Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGES

Société - Deux juristes se prononcent sur les dernières modifications de lois Situation de la femme : progression ou statu quo ?(photos)

N’avoir pas le droit d’ouvrir un commerce ou de se déplacer sans l’accord de son mari, perdre sa nationalité libanaise parce que l’on a épousé un étranger, être victime d’un partage successoral inégal, risquer une peine plus sévère que pour l’homme en cas de délit d’adultère… nombreuses étaient les lois discriminatoires à l’encontre de la femme au début du siècle. Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts de la lutte pour l’amendement de ces lois, grâce principalement à la persévérance, un demi-siècle durant, de la regrettée Laure Moghaizel et de ses consœurs. Mais les inégalités subsistent. Nous avons effectué un bilan juridique des droits de la femme avec Fady Moghaizel, juriste membre de l’Association libanaise des droits de l’homme, qui vient de signer un ouvrage sur le crime d’honneur avec Mirella Abdel Sater, et Alia Zein, membre du conseil de l’Ordre des avocats et présidente de la commission Droits et statuts de la femme au sein de l’Union internationale des avocats. Depuis 1996, le Liban a franchi deux pas importants mais qui n’en ressemblent pas moins à des demi-mesures : d’une part, il a ratifié la Convention internationale pour l’élimination de toutes les formes de discrimination envers les femmes (créée à l’issue du Congrès de Mexico en 1979 et opérationnelle depuis 1981, le Liban ayant été l’un des derniers pays à la signer), mais il a émis des réserves sur ses articles les plus importants. D’autre part, depuis quelques semaines, une modification de la loi sur les crimes d’honneur a éliminé l’excuse absolutoire, accordée théoriquement à un homme qui tue sa femme (ou fille, ou mère, ou parente...) surprise en flagrant délit d’adultère ou lors de rapports sexuels illégitimes. Mais la loi a conservé les circonstances atténuantes. Pas suffisant, affirment les spécialistes. «La modification de cette loi a été faite à l’initiative de l’ancien ministre de la Justice Bahige Tabbarah, à la mémoire de Laure Moghaizel, comme il l’a lui-même déclaré», explique Fady Moghaizel. «Il faut avouer que c’est un pas en avant. Mais le but est quand même d’éliminer entièrement cette loi. D’ailleurs, l’excuse absolutoire n’était pas souvent appliquée selon notre expérience de la jurisprudence, parce que les conditions sont très difficiles à réunir». Selon Me Zein, «les deux changements relatifs à l’abolition de l’excuse absolutoire et aux circonstances atténuantes lorsque l’homme surprend une femme de sa famille dans une attitude “équivoque” ne suffisent pas; il faut éliminer la loi et juger le crime comme un crime ordinaire». «Ce texte est discriminatoire envers la femme puisqu’il ne lui donne pas les mêmes avantages qu’aux hommes», ajoute-t-elle. L’adultère au masculin Les questions qui restent à aborder sont nombreuses. «Il reste quelque chose de similaire dans le Code pénal concernant l’adultère», précise Me Zein. «D’une part, la femme surprise en flagrant délit d’adultère est jugée beaucoup plus sévèrement que l’homme. Elle est condamnée à deux ou trois ans de prison alors qu’il ne risque, lui, qu’une peine d’un mois à un an». Et ce n’est pas tout. Les conditions pour qu’une femme adultère soit emprisonnée sont beaucoup plus simples que celles prévalant pour l’homme. Pour que ce dernier soit incarcéré, il faut qu’il soit pris en flagrant délit dans le lit conjugal, avec une concubine notoire et avec preuves à l’appui comme des lettres par exemple ! Alors que pour une femme, ces conditions n’existent pas. Ce qui nous amène à toutes les inégalités dans les statuts personnels (dues à la multiplicité des lois et à leurs rapports avec les différentes communautés religieuses) au Liban. «Non seulement il n’y a pas d’égalité entre le mari et la femme, mais il n’y en a pas entre une femme et une autre non plus (ou un homme et un autre), suivant qu’elle appartient à une communauté ou à une autre», déclare Me Zein. «Si tous les citoyens ne sont pas égaux devant la loi, il s’agit d’une première inégalité. Comment peut-on avoir une appartenance à la nation si ce principe de base n’est pas respecté ?» Garder son nom de jeune fille Me Moghaizel pense, quant à lui, que «le problème des statuts personnels est source d’inégalité entre l’homme et la femme dans tout ce qui concerne la famille en l’absence de lois civiles». Il le considère comme un «obstacle principal». Comment surmonter cet obstacle ? «Nous essayons actuellement d’obtenir la suppression, dans les textes sur les statuts personnels, de tout ce qui n’a pas trait à la religion, comme le droit de la femme de garder son nom par exemple», explique Me Zein. Par ailleurs, d’autres questions restent urgentes. Selon Me Moghaizel, il faut continuer à militer pour abolir la loi sur les crimes d’honneur. Des demandes aussi ont été formulées pour permettre à la femme de transmettre sa nationalité à ses enfants. Les modifications des lois sont nécessaires dans toute société en progression et la condition des femmes au Liban connaît un essor remarquable. Il n’en demeure pas moins que les textes ne suivent pas toujours les changements de mentalités. Parfois, ce sont les mentalités qui ont de la difficulté à s’adapter aux modifications. Les deux juristes interrogés ont insisté sur l’importance de l’information. «Les changements de mentalité et de lois doivent aller de pair», fait remarquer Me Moghaizel. «Des campagnes d’information et de prise de conscience doivent accompagner les modifications. On remarque par exemple que les crimes d’honneur ont diminué depuis quelque temps. La loi ici reflète le changement de comportement». La modification juridique de la situation de la femme, une fois achevée (mais le tableau est assez clair maintenant), représentera un bouleversement très profond parce que c’est l’image de la femme qui s’en trouvera changée : d’être accessoire, faible et soumis, elle deviendra indépendante et capable de s’assumer. Il reste à savoir ce que les principales intéressées comptent faire de ces nouveaux atouts.
N’avoir pas le droit d’ouvrir un commerce ou de se déplacer sans l’accord de son mari, perdre sa nationalité libanaise parce que l’on a épousé un étranger, être victime d’un partage successoral inégal, risquer une peine plus sévère que pour l’homme en cas de délit d’adultère… nombreuses étaient les lois discriminatoires à l’encontre de la femme au...