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Actualités - OPINION

Tribune Insihar

L’uniformité a quelque chose d’irrésistible ! Une armée qui marche au pas, qui obéit aux ordres sans discuter ; un orchestre, une chorale qui ne laissent glisser aucune fausse note ; un quarteron de trappistes qui suivent (depuis 1664) l’impitoyable règle de Rancé, dans le silence de leurs monastères ; un corps de ballet où des danseurs, aux mensurations égales, synchronisent leurs mouvements au millimètre près ; un Parlement dont les membres sont programmés par un metteur en scène talentueux ; tout cela force l’admiration et montre de quoi les hommes sont capables, pour peu qu’ils acceptent de se plier à la discipline d’un chef avisé. De tels miracles d’harmonie, de symétrie, de cohésion peuvent être accomplis plus facilement qu’on ne pense. Par un simple trait de plume, par exemple. Il a suffi, en effet, de quelques lignes tracées par une main d’artiste, pour procurer à la volonté populaire l’indispensable linéarité qui manquait encore à sa libre expression. Un seul génial coup de crayon a, comme on le sait, réussi, avec une virtuosité et une simplicité exemplaires, à trancher tout ce qui dépasse. Comme pour l’œuf de Colomb, il fallait y penser. Voilà que c’est fait. Ainsi, le prochain Parlement sera enfin débarrassé des deux ou trois voix discordantes qui, dans le Parlement actuel, avaient plongé le pays dans le marasme que nous savons. Mais, plus encore, et surtout, cet énorme pas en avant fournira aux Libanais l’indicible bonheur de se dissoudre ensemble et volontairement dans la sublime et intraduisible bouillie, dans cette vraie potion magique dénommée «insihar»(*). De cette manière, aucune aspérité ne viendra entraver les travaux d’une Assemblée où les rôles seront savamment distribués entre loyalistes et opposants dirigés par la même baguette. On peut gager qu’elle accomplira de grandes œuvres, parmi lesquelles, peut-être, l’heureuse initiative d’opérer, au nom du peuple, jamais mieux représenté, une deuxième dissolution dans un insihar plus vaste et plus bénéfique, puisqu’il pourra nous assurer une paix illimitée, celle même que Thanatos-le-bénéfique procure à ses sujets. Les Libanais auront alors mérité et gagné leur ciel ; pas tout à fait comme cet élève sur la copie duquel son professeur avait noté cette obligeante remarque : «Gagnerait à ne pas être». Le garçon, lui, ne sachant pas comment il pouvait profiter de son «gain» en se supprimant, a finalement préféré se passer de maître – et poursuivre, tout de même, son petit bonhomme de chemin. (*) : Intégration, fusion nationale.
L’uniformité a quelque chose d’irrésistible ! Une armée qui marche au pas, qui obéit aux ordres sans discuter ; un orchestre, une chorale qui ne laissent glisser aucune fausse note ; un quarteron de trappistes qui suivent (depuis 1664) l’impitoyable règle de Rancé, dans le silence de leurs monastères ; un corps de ballet où des danseurs, aux mensurations égales,...