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Actualités - CHRONOLOGIE

Parlement - Un débat constitutionnel et juridique a précédé l'adoption de la loi Enrichissement illicite : Berry rejoint les bancs des députés pour défendre le texte

Il est rare que le chef du Parlement quitte sa tribune pour rejoindre les rangs des députés, afin de pouvoir défendre un texte de loi. Mais M. Nabih Berry n’avait apparemment pas le choix pour mettre fin au flot de réserves exprimées avec insistance par l’ancien chef du gouvernement Rafic Hariri au sujet du projet de loi sur l’enrichissement illicite qui a été voté hier, au cours de la dernière séance de la réunion parlementaire. Un long débat juridique et constitutionnel a ponctué l’examen du texte qui représente la pierre angulaire de tout projet de réforme politique et administrative. Le même débat, mais alors strictement constitutionnel, a caractérisé l’examen de la loi sur les écoutes téléphoniques, sur fond de contestation du verdict du Conseil constitutionnel, qui a invalidé trois articles du texte. Les deux lois auraient pu facilement être votées sans amendement, ne serait-ce l’intervention de l’ancien chef du gouvernement qui a presque bataillé pour obtenir qu’elles soient modifiées. Il obtiendra qu’un seul appareil, en l’occurrence le ministère de l’Intérieur, soit chargé des écoutes téléphoniques, mais ne parviendra pas à convaincre ses collègues d’amender la loi sur l’enrichissement illicite dans le sens qu’il le voulait. La seule modification apportée au texte concerne le délai de présentation de la déclaration de patrimoine qui a été porté à trois mois. Elle était quand même curieuse la levée de boucliers parlementaire contre le verdict du Conseil constitutionnel à qui MM. Nicolas Fattouche et Zaher Khatib reprochent d’avoir invalidé un article qui ne faisait pas l’objet du recours en invalidation présenté il y a quelque temps par dix députés. Le problème posé par les députés contestataires est le suivant : qui de l’Assemblée ou du Conseil constitutionnel est habilité à expliquer les lois ? Sachant qu’il ne s’agit pas d’un problème au vrai sens du terme puisque nul n’ignore que cette prérogative incombe à la Chambre des députés, ce que M. Élie Ferzli relève d’ailleurs en insistant pour la tenue d’une réunion qui sera consacrée à l’interprétation des prérogatives du Conseil constitutionnel. M. Berry a beau expliquer que la réunion n’est pas consacrée à l’analyse du jugement du Conseil constitutionnel, mais à l’approbation des articles tels qu’ils ont été amendés par cette instance, rien n’y fait. Les deux articles invalidés interdisent la surveillance des communications des chefs et des membres du gouvernement et du Parlement et prévoient la composition d’une commission mixte juridico-parlementaire pour vérifier la conformité de la pratique des écoutes, aux textes de la loi. M. Nicolas Fattouche et Zaher Khatib insistent toujours sur le fait que le Conseil constitutionnel n’aurait pas dû abroger l’article relatif à l’autorisation préalable du Barreau pour la surveillance des lignes téléphoniques des avocats. M. Fattouche souligne, en citant la loi française sur les écoutes, que la commission chargée en France de veiller à la conformité du mécanisme de surveillance téléphonique aux dispositions de la loi comprend parmi ses membres un député. Le ministre de la Justice, M. Joseph Chaoul, tente aussi d’expliquer aux parlementaires que la méthodologie de travail du Conseil constitutionnel est similaire à celle de tous les organismes équivalents dans le monde, et qu’il n’est pas possible d’établir une comparaison entre les deux organismes libanais et français, parce que le Conseil constitutionnel en France a le droit d’interpréter la Constitution, mais ses paroles tombent dans les oreilles d’un sourd. Le débat continue de plus belle. «Je ne comprends pas qu’on puisse en venir à porter atteinte à nos institutions constitutionnelles. Le Conseil constitutionnel est l’une des réalisations politiques et constitutionnelles les plus importantes parce que même le Parlement peut commettre une erreur et à ce moment-là, c’est le Conseil constitutionnel qui intervient pour la corriger. C’est quand même grave qu’on en arrive à contester le contrôle des lois», souligne M. Husseini à son tour. L’intervention de M. Hariri qui demande des précisions au sujet de l’appareil qui doit surveiller les lignes téléphoniques met fin au débat constitutionnel et relance un autre : Qui du ministère de l’Intérieur, du Conseil des ministres ou du Parlement doit désigner l’organisme qui pratiquera les écoutes à la demande des autorités judiciaires ? L’amendement proposé au texte de la loi stipule que cette prérogative incombe au Conseil des ministres, mais les avis des parlementaires étaient partagés sur ce point. «Il faut qu’on précise tout de suite quelle partie surveillera les lignes téléphoniques. Le même problème se pose depuis Taëf : les forces de sécurité s’immiscent dans la vie des gens. Les services de renseignements de l’armée doivent seulement s’occuper de la sécurité militaire et c’est le ministère de l’Intérieur, plus précisément la Sûreté générale, qui est habilité à pratiquer l’écoute», déclare M. Hariri, approuvé par MM. Béchara Merhej et Élie Ferzli. Pour M. Fakhoury, c’est le Conseil des ministres qui doit désigner l’appareil qui surveillera les communications téléphoniques. Sa proposition est soumise au vote. Elle ne passe pas. Seuls les députés parmi les membres du gouvernement et quelques autres parlementaires lèvent la main. Une majorité parlementaire se dégage en faveur de la proposition de MM. Ferzli et Hariri de confier au ministère de l’Intérieur le soin de désigner cet appareil. Hariri exaspère Berry Sans les nombreuses interventions de l’ancien chef du gouvernement, le projet de loi sur l’enrichissement illicite aurait été voté en un tournemain. Le texte qui avait été envoyé une première fois par la Chambre en commissions parlementaires pour complément d’études, en octobre dernier, avait été révisé de manière à éviter les abus ainsi que toute atteinte au secret bancaire. C’était là, la principale hantise des parlementaires. Aucun d’eux n’évoque le secret bancaire, mais M. Hariri énumère en revanche une série de points qui peuvent, à ses yeux, entraîner des abus à l’avenir. Il intervient tellement qu’on en oublie presque la proposition de M. Hussein Husseini de laisser la déclaration de patrimoine facultative. M. Hariri trouve à redire au sujet de presque chaque article du projet de loi. Debout, les lunettes au bout du nez, un tas de papiers et de dossiers devant lui, il multiplie les commentaires, tellement que le chef du Parlement laisse échapper un signe d’exaspération. Ensuite, n’y tenant plus, il prie carrément M. Hariri de s’asseoir. «Ce n’est pas que tu me déranges en restant debout, mais je voudrais voir Ghassan Matar derrière toi», lance-t-il en s’esclaffant. M. Hariri tiendra quelques minutes assis sur son siège. De nouveau debout, il poursuit sur sa lancée, mettant en garde contre l’approbation des articles relatifs à la déclaration de patrimoine et de l’ouverture d’une enquête. Il demande des explications au sujet du premier alinéa de l’article 3 qui définit l’enrichissement comme étant, entre autres, le résultat de «l’utilisation illégale des fonds publics et des moyens de l’État pour relever la valeur de terrains appartenant aux personnes concernées par la loi». C’est le chef du Parlement et non pas le gouvernement qui se charge de répondre à chaque réserve exprimée par M. Rafic Hariri. Ce dernier s’attarde particulièrement sur l’alinéa trois du l’article 6, selon lequel «la déclaration de patrimoine est considérée comme étant une des conditions de l’accession à un poste public, qu’il s’agisse des chefs de l’État, du Parlement, du gouvernement ou des ministres et des députés. Le responsable qui ne présentera pas de déclaration de patrimoine, dans les délais fixés par la loi, sera considéré comme étant démissionnaire». Il souhaite particulièrement l’abrogation de la deuxième phrase, considérant qu’elle est en contradiction avec l’article 70 de la Constitution et défend farouchement son idée. M. Marwan Hamadé partage son point de vue. Débat sur l’article 70 de la Constitution Le principal point soulevé par M. Hariri est qu’un agent de la fonction publique «et plus précisément un chef de l’État peut avoir besoin d’une journée, comme peut-être de trois mois, pour présenter une déclaration de patrimoine. À partir du moment où il est élu, un président ne peut pas attendre trois mois pour prêter serment s’il a besoin de ce délai pour présenter une déclaration de patrimoine». Le débat que son intervention suscite porte essentiellement sur l’explication de l’article 70 de la Constitution et les modalités de démission d’un haut responsable de l’État. Excédé, M. Berry tente de couper court aux discussions. «Sommes-nous ou non pour le vote de cette loi ? N’y a-t-il pas des règles précises pour la démission des fonctionnaires. La loi sur les écoutes était une exception et en dépit de cela, le Conseil constitutionnel a invalidé les articles qu’il a jugés comme instituant une exception. Nous ne voulons pas créer de nouvelles exceptions. Non seulement nous considérons que le chef de l’État est démissionnaire s’il ne présente pas une déclaration de patrimoine. Nous allons plus loin, en considérant qu’il ne peut pas accéder à la plus haute magistrature de l’État s’il ne dresse pas un bilan de ses possessions. Mais M. Hariri revient à la charge et demande qu’on se contente de dire qu’un chef de l’État ou un agent de la fonction publique “se doit de présenter une déclaration de patrimoine”», sans plus. M. Berry décide alors de rejoindre les rangs des députés, pour défendre le projet de loi et éviter ainsi de soumettre au vote la proposition d’abrogation, présentée par M. Hariri. Il demande que le doyen d’âge de la Chambre le remplace à la tribune présidentielle et c’est en riant qu’il appelle Jean Obeid. Pendant quelques instants, les députés oublient le projet de loi pour se laisser aller à quelques plaisanteries sur l’âge de certains de leurs collègues et c’est finalement M. Ferzli qui s’installe à la tribune présidentielle. Les plaisanteries continuent de fuser jusqu’à ce que le chef du Législatif prenne la parole pour plaider en faveur du projet, indiquant que le Parlement ne peut pas donner le dernier mot à d’autres dans le cadre du projet de réforme . L’article est ensuite amendé mais seulement pour étendre à trois mois le délai de présentation de la déclaration de patrimoine. Le débat reprend à la faveur de l’examen de l’article 8 sur la procédure suivie en cas de poursuites judiciaires, mais M. Berry l’empêche de se prolonger. Il ne parviendra toutefois pas à contenir les protestations de M. Hariri qui juge inconcevable qu’un juge d’instruction puisse enquêter auprès des hauts responsables de l’État, en cas de plainte pour enrichissement illicite. «Croyez-moi, une telle procédure est dangereuse pour la stabilité politique. Il ne faut pas légiférer dans un climat chargé de pressions. Nous légiférons pour l’avenir, ne l’oubliez pas». Il plaide vigoureusement, mais en vain, pour la constitution d’une commission judiciaire qui vérifiera les plaintes et les transmettra aux organes de contrôle, mettant l’accent sur la nécessité de préserver la dignité des hauts responsables de l’État. «Je ne comprends pas pourquoi les responsables libanais ont le complexe des juges devant qui ils refusent de comparaître», s’indigne M. Harb qui exprime le souhait d’en finir avec les notes d’informations anonymes, adressées à la Justice par des «citoyens modèles». «Quels citoyens modèles. Ceux-là ne sont même pas des citoyens», renchérit M. Berry. Le débat se prolonge. M. Berry ainsi que le ministre de la Justice insistent tous deux sur le fait que si la loi de 1953 n’a jamais pu être appliquée, c’est parce qu’aucun des gouvernements qui se sont succédé n’a voulu promulguer les décrets d’application, relatifs à la création des comités chargés de lutter contre les abus de pouvoir. «Un des avantages de cette loi est qu’elle peut être appliquée sans le concours de l’autorité législative. Pour ce qui est de l’article 70 de la Constitution, il faut comprendre que le Conseil supérieur chargé de juger les présidents est un tribunal d’exception qui ne peut statuer que sur les cas définis par la Constitution et ne peut pas plancher sur des délits. Dans ce cas, il faut revenir à l’article 60», selon lequel la responsabilité d’un président pour les délits de droit commun est soumise aux lois ordinaires, a indiqué M. Chaoul. Hariri veut répondre mais M. Berry donne la parole au président Husseini. L’ancien chef du gouvernement s’impatiente. Berry : «Il n’y a pas le feu. Attends ton tour. Alors ? Tu veux te mettre à sa place (en allusion au chef du gouvernement). Avoue. Je pourrai peut-être le (M. Sélim Hoss) convaincre de te céder sa place». M. Hussein prend la parole, mais Hariri l’en empêche de nouveau. Berry : «Encore !». Hariri : «Vous ne m’avez pas laissé le temps de répondre». Berry : «Mais tu n’as pas arrêté de parler». La proposition d’amendement de M. Hariri ne passe pas. Le texte est voté sans problèmes. La Chambre approuve ensuite sept propositions de lois, dont une qui exempte les topographes affiliés à l’Ordre des ingénieurs de la condition d’adhérer au syndicat des topographes et une autre qui permet aux fonctionnaires contractuels de l’Université libanaise d’être cadrés à condition qu’ils passent un concours et que leurs salaires ne soient pas supérieurs à ceux de leurs collègues cadrés depuis des années.
Il est rare que le chef du Parlement quitte sa tribune pour rejoindre les rangs des députés, afin de pouvoir défendre un texte de loi. Mais M. Nabih Berry n’avait apparemment pas le choix pour mettre fin au flot de réserves exprimées avec insistance par l’ancien chef du gouvernement Rafic Hariri au sujet du projet de loi sur l’enrichissement illicite qui a été voté hier,...