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Actualités - REPORTAGES

Patrimoine - Une menace : le boulevard maritime Des millions pour défigurer Saïda (photos)

Toute la bande côtière de Saïda, notamment la partie sablonneuse, ainsi que la languette rocheuse qui date de l’ère des glaciations et les deux anciens ports risquent de disparaître. Dans un an, la façade maritime de la ville sera méconnaissable si les fonds nécessaires pour achever le percement du “boulevard” (56 millions de dollars) sont assurés. Le projet, élaboré par Dar el-Handassah et exécuté par Geneco Contractors, prévoit une avenue large de 40 mètres, dont l’objectif déclaré est «de faciliter la route vers le Sud» et de permettre le développement économique, touristique et commercial de la ville. Ce boulevard est l’un des tronçons de l’autoroute censé relier Beyrouth à Naqoura, à l’extrême Sud. En fait, cette autoroute serait la partie libanaise de la «route de la paix», un vieux rêve occidental visant à relier l’Europe à l’Afrique, via la Turquie, le Liban et bien entendu Israël. Évidemment, ce projet ne pourra être réalisé qu’en cas de paix globale au Proche-Orient. Les plans retenus par Dar el-Handassah prévoient le percement du boulevard le long de la bande côtière s’étendant entre le Nahr el-Awali, au nord de Saïda, et Sinik, la limite sud de la ville. Le coût des travaux (échangeur non compris) est estimé à 56 millions de dollars. Mais faute de moyens, le projet a été divisé en tranches. Il s’agit d’un tronçon de 4 kilomètres de long allant du secteur dit des Makassed au pont de Sinik. Les travaux ont coûté 30 milliards de livres libanaises. Cette partie du boulevard sera prochainement ouverte au public. Le projet est peut-être utile, mais il est aussi nuisible à un double titre : d’une part, il rend pratiquement impossible l’accès à la mer ; d’autre part, il porte préjudice au passé de la ville, à ses vestiges archéologiques, à sa géographie et surtout à sa vocation de ville côtière. «Les villes côtières ont toujours été ouvertes sur la mer ; c’est à travers elles que s’écrit leur histoire, et les rivages demeurent les témoins du passé. Bloquer la mer équivaut à changer l’environnement de la ville», souligne un archéologue. Port phénicien sous les remblais Pour percer le boulevard, les entrepreneurs avaient le choix entre deux possibilités : procéder à des expropriations et à des démolitions à l’Est du boulevard, ou remblayer la mer. Ils ont opté pour le deuxième terme, plus rapide et plus rentable, puisque l’espace gagné sur l’eau pourra éventuellement être exploité. Toutefois, cette solution est coûteuse. Elle provoque la destruction des vestiges archéologiques de toute une bande côtière habitée depuis des millénaires. En fait, cette zone contourne un port naturel, appelé le port égyptien. Celui-ci est une crique ronde fermée, qui atténue la force des vagues grâce à des languettes rocheuses servant de brise-lames. «Larges en moyenne de 50 à 100 mètres, elles étaient exploitées comme carrières à l’époque de l’antiquité», selon A. Poidebard, qui fournit ce détail dans son livre Sidon, aménagements antiques du port. Ces languettes gardent encore les traces de cette exploitation. Des escaliers y sont aménagés ainsi qu’un certain nombre de petits passages. À l’origine, ces languettes se trouvaient à une certaine distance de la côte. Aujourd’hui, elles sont incurvées dans la corniche, déformant ainsi la forme primitive de la côte. «Une des étapes du projet prévoit de remblayer la mer sur une largeur de trente mètres et une profondeur de 5 mètres», souligne un ingénieur du chantier. Remblayer la mer consiste à creuser le fond pour atteindre la roche et y poser les fondations. Au début du siècle, de grands archéologues comme Georges Contenau ont prospecté la région et affirmé que le port phénicien de la grande ville de Sidon décrit par Achille Tatios se trouvait dans cette zone. De fait, lors de ses plongées sous-marines, A. Poidebard a découvert un grand nombre d’objets archéologiques encore intacts. «Les ports non explorés pourraient receler dans leurs fonds marins les restes de navires phéniciens, grecs et romains contenant toute sorte de pièces artistiques exportables. Un matériel fragile et inestimable pour le patrimoine et la science», explique l’un des archéologues que nous avons rencontré. Or, aujourd’hui, ces vestiges sont écrasés sous les tonnes de béton ! Un peu plus au sud du port, la route passe à la limite du site de Dakerman, c’est une agglomération qui date du Chalcolithique et qui est considérée comme l’un des plus anciens sites du Liban. Formé de maisons rondes construites avec des galets, le site a livré en plus d’un riche matériel, un grand nombre de tombes de la même époque. La route est située à deux mètres en aval du niveau des maisons. Les ouvriers et les ingénieurs assurent qu’ils n’ont découvert aucun vestige durant les travaux, effectués à l’aide d’excavatrices et de pelleteuses ! Des rivages méconnaissables Depuis le percement du boulevard, les Sidoniens ne reconnaissent plus leur petite baie, là où ils venaient nager et pêcher, il y a quelques mois à peine. Actuellement, le béton qui délimite la corniche ne permet aucun accès à la plage. En fait, les murs de soutènement ont remplacé le sable. Le boulevard est à 7 couloirs, cinq voies rapides et deux voies pour la promenade, longeant la mer. Mais il n’y a aucune bretelle permettant au promeneur de rejoindre la corniche ou au voyageur d’accéder à la ville. Les voitures doivent faire un crochet de quelques kilomètres pour parvenir au centre-ville. Pourtant, l’un des buts du projet n’était-il pas de permettre aux voyageurs de visiter Saïda sans avoir à subir les embouteillages monstres des rues du centre-ville ? Pour se rendre à la corniche, large de 16 mètres et peinte en bleu, vert et jaune, le piéton doit traverser les voies rapides du boulevard au risque de se faire écraser par les voitures. Aucun passage piéton n’est en effet construit ou même prévu sur le plan. «Le projet contribue à la modernisation de Saïda. Il facilite la vie à ces habitants», déclare un ingénieur des travaux. La partie qui reste à exécuter porte sur un secteur qui va des Makassed au Nahr el-Awali, un circuit de 6 kilomètres de sable. Les habitants de Saïda voient dans ce secteur l’unique plage de leur ville côtière depuis des temps immémoriaux. Suivant les plans de l’autoroute, cette plage sablonneuse se transformera en une corniche de béton adjacente à l’autoroute, large, elle aussi, de 40 mètres et sans aucun passage piéton. Notons que la grande partie de cette plage englobe le port Nord de la ville phénicienne. Et selon les études et les prospections de Poidebard, il est de loin plus important que le port égyptien. Donc la richesse en vestiges reste incalculable. «Comment peut-on s’assurer que des immeubles ne seront pas construits sur les bords de l’autoroute, surtout que les prix des parcelles de terre vont augmenter ?», se demande l’urbaniste. «Aucune attention particulière n’a été accordée à ce détail», déplore un fonctionnaire qui a requis l’anonymat. «L’ancienne ville occupe l’Est de l’autoroute, et l’ouest est ouvert au domaine de Neptune. Le resterait-il longtemps ? Nul décret ministériel ou loi protégeant ce littoral n’a été envisagé», ajoute le fonctionnaire. L’étape suivante consisterait-elle à s’approprier des territoires maritimes pour ériger des centres balnéaires ? L’autoroute servirait-elle de carte de visite à un investissement prémédité ?
Toute la bande côtière de Saïda, notamment la partie sablonneuse, ainsi que la languette rocheuse qui date de l’ère des glaciations et les deux anciens ports risquent de disparaître. Dans un an, la façade maritime de la ville sera méconnaissable si les fonds nécessaires pour achever le percement du “boulevard” (56 millions de dollars) sont assurés. Le projet, élaboré par Dar...