attardé à relire le passage d’un roman d’amour où les héros échangent un long baiser, langoureux et si beau que l’on y revient sans cesse ? Qui n’a pas en tête un poème ou une chanson d’aujourd’hui où il n’est question que d’amour et de baiser ? Qui n’échangerait jamais rien contre un baiser ? Vous saurez, donc, tout sur les mimis et sur leur bon usage : du bisou originel à la bise de bonne camaraderie en passant par le baiser acrobatique ! Il est peut-être peu romantique de caractériser l’échange de baisers comme une relation humaine, sinon un rapport social, et légitimer ainsi l’approche des sciences sociales et humaines du baiser. Tout romantisme, toute poésie mis de côté, le baiser est un rapport social scientifiquement codifiable. Deux personnes qui échangent, même dans la plus stricte intimité, au-delà de la relation à deux se conforment à des règles de la vie sociale. Ainsi, on n’embrasse pas n’importe qui, n’importe comment, n’importe où, pour n’importe quoi, etc. Le baiser est de tous les temps, de tous les espaces, de toutes les sociétés. Geste naturel, il est par là universel. Mais il est aussi d’une culture, d’une civilisation, de mœurs socialement et historiquement bien situées. Reflet doux et puissant de l’humanité, il en suit l’évolution. Certains auteurs de science-fiction en prévoient même la disparition. Il deviendrait tabou, dans un monde livré à la sécheresse du cœur. Mais pour l’heure, ces rabat-joie n’ont pas le vent en poupe. Le baiser se porte toujours bien. Bien intériorisé dans nos consciences et nos psychismes, il est «naturalisé» en quelque sorte par la force de nos pulsions qui nous le fait rechercher ou donner dans des circonstances choisies. Le baiser est, parmi les relations humaines, l’une des plus ambiguës. Ne parle-t-on pas à la fois du baiser de paix ou d’amour. Du baiser de Judas comme baiser de la trahison ; du baiser d’alliance, du baiser de la fée comme celui du serpent ou de la vipère ; le baiser maternel comme baiser d’affection absolue, au baise-main d’allégeance d’un homme à un autre. C’est donc un code établi en fonction du sentiment qu’il exprime. Mais aussi de l’espace que lui accorde la société. Souvent symbole de la liberté, voire du libertinage au sens du XVIIIe siècle, le baiser, composante de rites sociaux, est lui-même très ritualisé. Le baiser franchit plusieurs fois dans son histoire la frontière entre la vie publique et la vie privée. Le baiser de cinéma Aujourd’hui, le baiser intime s’affiche sur la place publique. Il est un slogan publicitaire. Avec le concept du bonheur par la consommation ou le simple achat, le baiser est instrumentalisé pour érotiser un produit, une marque, il accompagne l’acte d’achat et de la consommation en glissant vers le produit l’idée du désir qu’il contient et exprime. Il est un symbole obsédant de la capitalisation de la jouissance. Le baiser de cinéma ( voir «Cinéma paradiso») est la référence la plus courante à cet égard. Baiser codifié : taille de la femme toujours plus petite que celle de son partenaire, mouvement de plongée des lèvres masculines vers les lèvres féminines qui doivent recevoir, l’homme donne toujours un baiser, la femme le reçoit. Une version perverse, la femme qui donne un baiser signifie le peu d’amour qu’elle a pour cet homme et la simple recherche de la satisfaction de son propre désir ! Comme tous les codes ou rites, le baiser traduit l’état des relations sociales. Il consacre des conventions plus globales qui organisent et donnent un sens aux gestes de la vie publique. Le baiser qui nous hante ? La légende, qui imprègne fortement une littérature et un cinéma à l’eau de rose, veut que ce soit le premier baiser, le baiser de l’adolescence, le baiser tant espéré et bien souvent maladroitement obtenu ou donné. Le baiser qui nous hante n’est-il pas plutôt celui que l’on a tant attendu et que l’on n’a pas obtenu ? N’est-il pas celui que l’on espère comme un signe du destin, une élection particulière ? Celui avec lequel et pour lequel tout se joue : la vie, la mort, l’espoir, le désespoir, celui pour lequel, contre lequel on donnerait, on abandonnerait tout ? Et tout naturellement le baiser maternel tant attendu et que l’on n’a pas obtenu parce que maman a autre chose à faire (grands dieux ! Quoi ! Quand il y va du bonheur de son enfant !) Ce baiser-là nous donne l’impression soudaine, affreuse, de n’être qu’un oisillon tombant du nid. Et les autres ? Des bisous accompagnant la poignée de main. «Haaiiii, ça va ?» ou «Ahlaaan, kifkon ?». Version allégée : une main posée sur l’épaule remplaçant la poignée de main. Version rapide : un mmmouwah lancé les lèvres pincées, la bouche en forme de cul de poule, avec mimiques à l’appui. Le «flying kiss», très «in» aussi : il remplace les baisers d’adieu. Efficace aussi pour envoyer un salut à la ronde. On pose la paume de la main sur ses lèvres puis on tend le bras dans un geste d’offrande. Signalons que nos bébés sont devenus des experts en la matière. Avant même d’apprendre à marcher, ils sont scrupuleusement entraînés à envoyer des «flying kisses». Plus théâtral, plus macho également, le «bisou volant» qui mobilise les deux mains. Mais là, c’est un peu plus difficile à réaliser vu que la seconde main en question est généralement occupée par un cellulaire. Des baisers donnés dans l’ivresse d’un moment, d’un rire, d’une promesse dont on ne s’étonnera pas qu’elle ne soit pas tenue. Des baisers parce que quelqu’un a eu l’audace ou la duplicité de nous dire je t’aime. L’occasion de s’en laisser conter (fleurette) est trop rare, alors on succombe. Et sait-on jamais : je suis peut-être cette perle rare qu’il décrit ! Des baisers que l’on donne pour un oui et pour un non, joue contre joue, avec cet air de ne pas être dans le coup ou d’insister dans l’aspect de la courtoisie. Des baisers qui nous révulsent malgré ou à cause des marques d’affection de l’autre et du plaisir qu’il semble y prend. Des baisers lamentablement stéréotypés du travail, des rencontres ritualisées à l’extrême. Des baisers à celui dont on pense qu’il ne pense qu’à cela. Des baisers inévitables parce que l’on a la bêtise de tomber sur une amoureuse des «habibtiii, chte’tillik». Et peut-être les baisers que l’on a surpris, qui font de nous des voyeurs aussi ravis que confus. Le bébé sur les lèvres duquel vous apposez votre joue pour en recueillir ce mouvement de succion humide, d’une force aspirante étonnante. Le bébé que la mère dévore des yeux, mange de baisers sous ses rires tridents, éclatants en rafale, et qui introduit des parties de son corps dans la bouche tout en s’esclaffant : «Je te mange ! Je te mange ! Je t’aime ! J’aime manger mon bébé ! C’est tout tendre un bébé !» Etc., sous ses rires.Le personnage narcissique qui pose les lèvres sur sa main, qui se mordille, s’embrasse en reniflant sa peau comme un animal sa proie encore chaude. Le baiser est ainsi la métamorphose libidinale d’actes de la vie courante, du fond de la condition humaine, des temps oubliés et des moments refoulés qui nous rappellent notre «nature» : manger, mordre, dévorer, déglutir, incorporer... Le baiser est une culture : il est nature et désir. Petit lexique - Le bec : un bec sur la bouche (bec-oiseau) - Le bisou : deux becs sur les joues (bise-joues) - Le bécot : un bec sur le front (bec-haut) - Le baiser : un bec sur le nez (baise-nez) - Le necking : embrasser le cou - Le bie : deux becs à la même place (bis) - Embrasser : étreindre, se prendre dans les bras (em-bras-ser). Le petit Marcel Proust racontait : «Ma seule consolation, quand je montais me coucher, était que maman viendrait m’embrasser quand je serais dans mon lit».
Embrassez-vous, c’est poétique ! Les poètes ne sont pas avares de baisers ! «Poète prend ton luth et souffle-moi un baiser», disait la Muse à Musset. La langue populaire non plus : bec, bisou, bise, les appellations non contrôlées du baiser fleurissent. Mais laissons plutôt la parole à Cyrano de Bergerac : «Un baiser, mais à tout prendre, qu’est-ce ? Un serment fait...